Léopold Ier : le début de la Belgique

Léopold Ier : le début de la Belgique

Léopold Ier inaugure le premier chemin de fer du Continent

En 1835, notre pays fut le premier du Continent, grâce au ministre liégeois Charles Rogier et avec l’appui de Léopold Ier, à être doté d’une ligne de chemin de fer. Mais l’opposition avait été rude. Voici l’avis, fort applaudi, d’un député contradicteur au parlement, en 1833 :

« Je m’exprime, Messieurs, au nom de la plus noble conquête de l’homme : le cheval. Vous allez le broyer sous les roues de vos monstres d’acier. Plus grave encore : devenu inutile à la société, le cheval sera ravalé au rang d’animal de boucherie et les plus beaux spécimens […], seront pendus, en morceaux, aux étals de nos marchands de viande. »

Un collègue proclame :

« Mon intervention sera brève : en supprimant la traction chevaline, vous porterez un coup mortel à nos cultivateurs qui vivent de la culture des plantes fourragères. La misère que vous déchaînerez sera sans fin : le batelier périra, le cocher et le palefrenier verront leurs enfants amaigris pleurer après du pain et les mères de ces malheureux devront demander au vice les ressources dont les privera le chemin de fer ! »

Du haut de la tribune de l’Assemblée, l’abbé de Foëre argumente à son tour :

« Tracez-les, Messieurs, vos voies ferrées, oui, par centaines de kilomètres, mais votre orgueilleux dessein ayant rapidement épuisé nos réserves de minerai, vous devrez y renoncer après avoir, en vain, spolié l’agriculture de terres fertiles ! »

Un député encore :

« On voit bien que M. le ministre Rogier est avocat – oh ! certes très disert – mais sa science ne s’étend pas jusqu’aux humbles contingences de la laiterie. Dix kilomètres en chemin de fer, que dis-je, un kilomètre et le lait cahoté, bousculé, secoué de remous violents arrivera sous forme de beurre, et quel beurre ranci par une fumée nauséabonde, dans nos villes en émoi ! »

M. de Robaulx, très en verve, lui fait écho :

« Oui, et les œufs nous parviendront en omelette ! »

Un argument moins humoristique vient ensuite :

« Vos machines rouleront à 30 kilomètres par heure, boulets lancés à travers nos paisibles campagnes, elles écraseront tout sur leur trajectoire : hommes, femmes, enfants ! »

C’est Léopold Ier qui a inauguré la première ligne, Bruxelles-Malines, le 5 mai 1835. L’ensemble du réseau, dont ce tronçon dépendait, fut achevé en 1843. Le Moniteur belge du 8 mai 1835 rapporte ainsi l’événement :

« Hier, 5 mai, a eu lieu l’ouverture du chemin de fer. Cette grande fête de l’industrie a été célébrée avec solennité.

À 11 heures et demie, les personnes invitées ont pris place dans les voitures qui leur étaient réservées. Une immense population accourue de toutes parts couvrait la plaine et la chaussée de Laeken. Un peu avant midi, S.M. le Roi est arrivé à la station pour assister au départ du convoi ; sa présence a été saluée par les acclamations des nombreux spectateurs.

Le Roi est descendu de voiture et s’est approché des remorqueurs (locomotives des trois convois placés côte à côte) qu’il a longtemps examinés ; il a ensuite traversé l’enceinte pour jouir du coup d’œil qu’offraient les trois files de voitures chargées de joyeux voyageurs (900 personnes) ; ses traits exprimaient la plus vive satisfaction. Bientôt une salve d’artillerie annonce le départ, et La Flèche, locomotive remorquant sept wagons (découverts), pavoisés aux couleurs nationales, et portant les principaux fonctionnaires des différentes administrations, des officiers supérieurs de l’armée, des magistrats, des ingénieurs et un grand nombre de dames parées d’élégantes toilettes, ouvre la marche et part avec rapidité.

Le Stephenson, remorquant également trois chars-à-bancs couverts (secondes classes) et quatre diligences (premières classes), dans lesquelles sont placés les membres des deux Chambres, les ministres et le Corps diplomatique, ne tarde pas à les suivre.

L’Eléphant, remorqueur d’une grande puissance, part le dernier et remorque avec lui seize chars, dont neuf décorés de bannières aux armes des provinces.

Partout, sur le passage de ces rapides voitures (qui roulent à 40 km/h) se pressait une foule immense, curieuse de contempler un spectacle si nouveau et si étrange. L’étonnement et la joie se peignaient sur toutes les figures…

Un grand nombre d’étrangers étaient venus à Bruxelles pour prendre part à cette fête ; on remarquait parmi eux M. Stephenson, celui qui le premier a appliqué la vapeur à la locomotion des voitures sur les chemins de fer. […]

À sept heures, un repas de près de 200 couverts a été offert au Corps diplomatique, aux membres des deux chambres, aux principaux fonctionnaires civils et militaires et à plusieurs étrangers notables qui avaient assisté à l’inauguration du chemin de fer ; la gaieté la plus franche a régné parmi les convives. »

Statue de Leopold Ier

Léopold Ier inaugure de saintes galeries à putains…

Au XIXe siècle, Bruxelles restait une ville provinciale qui étouffait dans sa ceinture de boulevards datant de Napoléon Bonaparte. La ville se couvrit progressivement de riches immeubles, au prix de maintes démolitions. Le chantier de la construction des galeries couvertes Saint-Hubert, reliant le Marché aux Grains à la Montagne aux Herbes potagères, débuta en 1846. Il nécessita la destruction d’un dédale de ruelles aux masures insalubres. Un barbier, qui n’entendait pas voir disparaître sa boutique, se trancha la gorge avec un rasoir en guise de protestation. Cela n’empêcha pas les travaux de continuer et Léopold Ier inaugura la prestigieuse galerie le 21 juin 1847. Aussitôt elle devint un lieu de passage privilégié pour les dames huppées en toilettes et en chapeaux. Mais aussi de péripatéticiennes qui trouvaient là un refuge de choix pour se livrer à leur apostolat en cas d’intempéries…

Nos records en ce temps-là

Sous l’impulsion de Léopold Ier, notre économie connaît un boom sans précédent. Durant tout le XIXe siècle, proportionnellement à sa population, notre pays est la première puissance industrielle du Continent, et la deuxième au monde, derrière la Grande-Bretagne, titre que notre pays partage avec les ÉtatsUnis jusqu’en 1900. En 1838, la Belgique extrait plus de charbon que l’Allemagne et la France. En 1847, elle possède, proportionnellement à son territoire, trois fois plus de routes et de canaux que l’Angleterre, quatre fois plus que la France et les États-Unis. Long de 450 km en 1830, le réseau de canaux double en 1860. La canalisation de la Meuse est entamée en 1852 et deux ans plus tôt on achevait déjà le canal Liège-Maestricht. De 3200 km en 1830, le réseau des routes passe à 6235 km en 1850. Grâce à lui, notamment, la Gaume sort de sa léthargie et connaît un réel essor. La force motrice de nos industries double aussi de 1828 à 1840 et a plus que sextuplé entre ces mêmes années et 1860. Quant au chemin de fer, dès 1842, il transporte annuellement 2 700 000 voyageurs. Autre miracle : les recettes fiscales doublent pendant le règne de Léopold Ier, sans aucune augmentation de l’impôt.

Enterrement boiteux

Le roi est mort le 16 décembre 1865 des suites d’une mauvaise bronchite. Un demi-million de Belges ont assisté aux funérailles nationales et se sont apitoyés sur le cheval noir, richement sellé et caparaçonné, tenu par deux valets en grandes livrées, qui suivait le cercueil. En effet, pour donner au destrier du roi défunt l’air de prendre part au deuil, on lui avait blessé le pied, afin qu’il boite a-t-on raconté…

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