Les grands travaux inutiles

Les grands travaux inutiles

C’est en 1986 que Jean-Claude Defossé entame sa série sur les « grands travaux inutiles » dans laquelle il dénonce, sur une chaîne publique, ce qui est quand même positif, les gaspillages des travaux… publics.

Grâce à lui et à son émission, on s’est aperçu qu’au niveau de la construction non plus, nos dirigeants n’étaient pas très futés.

Au moins, c’était bien réparti. Que ce soit les régions, les villes, les différents niveaux de pouvoir, tout le monde y passe. C’est fou quand on ne doit pas rendre de comptes, quand ce n’est pas son argent, comme il est facile de se tromper.

Voici quelques-uns de ces plus beaux travaux (mais inutiles malheureusement) que l’on retrouve aisément sur le Net ou sur le site de la RTBF.

Le quartier Nord, plus de cinquante tours qu’un des plus grands promoteurs des années 70 devait élever pour construire un « downtown » bruxellois façon USA à nous, mais qui reste vide, les sociétés étant loin de s’arracher les milliers de mètres carrés de bureaux. Mais le Monsieur a des amis, comme des hommes politiques importants qui vont l’aider (c’est fait pour ça les amis). Et c’est des sociétés de notre brave petit état qui viennent s’y installer.

Bon comme il y a eu des frais, les loyers sont plus coûteux que ceux du marché normal des bureaux à Bruxelles : jusqu’à 1 million de francs belges par jour. En tenant compte du fait que 100 francs belges de 1980 faisaient 5,26 € en 2005 (ça doit encore avoir augmenté !), notre million par jour aurait fait en 2005 : 52 600 € toujours par jour, soit 20 000 000 € par an, soit depuis qu’ils y sont, en 1977, et sans compter d’indexation : 20 000 000 €, multipliés par 37 années, ce qui nous fait un petit total de 740 millions en locations (quand on aime on ne compte pas).

 

Comme le dit le site de la RTBF (marrant, car ils dépendent aussi de l’État, mais c’est ça qui fait que nous sommes encore une démocratie) : « L’espace Nord a englouti des sommes gigantesques pompées dans les poches du contribuable »

Belgique - Bruxelles - World Trade Center I et II (Wikipedia - Emdee)

Mais comme de toute façon on s’en fiche, on a remis le couvert début 1990 (en 10 ans on oublie ma brave dame !) dans le quartier du Midi avec des centaines de milliers de mètres carrés de bureaux eux aussi inoccupés. Pourtant, là, ça ne pouvait que réussir, juste à côté du Thalys ! C’est bien connu que la plupart des sociétés bruxelloises ont une majorité de leur personnel qui, tous les matins, fait la navette avec Paris… Donc nouvelles expropriations, nouvelles constructions de beaux bureaux, tous presque vides, nouvel appel à l’État pour les occuper et puis, puisque ça ne marche pas, on rénove les maisons dont les propriétaires avaient été expulsés… en espérant qu’ils reviennent.

Dans les environs de Liège, un hôpital tout neuf restera inoccupé pendant plus de trente ans avant de devenir une résidence à appartements. Là aussi, pas de leçon à retenir, on a remis ça à Louvain (Leuven, la connerie ne connaît pas de frontière linguistique). Nos amis (flamands ? Voisins ? Cohabitants ?) ont élevé en plein centre de la cité brassicole un beau bloc de béton de dix étages, un A.Z comme ils disent, c’est-à-dire un hôpital dont neuf étages sont… inoccupés depuis presque trente ans. Ils veulent le détruire mais ça coûte aussi un paquet d’argent parce qu’il est rempli d’amiante !

Pour ne pas faire de jaloux et retrouver une espèce d’unité nationale, Schaerbeek a elle aussi eu son hôpital « inutile » : plus de 30 000 mètres carrés qui devaient remplacer un ancien centre hospitalier voisin. Le vieux est toujours là, il a même été entièrement rénové et le mastodonte inutile a été vendu pour deux fois rien à une société immobilière….

On continue ? En Wallonie, quatre vélodromes, un à Charleroi, un à Alleur, un à Rochefort et un à Gilly (Gilly qui, si je ne me trompe pas de « Gilly », est tout de suite situé à 4 kilomètres de Charleroi). J’ai cherché sans le trouver le nombre de membres de la Fédération du cyclisme sur piste.

Aucun des sites officiels ne le donne mais les différentes épreuves dont j’ai pu compter les participants font toutes état d’une centaine de concurrents. Un exemple : le dernier championnat de Belgique à… Gand, bien entendu, fait état de dix-sept débutantes, vingt-six débutants, seize juniores, trente-trois juniors et, en seniors, de vingt-six dames et vingt-neuf hommes. Si on compte 40 % de francophones, même si l’on sait que le cyclisme est plus populaire en Flandre, on arrive tout de suite à quarante personnes qui pratiquent cette discipline. On comprend dès lors qu’un de nos ministres des Sports ait reconnu un jour que « c’était une erreur d’avoir construit quatre pistes en Wallonie ». Non ? Si m’fi, quatre pistes, c’est beaucoup mais on va se rattraper, on va faire un Wembley de la balle pelote !

Quatre-vingt mille places assises et chauffées, tout est prêt, on ne cherche plus que l’endroit, et un peu de sous ! Je blague, bien entendu. Plus personne n’oserait créer une infrastructure sportive qui ne sert à rien après le coup (le coût ?) des pistes de vitesse pour vélos qui, soit dit en passant, ont des pistes en très mauvais état, vu que… il n’y a pas de toit, ce qui fait que nos quelques dizaines de pistards vont s’entraîner en…Flandre !

Dans la série « je claque l’argent de ceux qui m’ont élu », la liste est encore longue et fut admirablement exploitée par la RTBF. Mais en voici encore quelques-unes pour meubler vos soirées entre amis. Et puis, on les a payées, autant en rire même si c’est jaune et que nous offrir les spectacles des plus grands humoristes nous reviendrait au final moins cher au niveau de nos impôts.

Au hasard, en 1997, une ligne de chemin de fer est payée par la Région wallonne pour relier au réseau national une usine d’embouteillage d’eau minérale qui se voulait respectueuse de l’environnement. La crise sévissant, l’usine ne peut plus utiliser les services du train car elle exporte moins et ne peut plus remplir à chaque envoi dix wagons, ce qui est la règle pour un train à la SNCB. On aurait pu faire payer la société ou attirer d’autres entreprises auprès d’elle pour remplir ces wagons, mais bon, on y a pensé mais après…

À Anvers maintenant, cinq kilomètres de quais aménagés avec des berges spéciales mais qui, pour une raison technique précise, mais incomprise de ma petite personne, ne permet pas aux navires de haute mer de s’en servir. Entre 50 et 175 millions d’euros auraient ainsi sombré… Question eau, on n’est pas mal chez nos compatriotes. Ils se sont aussi payé un joli canal pour relier Courtrai à Bossuit mais ils ont foiré les calculs ou pas prévu pour qui ils le faisaient. Résultat ? Il est trop petit pour les bateaux de plus de 300 tonnes, donc pas très fréquenté.

Pont à Steenhuize-Wijnhuize destiné à surplomber le nouveau tracé de la N42 (Wikipedia - DietrichM)

Les ponts inutiles, ça, on est champions, notamment ceux entre Varsenare et Jabbeke, deux ouvrages inachevés (posés construits ? Perdus ?) au milieu d’une prairie. C’étaient des éléments de l’autoroute entre Zeebrugge et Calais qui n’a jamais été réalisée. Un autre pont à Steenhuize construit, mais là aussi pas de route pour y accéder ; un autre sur le canal Albert, à Ham toujours pas de route. À Hingeon, à l’extrémité d’une petite route de campagne qui ne mène nulle part se trouve, devinez quoi ? Un pont (gagné !) surplombant une de nos belles autoroutes et conduisant tout droit dans un champ. Ici c’est encore plus dramatiquement idiot, un autre pont qui lui fonctionne très bien est situé à 200 mètres de l’ouvrage inutile…

Nous sommes aussi les spécialistes des échangeurs autoroutiers inutiles qui ne mènent nulle part ou tournent sur eux-mêmes, des métros inachevés… Le sommet est à Liège avec des centaines de mètres de galeries qui servent d’entrepôts. Je parle de métros mais on a un historique de l’inutile et dispendieux chez nous. Un exemple, la ligne de chemin de fer Bertrix-Carignan en France qui est la voie de chemin de fer qui a coûté le plus cher à réaliser chez nous, mais n’a quasiment jamais été exploitée sauf par les Allemands en 1914-1918 et 1940-1945, car il s’agit de l’itinéraire le plus court pour faire Charleville-Berlin (en 1914-1918, le commandement allemand était à Charleville-Mézières) et Paris-Berlin (en 1940-1945).

Si vous ajoutez à cela les travaux par forcément inutiles, mais disons « pas nécessaires », c’est-à-dire ceux dus à la volonté d’avoir une politique d’» égalité régionale » selon laquelle, à chaque fois que l’on donnait un subside à une partie du pays, il fallait donner la même chose à l’autre.

 

Les réseaux d’enseignements, tous les niveaux de pouvoir, on est en droit de se demander comment on n’est pas encore plus endettés. Encore bien qu’une partie de la population belge s’arrange pour remplir les caisses que certains autres s’empressent de dilapider (ça, c’est limite poujadiste, j’avoue…) Mais tout cela, c’est certainement n’importe quoi et on peut se réjouir de voir l’un ou l’autre expert monter au créneau pour balayer tout cela d’un revers de la main, dire « c’est absolument faux » et encore une fois nous sauver.

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