Y’a-t-il vraiment des Belges dans la salle ?

Y'a-t-il vraiment des Belges dans la salle?

Nous ne possédons, à en croire les géographes et autres spécialistes, aucune des conditions requises pour constituer une nationalité. 

Nous n’avons pas de frontières naturelles. Jetez les yeux sur une carte de l’Europe : avec un peu de distraction, vous croirez que nous ne sommes qu’un prolongement de la France ou de l’Allemagne. 

Notre célèbre historien Godefroid Kurt, né en 1847 à Arlon, comme Pirenne, chantre de l’existence depuis des temps immémoriaux d’une nation belge, avoue lui-même, dans un livre consacré au fait que la Belgique existe, qu’à l’époque de sa jeunesse, le sentiment d’appartenance à la Belgique faisait défaut : 

« Nous étions très satisfaits d’être libres et nous appréciions beaucoup nos libertés, mais nous trouvions qu’elles allaient de soi et qu’il nous manquait beaucoup pour avoir le droit d’être fiers. Sans doute, les cantatiers et les discoureurs officiels nous y encourageaient, mais leur enthousiasme de commande n’échauffait pas leurs auditeurs. La Gloire Belgique de Le Mayeur et le poème Les Belges de Philippe Lesbroussart laissaient le public fort indifférent, tout autant que les vers patriotiques du baron de Reiffenberg ou d’Antoine Clesse. Personne ne faisait chorus quand le premier chantait :
« N’ayons qu’un cœur pour aimer la patrie
Et deux lyres pour la chanter »
ou que le second fredonnait :
« Flamands, Wallons
Ce ne sont là que des prénoms ;
Belge est notre nom de famille. » 

Nous ignorions jusqu’à notre chant national, et jamais l’idée ne nous serait venue de l’entonner, à l’exemple des autres nations, lorsque dans les fêtes publiques l’orchestre attaquait la Brabançonne. Plus d’une fois, aux étrangers qui voulaient l’entendre, nous devions faire l’aveu que personne de nous ne la savait par cœur.» 

À cela, pour lui, une explication évidente : « Nous étions, comme nous le sommes encore, un petit peuple et nous avions conscience de notre faiblesse. Nous venions à peine de naître à l’indépendance après trente-cinq ans de domination étrangère. Notre jeune nationalité, récemment humiliée sur le champ de bataille de Louvain, n’avait été sauvée que par l’intervention armée de la France. Quelques années après, nous avions été contraints de céder deux belles provinces à nos anciens oppresseurs, et cette mutilation avait laissé aux flancs de la patrie une plaie béante. La diplomatie internationale, qui nous infligeait cet affront immérité, nous avait traités comme des mineurs et avait placé notre neutralité sous la tutelle des puissances. En face des grands États, nous ne comptions pas dans le monde. Nous étions comme honteux de nous-mêmes, nous rougissions d’être si petits et si faibles. » (…) « La confiance dans les destinées de la patrie avait peine à naître au milieu des difficultés et des dangers qui nous entouraient, et beaucoup des nôtres se défendaient mal de l’idée que nous étions une petite nation provisoire destinée à disparaître de la carte de l’Europe dès la première conflagration. En attendant, nous restions à la remorque du puissant voisin méridional qui nous avait possédés pendant vingt ans, et qui venait en quelque sorte de tenir notre nationalité sur les fonts baptismaux. La France était comme le soleil qui nous échauffait et nous éclairait, et nous gravitions autour d’elle comme un satellite. » 

Il faut dire aussi que lorsque votre premier roi n’hésite pas à déclarer : « La Belgique n’a pas de nationalité et, vu le caractère de ses habitants, ne pourra jamais en avoir » et que si, du bout des lèvres, poussé par les Anglais, il a accepté d’être Roi des Belges, il a toujours refusé d’avoir notre nationalité. Cobourgeois de naissance, devenu Anglais par son mariage avec Charlotte d’Angleterre, il n’a jamais eu la nationalité de « son » pays. Il y aura toujours bien un esprit éclairé pour expliquer que… mais oui, par son accession au trône…, etc., le fait est que vous aurez beau chercher, vous ne trouverez nulle part un acte parlant de cette naturalisation. Quelque chose qui, de manière un tant soit peu solennelle, marque le coup. Alors, même si celui qui devrait être le premier n’a jamais revendiqué cette nationalité haut et fort, comment voulez-vous que les autres le fassent ?

 

Mais pour finir, on est quand même Belges ? 
 
Il est vrai qu’aujourd’hui, alors que la paix règne depuis des dizaines d’années, et que nous sommes imbriqués dans un grand nombre de groupements internationaux qui vont de la CEE à l’Otan, on ne considère plus les frontières naturelles comme la condition sine qua non d’une nationalité solide. On est plus porté à chercher la garantie de la vitalité d’un peuple dans son unité intellectuelle et morale, exprimée par l’unité de sa langue et de sa culture. La France a, depuis longtemps, réalisé ce genre d’unité, l’Allemagne et l’Italie se sont unifiées sur la même base. Tous ces pays ont amalgamé Bretons, Niçois, Brandebourgeois, Bavarois, Napolitains, Milanais aux dialectes nombreux et différents autour d’une langue elle aussi parlée par une élite. Par contre, chez nous, le français, langue supranationale parlée par les dirigeants, a fait l’unité du Sud mais a échoué au Nord. 
Pourtant, comme le dit toujours Kurt : « Tous, Wallons, Flamands et Allemands, nous parlions sa langue, nous lisions ses livres, nous nous nourrissions de sa pensée, nous nous imprégnions de son esprit. La Belgique semblait une France en miniature, pour ne pas dire une contrefaçon de la France. (…) 
Le coup d’État du prince Louis-Napoléon jeta chez nous une multitude de lettrés, de journalistes et d’hommes politiques brouillés avec le régime bonapartiste qui venait de triompher dans leur pays, et à qui nous fournîmes une tribune et un public ; ils s’improvisèrent alors précepteurs des bons petits Belges et portèrent à travers tout notre pays ce qu’ils considéraient comme la bonne parole. Cette propagande ne fut pas infructueuse, la Belgique fut encore plus imprégnée d’esprit français. » 


 
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