Léopold II : amours et fin de vie

Léopold II : amours et fin de vie

Amours clandestins

Si le roi n’éprouvait aucune attirance pour son épouse, ce n’est pas qu’il était indifférent aux femmes. Tout au contraire, comme nous allons le voir. C’était un libertin qui a dit : « J’ai toujours été un bon mari, à condition de pouvoir changer d’épouse de temps en temps. »

Jusqu’en 1900, ses escapades extraconjugales demeurent secrètes, ce qui ne signifie pas que personne n’est au courant. Son entourage tente tant bien que mal de faire taire les rumeurs. Le baron Edmond Carton de Wiart écrit que le roi doit souvent se rendre à Paris pour soigner sa jambe. Dans la suite, les nombreuses aventures galantes de Léopold, de préférence avec de très jeunes filles, furent largement étalées dans la presse socialiste et provoquaient les railleries du public. Au tournant du siècle, sa réputation de « coureur de jupons » était devenue internationale.

C’est en 1900 que Léopold II rencontre pour la première fois Caroline (officiellement Blanche) Delacroix, au somptueux Elysée Palace de Paris. Elle a 17 ans, lui 65… Il la rencontre en cachette, même si sa femme vit depuis 1895 reléguée dans sa villa de Spa. Séduite par son entregent, son prestige et sa fortune, elle se sépare de son amant Antoine Durrieux, un ancien militaire alcoolique, à quelques jours de leur mariage, pour mener une vie de couple secrète avec le roi, jusqu’à sa mort. Il la titrera « baronne de Vaughan ».

Toute sa vie, le roi aura l’obsession de cacher sa vie intime car, aux yeux de la nation, Marie-Henriette reste toujours officiellement son épouse. Il cherche aussi à dissimuler à sa maîtresse ses innombrables infidélités… Au départ, le roi va la retrouver dans un appartement de l’hôtel Bellevue, une aile du palais de Laeken. Mais le risque est trop grand et il l’installe plus loin, dans la villa Vandenborght, située extra muros du palais de Laeken. Une passerelle en métal, que le roi a fait construire au-dessus de la route qui les sépare et qui subsiste encore, lui permet de la rejoindre aisément. Un autre lieu, plus secret encore, est aménagé à l’intérieur même du palais, grâce à un système ingénieux imaginé par le roi lui-même. Une manivelle fait pivoter une bibliothèque factice et dévoile, derrière elle, un lit escamotable. Blanche ne quitte sa cachette qu’à l’aube…

Mais personne n’est dupe et la conduite du roi provoque un scandale. Le peuple voit d’un mauvais œil cette liaison. Un jour, alors que Blanche Delacroix traverse un faubourg de la capitale dans un superbe cabriolet, des mégères lui lancent des pierres !

Beaucoup estiment que Léopold est ridicule, d’autant plus que Durrieux et Caroline se rencontrent à Bruxelles. Le bruit court même que Durrieux est le père biologique des deux enfants que le roi a eus avec sa maîtresse.

Après la mort du roi, en décembre 1909, la baronne se remarie en 1910 avec Durrieux, dont elle divorce en 1913. Celui-ci adopta les deux fils que son épouse avait eus du roi des Belges.

Vite consolé

Henri Bataille, valet de Léopold II de septembre 1905 jusqu’à la mort du souverain en décembre 1909, fut souvent mêlé à sa vie intime. Il a rapporté sous forme de chronique les aventures dont il fut le témoin privilégié.

L’une de ses premières missions consista à jouer les intermédiaires entre une actrice de Paris et le roi. Celui-ci avait l’habitude de recevoir ses conquêtes au pavillon des Palmiers à Laeken. Bataille raconte que, lorsque le comte de Flandre tomba malade, son frère Léopold en conçut un grand chagrin qui tourna à l’affolement quand le mal empira.

La veille des funérailles, alors que toute la Cour pleurait en défilant devant la dépouille du prince, que l’événement attirait des personnalités et des ambassadeurs de toute l’Europe, que le pays s’apprêtait à des obsèques grandioses, que l’on croyait le roi fou de douleur, celui-ci commanda à son valet d’aller porter un pli à sa maîtresse du moment, une actrice de Paris, et, en début d’après-midi, de se rendre à la porte du pavillon des Palmiers, pour y recevoir à nouveau cette femme.

« Voici la vérité, révèle Bataille, je le jure. Pendant que la nation pleurait le frère du roi et que le monde entier portait avec sympathie les yeux sur le souverain belge, celui-ci, dans la nuit historique qui précéda les funérailles nationales du prince disparu, était occupé à endormir sa peine dans les bras d’une actrice vénale qui lui jouait, pour lui tout seul, la comédie de l’amour ! »

Quel cachottier !

Un jour qu’il faisait une cure thermale à Wiesbaden, le roi remarqua une superbe employée et ordonna à son valet de la faire venir. Elle vint, mais il lui en fallait plus. On lui présenta alors une barmaid de l’hôtel Bristol. Voici le rapport du valet : « Il l’entraîna tout de suite dans une allée et alla s’asseoir avec elle sur un banc. Le monarque était ce jour-là d’une ardeur extraordinaire. Il pressait la jeune fille de manière plus qu’inconvenante… Déjouant la surveillance du policier en habit bourgeois qui devait le protéger, il partit en landau avec la jeune fille dans une promenade qui dura trois heures… J’appris par la suite que, deux jours après, le roi avait osé une nouvelle sortie en compagnie de la jolie barmaid. »

Y a-t-il une femme pour le roi ?

Le soir du 15 novembre 1906, jour de la fête du roi – qui a 71 ans –, Léopold soupe en amoureux avec la baronne de Vaughan à Bruxelles. Le lendemain matin, il convoque Henri Bataille et lui ordonne :

« Petit, tu dois rencontrer des jolies filles dans Bruxelles ? Tu devrais tâcher d’en trouver une pour Lui (Il parlait de lui à la troisième personne). Tu devrais Lui trouver une belle à chevelure noire. Tu chercheras parmi la bourgeoisie et les gantières. Va au bal. Tu trouveras ce qu’il Lui faut. »

Le valet revient aussi penaud que bredouille, ce qui met le roi de très mauvaise humeur. Alors, n’y pouvant plus, il a l’idée de passer une petite annonce, dont il rédige lui-même le texte, dans un journal :

« Vieux monsieur, très distingué, cherche à faire connaissance demoiselle de magasin ou ouvrière, 20 à 22 ans, très jolie, noire, forte, de bonne santé. »

Les réponses affluent et Bataille est chargé de la sélection, mais, oh ! désespoir, aucune ne correspond aux goûts royaux. Angoissé, il finit par lui dégotter, grâce à ses relations, le modèle voulu. Comme il s’agit d’une semi-mondaine, Bataille la déguise en ouvrière et la fait passer pour une gantière. Il lui faut encore ruser auprès du roi pour qu’il ne s’aperçoive pas qu’elle est vénale… Séduit, le roi l’embauche volontiers à Laeken et bénéficie apparemment de toutes les joies espérées…

Don Juan de Belgique

À la fin octobre 1907, le roi, en voyage en France, demanda à Henri Bataille de faire venir dans son pied-à-terre de Paris une appétissante vendeuse qui avait attiré son attention dans une chocolaterie de la capitale. Comme le roi lui avait donné une adresse précise, Bataille trouva sans problème la nouvelle proie. Hélas, la jolie chocolatière refusa la proposition galante. Bataille s’en retourna bredouille et dut bien aller, penaud, annoncer la mauvaise nouvelle à son maître. Comme d’habitude, en pareil cas, le roi piqua une colère et menaça son valet de renvoi. Pour le calmer, Bataille s’engagea à lui amener, le lendemain, deux belles et jeunes bourgeoises de très bonne famille. La chance lui sourit : le soir même, il avait déjà trouvé les deux oiseaux rares, libres d’allure, tentées par l’aventure en vue de plantureux profits. Le roi les reçut, sympathisa, choisit l’une des deux, évinça celle qui ne lui plaisait pas. Tous les jours pendant un mois, il rencontra sa Parisienne dans un appartement secret. « Quand il se lassa de sa maîtresse de passage, écrit Bataille, il la quitta brusquement, comme il avait coutume de le faire, sans aucune politesse, remettant simplement l’enveloppe fer mée, contenant le prix du sacrifice… La jeune brune, qui s’était sérieusement attachée à son illustre amant, ressentit cruellement la dureté du procédé. Elle avait bâti tant de châteaux en Espagne, que son rêve tombait de haut…»

Faites place à Sa Majesté !

Pendant tout un temps, Léopold II prit plaisir à rouler en tricycle, qu’il appelait « mon animal ». Plus tard, comme sa jambe gauche le faisait souffrir de plus en plus, il se passionna pour l’automobile. Il acquit quantité de voitures, de la plus petite à la plus grosse. Ses préférées étaient les bolides de l’époque, car il aimait la vitesse. Le type de conduite qu’il imposait à ses chauffeurs était dangereux. Dans les dernières années de sa vie, il privilégia les limousines luxueuses de 40 à 60 CV, qu’il possédait en grand nombre. Il avait notamment plusieurs Mercédès et, en son honneur, un modèle de garniture intérieure très luxueux fut baptisé « Roi des Belges ».

Le roi se rendait souvent de Bruxelles à Lormoy, dans le Nord de la France, où il avait installé la baronne de Vaughan et les deux fils qu’il eut avec elle, Philippe et Lucien2. En automobile, il pouvait les rejoindre assez rapidement depuis la Belgique, et ce, en toute discrétion, moyennant un luxe de précautions. L’automobile désignée devait attendre devant les grilles du palais tous feux éteints. L’itinéraire, longuement discuté par le roi et son chauffeur, n’était pas le plus direct, car il fallait éviter de se faire pister par les inspecteurs d’Etat chargés de la protection du roi. Impatient de nature et inquiet de se faire reconnaître, il ne supportait pas les panneaux routiers d’interdiction et les limitations de vitesse. Il eut donc parfois du fil à retordre avec les maires et gardes champêtres des communes qu’il traversait. Bataille cite le cas suivant :

« Un jour, près de Soissons, une barrière étant fermée à un passage à niveau, Léopold II donna l’ordre à son officier d’ordonnance de la faire ouvrir. L’employé, qui attendait un train, refusa tout net d’obtempérer. L’officier insiste, montra un coupe-file de la sûreté générale : Service du roi des Belges. Alors, impatienté, digne, dans l’attitude de Cambronne à Waterloo et fort de sa qualité de citoyen républicain, le garde-barrière, dédaigneusement, laissa tomber devant l’officier ahuri :

– J’emm… Popol ! »

Quand le propos fut rapporté au roi qui, furieux, intervint auprès du gouvernement français. « Par la suite – rapporte Bataille –, chaque fois que le souverain voyagea en France, la Sûreté générale fit précéder l’automobile royale d’une voiture rapide portant un commissaire spécial. Celui-ci avait reçu la mission de faire ouvrir, par avance, toutes les barrières se trouvant sur l’itinéraire de Léopold II. Souvent les express passant à la même heure, et des accidents étant possibles, le commissaire prenait sur lui de faire stopper les trains. Ce fut une revanche, inconnue du public, prise par le pneu sur le rail. »

Douche spartiate

Le roi se levait chaque matin à 5h30, sans s’attarder au lit. Une demi-heure plus tard, été comme hiver, ses domestiques étaient chargés de le doucher à l’eau froide, selon un procédé primitif expliqué ainsi par Bataille :

« …Par mesure d’économie, Léopold II avait renoncé à faire monter l’eau jusqu’à ses appartements au moyen d’appareils hydrauliques. Il se mettait, nu, dans un vaste tub (large cuvette) et on lui jetait sur les épaules – successivement – quelques seaux d’eau froide. Par la suite, cette aspersion brutale lui ayant paru trop douce encore, le souverain commanda une pompe à bras que manœuvraient deux hommes. C’est ce système qui était encore en vigueur en Belgique, au moment de sa mort. »

Le trésor caché !

Léopold II avait accumulé, dans deux salons d’une de ses villas de la côte d’Azur, un nombre considérable de tableaux, d’œuvres d’art de prix, un mobilier somptueux, jamais inventoriés. Le roi gardait toujours sur lui jalousement la clef de ces deux pièces. Après sa mort, rien n’a été restitué à la Couronne.

Le roi se meurt

À son retour de Paris, en 1909, le monarque est atteint d’une violente crise rhumatismale qui inquiète son entourage. Quelques semaines plus tard, il souffre d’une paralysie partielle du gros intestin, probablement un cancer. Quatre jours avant une lourde opération, pressentant sa fin, il décide d’épouser religieusement sa maîtresse, pour lui prouver toute son affection. La cérémonie se déroule simplement dans sa chambre du pavillon des Palmiers à Laeken, le 12 décembre 1909, et non au château lui-même, alors en pleine restauration. Le roi, très affaibli, porte une robe de flanelle blanche, et Blanche… une robe de soie noire. Le curé de Laeken leur administre le sacrement en présence de deux témoins, les barons Snoy et Goffinet. Puis l’opération a lieu et deux jours plus tard, le 17 décembre, lendemain du quarante-quatrième anniversaire de son règne, le patient meurt à 74 ans d’une embolie après avoir dit d’une voix ténue : « Très belle – comme il l’appelait d’habitude (et elle « Très vieux ») –, j’étouffe, j’étouffe. Ah ! j’étouffe ! », tandis que ses docteurs tentaient de l’immobiliser pour lui faire une injection d’huile camphrée, en vain.

Dans ses volontés testamentaires, le roi, rancunier envers la nation, avait stipulé : « …je veux être enterré de grand matin, sans aucune pompe. À part mon neveu Albert et ma Maison, je défends qu’on suive ma dépouille. » Mais les ministres lui organisent des funérailles nationales. Il est inhumé à Laeken le 22 décembre 1909. Après tout, il avait bien lui-même infligé un affront du même ordre à son prédécesseur. En effet, Léopold Ier, appuyé par la reine Victoria, avait souhaité, au soir de sa vie, être enterré à Windsor, près de sa première femme, mais son successeur – comme son gouvernement d’ailleurs – refusa que le premier roi des Belges soit inhumé à l’étranger. Victoria en conçut beaucoup de dépit et dut se contenter de faire construire, dans la chapelle Saint-Georges, un imposant cénotaphe sculpté portant cette épitaphe : « Ce monument a été élevé par la reine Victoria à la mémoire de l’oncle qui tint la place d’un père dans son affection. »

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