Louise, fille aînée de Léopold II
Fille aînée du roi Léopold II, Louise est mariée à 17 ans au prince Philippe de Saxe-Cobourg-Gotha (1844-1921), un riche cousin de 14 ans son aîné, dépravé et alcoolique, résidant à Vienne. La princesse préfère encore cette situation à l’ambiance détestable de Laeken. À la fastueuse Cour de Habsbourg, elle brille de tous ses charmes. Malgré la naissance de deux enfants, son mariage demeure un échec et elle divorcera en 1906. Elle s’affiche alors au bras du comte Geza Mattachich, un jeune officier croate qu’elle aime profondément, et laisse des dettes colossales.
Éducation spartiate
« Notre mère nous éleva, mes sœurs et moi – écrit Louise dans ses mémoires –, à l’anglaise. Dans le château de Laeken nos chambres ressemblaient plus à des cellules de couvent qu’à des appartements princiers […] Dès que, pour ma part, je n’ai plus été sous la tutelle de jour et de nuit d’une gouvernante et des femmes de chambres, j’ai dû me tirer d’affaire moi-même et, au saut du lit, prendre à ma porte les brocs d’eau froide (en toute saison), destinés à ma toilette, car, alors, ni au Palais, ni à Bruxelles, ni au château, à Laeken, le dernier confort n’avait accompli ses merveilles. »
Encore fillettes, Louise et Stéphanie doivent se lever à cinq heures en été, six en hiver, et se taire pendant leur toilette. Leur tenue austère tient de l’uniforme : robes unies, taillées en forme de chemise, tombant jusqu’aux genoux ; un filet leur enveloppe la chevelure, coiffée d’un simple peigne. Au déjeuner, pris avec leurs parents, la table est bien garnie, mais elles doivent se contenter d’un repas frugal. Leur éducation est confiée à des gouvernantes sévères qui usent notamment du martinet ou les contraignent à s’agenouiller sans broncher sur un tapis de pois secs. « De tous les châtiments, celui que j’appréhendais le plus était d’être enfermée entre des doubles-portes, écrit Stéphanie […] Ni les supplications, ni les pleurs, ni les promesses, ne pouvaient émouvoir ma mère et me délivrer de cette situation tragique. Enfermer une enfant dans l’obscurité, le laisser pleurer convulsivement, était une véritable dureté. » Un jour, elle réussit néanmoins à rallier sa mère à sa cause : « Une seule fois, je réussis à amener ma mère à assister, cachée, à un des cours. Je savais que la gouvernante allait battre ma sœur au cours de cette leçon. Ma mère, témoin des mauvais traitements infligés à sa fille, congédia sur le champ la mégère qui nous avait fait tant souffrir. J’étais fière d’avoir délivré ma sœur. »
Pervers
Philippe et Louise se marient le 4 février 1875. La nuit de noces, à Laeken, s’avère un cauchemar pour l’adolescente, encore ignorante des jeux de l’amour. Elle prétend avoir subi les pires outrages et affirme : « Tandis que tout Bruxelles dansait aux lumières intérieures et extérieures des joies nationales, je tombais du ciel sur un lit de rocs tapissés d’épines. » À l’aube, Louise profite d’un moment d’inattention de Philippe pour fuir en robe de nuit et se réfugier dans l’Orangerie où sa mère la retrouvera complètement traumatisée. Marie-Henriette la ramène à son mari… Pour Louise, ce n’est que le début d’un long calvaire. Elle ne peut que déplorer l’infâme conduite d’un mari qui, pour assouvir ses désirs, la fait boire jusqu’à ce qu’elle ne manifeste plus aucune résistance. Elle évoque les « malsaines lectures, anecdotes et plaisanteries graveleuses, plaisirs forcés… » Après 23 ans de mariage, elle décide de quitter cet époux qui la répugne. « J’avais tenu bien longtemps, je m’étais sacrifiée comme je le devais à mes enfants, écrit-elle, mais ils avaient grandi et l’horreur de la vie commune était chaque jour plus forte. »
Dilapidatrice
À la fin 1896, Louise charge Geza Mattachich de s’occuper de ses finances. Le prince Philippe avait bien ouvert un compte en banque sur lequel il lui versait 3000 florins par mois pour ses dépenses personnelles, sa garde-robe par exemple, mais c’était bien insuffisant pour cette gaspilleuse au train de vie fort élevé. À la même époque, Louise possédait notamment 75 paires de chaussures, 120 paires de bottines, 64 ombrelles, 164 chapeaux à plumes… Ses factures impayées s’élevaient à 600 000 florins autrichiens (soit 3 600 000 euros).
En 1897, Geza s’enfuit avec Louise. Philippe voit ainsi lui échapper ce qu’il considère comme son héritage du Congo. En accord avec les souverains belges et autrichiens, il fait interner celle-ci dans un asile d’aliénés. Elle préférera encore y rester 10 ans que de renoncer à son amant. Quant à celui-ci, au terme d’un procès ignominieux, il a été arrêté, condamné pour escroquerie à la perte de ses grades et titres ainsi qu’à six ans d’emprisonnement. Gracié et réhabilité par le Reichsrat en 1902, il parvient, deux ans plus tard, à organiser l’évasion de la princesse et à se réfugier avec elle en France.
Après son divorce, en 1906, elle a dépensé non seulement les 400 000 couronnes que Philippe a dû lui verser, mais aussi plus de 50 000 francs de son père. En 1907, elle signe une reconnaissance de dette de 265 000 marks auprès d’une société financière de Berlin. Elle emprunte en outre à une riche habitante d’Aix-la-Chapelle, Madame de Schnee mann, une somme de 230 000 francs. En 1908, Walther Inhoffen lui prête 137 000 marks. Plus tard, elle signe encore une reconnaissance de dette pour obtenir 60 000 couronnes… Déshéritée comme ses sœurs par Léopold II – aigri de se retrouver sans héritier mâle –, et ce au profit de l’État belge, elle vivra dans le besoin jusqu’à sa mort, complètement oubliée par la Belgique.
Au soir de sa vie, elle s’exclama : « Ah ! N’être pas fille de roi, quel bonheur ! On envie les princesses. Qu’on les plaigne plutôt. Je n’ai dû que des infortunes à mon origine royale…»
Beau-frère très spécial…
Son beau-frère Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha (18611948), prince de Bulgarie, est un homme bizarre s’adonnant à des rituels obscurantistes auxquels Louise doit parfois participer. Par exemple, il lui demande occasionnellement de lui jouer au piano la Marche d’Aïda de Verdi et, pendant ce temps, il articule des formules occultes, la tête penchée en arrière. La princesse doit ensuite le questionner et il bredouille toujours la même réponse : « Le démon existe. Je l’appelle et il vient ! » Parfois, elle est la spectatrice de l’enterrement des gants et des cravates du démoniaque au cours d’un cérémonial enrobé de paroles ésotériques. Et dire que, une dizaine d’années plus tard, ce grand perturbé deviendra roi de Bulgarie (1887-1918) !