L’extraordinaire destin d’Ernest Solvay
En découvrant, le 15 avril 1861, un procédé de production de carbonate de soude, Ernest Solvay n’a sans doute jamais imaginé qu’il allait se trouver, quelques années plus tard, à la tête d’un véritable empire industriel. Et encore moins qu’une montagne du continent antarctique porterait son nom.
Le destin d’Ernest Solvay est assez exceptionnel. Né à Rebecq-Rognon le 16 avril 1838, il montre, dès son plus jeune âge, un grand intérêt pour la chimie, la physique et tout ce qui a trait aux sciences naturelles. Mais une maladie va l’empêcher d’enrichir sa formation entamée à l’École des Frères de la Doctrine chrétienne à Malonne. C’est donc dans l’usine à gaz de son oncle, Florimond Semet qu’il va développer son savoir, mais aussi mener une série d’expériences. Il a à peine 21 ans qu’il découvre une méthode pour récupérer l’ammoniaque. Peu après, c’est un tout nouveau procédé de fabrication de la soude qu’il met au point. En mélangeant le chlorure de sodium (sel marin), l’acide carbonique et l’ammoniaque, il va tout simplement révolutionner l’industrie. Car son carbonate de sodium, tellement rare à l’état naturel est plus que nécessaire dans l’industrie du verre, de la métallurgie et de la chimie en plein développement.
Le brevet est déposé le 15 avril 1861. Mais c’est à Couillet, en 1863, qu’il va vraiment développer son produit. Avec son frère cadet Alfred et les fonds d’un ami, Eudore Pirmez, il va, en effet, construire une première usine. Quoi qu’on en pense, les débuts seront même difficiles. En 1865, c’est à peine 200 kilos de soude qui sortent de ses ateliers. Mais deux ans plus tard, la production journalière dépasse déjà les trois tonnes. Et, en 1900, c’est 95 % de la production mondiale de soude qui sort des usines Solvay. Car notre Rebecquois a très vite compris le développement qu’allait prendre sa découverte. Partout où il y a de la houille, du calcaire et du chlorure de sodium, il va ouvrir d’autres usines. D’abord en Lorraine française, dans le village de Dombasle, puis en Allemagne, en Autriche, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Hongrie, en Italie, en Suisse, en Bosnie, en Pologne, en Russie et même aux États-Unis.
En 1913, il célèbre, avec fastes, son septante-cinquième anniversaire et, surtout, le cinquantième anniversaire de son entreprise. Elle est devenue un groupe industriel de niveau mondial. Notre homme, qui s’est offert un splendide château à La Hulpe croule littéralement sous sa fortune. Mais il n’a pas oublié qu’il la doit à une région et à ses habitants. À l’occasion de cet anniversaire, il va donc se montrer d’une générosité inouïe. Il va ainsi offrir un mois d’appointement par quatre années de services à chaque employé de sa société et une semaine de congés payés à chaque ouvrier. Du jamais vu ! Il va aussi veiller à ce que chacun d’entre eux reçoivent une pension minimale de 720 francs après trente ans de service. Précurseur dans le domaine social, il avait auparavant généralisé la journée des huit heures, quatorze avant qu’elle ne soit légalisée. Les allocations de maladies, devenues obligatoires en 1948 étaient déjà courantes, chez lui, en… 1878. Il créa aussi, avant tout le monde, des ouvroirs, des coopératives de consommation, des jardins collectifs, des hôpitaux, des centres de formation professionnelle, des bibliothèques et même des centres de loisirs.
C’est donc un homme adulé, admiré de tous qui est ainsi fêté. Tout ce que la Belgique compte en sommités vient lui rendre hommage. Il est vrai qu’il s’est aussi montré d’une grande générosité à l’égard du monde académique et scientifique. Il est le plus grand mécène de l’Université Libre de Bruxelles, finançant la création de l’institut de sociologie, celui de physiologie et l’école de commerce qui porte toujours son nom. Il est tout aussi généreux à l’égard des universités de Paris, de Nancy ou de l’Université du Travail de Charleroi. Il est également à la base de l’Institut International pour la Physique et la Chimie qui donnera naissance, en 1911, aux fameux Conseils Solvay, rassemblant, tous les trois ans, à Bruxelles, les plus grands savants du moment. La session de 1911 est entrée dans l’histoire, Solvay réussissant à rassembler autour de lui pas moins de onze Prix Nobel, dont Marie Curie, Albert Einstein, Paul Langevin, Max Planck, Ernest Rutherford, Henri Poincaré ou Maurice de Broglie.
Ernest Solvay, qui, durant la Première Guerre va encore mettre sur pied un comité national de secours et d’alimentation d’une rare performance, décédera le 26 mai 1922, laissant derrière lui un empire industriel qui ne cessera de croître. En 2011, le groupe Solvay est encore un leader mondial de l’industrie chimique, employant plus de 30.000 collaborateurs, répartis sur plus de 400 sites, dans plus de cinquante pays. Son chiffre d’affaires dépasserait les 10 milliards d’euros.
Homme modeste, ayant été jusqu’à refuser son anoblissement par le Roi, Ernest Solvay n’apprécierait guère que son nom ait été donné à des dizaines d’artères en Belgique, en France ou en Allemagne. Mais il aurait sans doute été ému d’apprendre qu’en remerciement pour sa générosité, des scientifiques aient donné son nom à un astéroïde, à un versant du Mont Cervin et à une montagne du continent Antarctique.