Le mystère des quatre tombes

Un grand crucifix domine la Kesterheide. Jusqu’en 1914, une procession s’y rendait le premier dimanche de mai. La colline de Kester est l’un des points culminants du Brabant flamand. Un chemin peu fréquenté nous conduit vers de hautes clôtures qui semblent protéger des bâtiments militaires. Ici, en 1943, fut inhumé le lieder du V.N.V. (Vlaams National Verbond) Staf De Clercq. Du mausolée, il ne reste qu’une large plaque de béton et un vaste caveau vide. C’est à cet endroit même que le leader réunissait ses partisans après le premier conflit mondial. Staf De Clercq naquit en septembre 1884 à Everbeek,un village situé à cheval sur la frontière linguistique. Après avoir étudié à Enghien, il devint instituteur. Sitôt installé à Lettelingen, l’enseignant, sensibilisé par les problèmes linguistiques du Pajottenland, collabora à l’édition du journal La Frontière linguistique. Engagé comme volontaire au front de l’Yser, l’instituteur rédigea Le Journal des Soldats. À sa démobilisation, Le Payot de la Frontière linguistique vit le jour et son rédacteur fut élu représentant du peuple au Parti du front.

En 1922, il fut nommé échevin à Kester car certains politiciens indélicats lui refusèrent la place de bourgmestre. En 1934, De Clerq convoqua ses amis du Parti du front ainsi que les membres du V.N.V., parti fondé par les nationalistes flamands, et en devint le premier chef. Député en mai 1940, il accepta inconditionnellement la coopération politique avec l’occupant allemand. Il échappa à une arrestation et se réfugia à Bruxelles, à la Tour japonaise dont le gardien était originaire de Leerbeek. En 1942, Staf de Clercq mourut d’un cancer du foie dans une clinique gantoise. Certains de ses partisans prétendent qu’il fut assassiné par un commando de résistants. Après une cérémonie de masse sur la Grand-Place de Bruxelles, sa dépouille prit le chemin de Kester, là où Staf De Clercq avait commencé sa carrière politique. En 1943, on transporta le corps du leader du V.N.V. sur la colline de la Kesterheide. Le 3 août 1944, les Alliés étaient proches. Un mouvement de résistance fit dynamiter la dalle en béton du mémorial inachevé du leader. Le cercueil s’ouvrit et la dépouille de Staf De Clercq apparut. Je l’ai vu, avec sa barbe et son baudrier et son uniforme noir. On ne voulait plus de cet encombrant cercueil. (un témoin)

Ce cercueil fut promené dans le village de Kester au cours d’une tournée peu digne. Certains témoins prétendirent que l’on vendit des morceaux de sa barbe enfermés dans des boîtes d’allumettes. On le hissa sur un traineau de charrue. Le convoi s’ébranla dans la nuit. Les Allemands occupaient toujours la région malgré l’opposition du prêtre de la paroisse de Leerbeek, un farouche résistant. En attendant la libération, le cercueil fut déposé à la morgue. Puis ce fut l’ultime combat et les Allemands prirent la fuite. Leerbeek acclama l’entrée des Anglais qui reçurent donc un accueil triomphant. Trois Allemands tués sur la grand-route furent inhumés dans le petit cimetière de Leerbeek, autour de l’église. On n’oublia pas le cercueil encombrant de Staf De Clercq, toujours à la morgue. On décida donc de l’enfouir à proximité des trois Allemands. En 1968, un cinquième larron fut inhumé entre les Allemands et Staf De Clercq. Il s’agissait de Soitje, le plus vieux fermier du village. Il mourut à l’âge de 94 ans. Son corps fut inhumé juste au-dessus de celui de Staf De Clercq. Cette pratique n’était pas rare dans les campagnes. En 1978, un commando de membres du V.N.V. se lança tête baissée dans l’opération Delta: exhumer le corps du leader et l’enterrer au cimetière de Asse, dans la tombe de sa femme. Durant une longue nuit de décembre, les militants procédèrent à l’exhumation. Ont-ils bien déterré la dépouille du leader flamingant ? Un soldat allemand repose peut-être au cimetière de Asse. À Leerbeek, on prétend qu’ils ont emporté Soitje, qui reposerait désormais à Asse à côté de Mme De Clercq, sous une belle tombe recouverte d’une stèle. Tous les ans, des membres du V.M.O s’y rendent religieusement et militairement afin d’y prononcer des discours et d’y déposer des fleurs.

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