Le traitement des fractures selon Louis Seutin

Le traitement des fractures selon Louis Seutin

Face à la gare de Nivelles, un impressionnant monument rend hommage à un enfant du pays, le baron Louis Seutin. Ce dernier était tellement attaché à sa ville natale qu’il lui légua une partie de sa fortune ainsi que son… cœur. Mais peu parmi les milliers de navetteurs qui fréquentent l’endroit savent encore qu’il fut l’un des plus grands chirurgiens du XIXesiècle ; qu’il fut le premier à utiliser le chloroforme en anesthésie et qu’il inventa une technique pour réduire les fractures, la méthode amovo-inamovible.

Louis Seutin a écrit ses mémoires. On sait dès lors tout d’une vie trépidante, digne d’un roman d’Alexandre Dumas. Il est né à Nivelles, le 19 octobre 1793, au sein d’une famille de petits cultivateurs. Dès son plus jeune âge, son père confie son instruction à l’abbé Lafontaine dont le frère était chirurgien. C’est à son contact qu’il trouva son destin. « Mon plus grand bonheur, écrit-il, était de me glisser, en sortant de la salle d’études, dans le cabinet du chirurgien où se trouvaient un squelette et quelques pièces d’anatomie… »

Le gamin est un brillant élève. Il n’a pas dix ans qu’il est déjà capable de déclamer les noms de tous les os, les organes et les muscles du corps humain. Pourtant, il ne va pas achever ses études humanitaires.

À l’âge de 17 ans, il va, en effet, quitter Nivelles pour s’installer chez sa sœur aînée à Bruxelles. Craignant la conscription des armées napoléoniennes, il se décide d’aborder au plus tôt des études de médecine et d’obtenir, de la sorte, le brevet d’officier de santé. À l’époque, il est vrai, il était possible d’exercer l’art de la médecine sans avoir le grade de docteur. Dès mars 1811, il décroche une place d’externe provisoire à l’hôpital Saint-Pierre de Bruxelles. Mais la conscription va le rattraper. Il a juste le temps de parachever sa formation qu’il est enrôlé comme chirurgien aide- major dans une armée napoléonienne marquée par la débâcle de Russie. Il rejoint ainsi, dès 1813, du côté de Dresde, l’équipe du baron Dominique Larrey, le chirurgien en chef de la Grande Armée. Aux côtés de cette légende vivante, il va connaître de très près les conséquences humaines des batailles de la campagne d’Allemagne. Il est même fait prisonnier et interné en Moravie jusqu’aux adieux de Fontainebleau.

De retour à Nivelles en 1814, il est réquisitionné par le Gouvernement des Pays-Bas pour travailler à l’hôpital militaire de Bruxelles. Il en profite pour reprendre ses études ; il n’a toujours pas le moindre diplôme. Le 18 juin 1815, il est à Waterloo, organi- sant une clinique improvisée aux abords du champ de bataille. On raconte qu’il aurait réalisé pas moins de 32 amputations sur la journée. Même Larrey, dans le camp des battus, remarque son travail et, dans des lettres, rend hommage à sa pratique chirurgicale et à son grand dévouement. Au lendemain du combat historique, il reçoit des autorités hollandaises le titre de chirurgien-major et, surtout, la possibilité d’achever, une fois pour toutes, ses études. Il obtient, en janvier 1816, son diplôme de docteur en médecine à l’Université de Leyde et celui de docteur en chirurgie et accouchements, en avril 1820, à l’université de Liège. Il peut ainsi rejoindre l’hôpital Saint-Pierre dont il devient très vite, grâce à des amis bien placés, chirurgien en chef. Il crée aussi la Société des Sciences médicales et naturelles de Bruxelles et entame une carrière de professeur de médecine opératoire. Il épouse aussi Marie-Thérèse Caroly, la fille d’un ancien notaire de Charles de Lorraine dotée, dit-on, d’une rare intelligence.

Louis Seutin

Seutin entre aussi dans la petite histoire de la Révolution belge de 1830. Il fait preuve, lors des combats de septembre, du même dévouement que celui qu’il eut à Waterloo. Transformant sa maison en véritable ambulance, il soigne Frédéric de Merode, mais aussi, quelques semaines plus tard, Charles Rogier, gravement blessé à la suite d’un duel avec Alexandre Gendebien. Le nouveau Gouvernement belge lui confie aussi la création du Service de santé de l’armée belge. Il devient le médecin personnel du Roi Léopold Ier ; reçoit la première chaire de médecine de la nouvelle Université Libre de Bruxelles et préside le premier congrès de médecine belge, qui donnera naissance, plus tard, à l’Académie de Médecine.

Il est vrai que la science chirurgicale doit à Louis Seutin, fait baron en 1847, de précieux progrès. Ainsi est-il à la base de la méthode amovo-inamovible, permettant de soigner les fractures ouvertes tout en contenant le membre dans un bandage rigidifié par l’amidon, qui immobilise rapidement le membre. Le progrès est énorme car sa technique permettait, par la légèreté du pansement, d’accéder aux plaies des fractures ouvertes pour les soigner, tout en assurant aussi la mobilité du malade à bref délai. Elle réduisait aussi les risques d’infections et de complication osseuse, offrant des possibilités de solidification aux résultats exceptionnels. Pour l’anecdote, c’est en tentant de sauver la patte brisée d’une chèvre qu’il mit au point cette technique révolutionnaire, longtemps appelée la « méthode de la chèvre de Monsieur Seutin ».

Mais on lui doit encore une technique de déambulation encore pratiquée de nos jours, diverses avancées en matière de chirurgie réparatrice. Il est aussi le premier à utiliser le chloroforme en anesthésie et est l’un des pères en matière d’hygiène publique. Son action dans ce domaine eut, notamment, pour effet de réduire considérablement le nombre de femmes qui décédaient en couches.

Ce combat le poussa à rejoindre le monde politique. Elu sénateur libéral de Bruxelles, il participa à bien des débats humanistes. Sa prestation du 28 décembre 1861 restera à jamais ancrée dans l’histoire de la haute assemblée. Lourdement handicapé par une maladie du cœur, il s’était fait transporter au Sénat mais, incapable de parler, il pria l’un de ses collègues de prononcer le discours qu’il avait préparé. Il y soulevait, pour la toute première fois, la question des habitations ouvrières et la nécessité de venir en aide aux infirmes et aux vieillards dans les campagnes où les services de bienfaisance n’étaient pas organisés.

Il n’eut pas le bonheur de connaître la suite réservée à son intervention. Il mourut quelques semaines plus tard, épuisé, le 29 janvier 1862, à l’âge de 69 ans. Son épouse ne lui survécut que cinq jours. Ils furent inhumés au cimetière de Laeken… mais c’est à Nivelles qu’il légua une bonne partie de sa fortune, notamment en faveur de l’école gardienne qu’il fréquenta enfant et sans laquelle il n’aurait jamais eu la carrière qu’il connut !

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