Le premier magasin de « Prêt à Porter »
Verviers a beau être la capitale belge de l’industrie textile, elle ignore l’un de ses fils qui a fait fortune en ouvrant, dès 1840, le premier magasin de prêt- à-porter pour hommes. Jean-Nicolas Colard fit pourtant, grâce à cette initiative, une fortune colossale qu’il partagea avec ses ouvriers.
Si l’on en croit les historiens de la mode, l’industrie du prêt-à-porter ou de la confection serait née lors de la Première Guerre mondiale, aux États unis, l’armée américaine devant habiller ses soldats le plus rapidement possible. On aurait, à l’époque, standardiser les tailles, gagnant de la sorte du temps de fabrication et, forcément, de l’argent. Le terme « prêt-à-porter » serait, lui, né en 1947, à l’initiative d’un certain Jean-Claude Weill qui importa en France le concept américain du « ready to wear ». Toujours selon les historiens de la mode, ce terme désignerait les vêtements n’étant pas faits sur mesure.
Baliverne que tout cela. Le prêt-à-porter est bien antérieur au XXe siècle. Il se serait développé en Belgique, dès 1840, à l’initiative de Jean-Nicolas Colard qui aurait d’ailleurs ouvert à Bruxelles le premier magasin au monde de prêt-à-porter.
Jean-Nicolas Colard et né à Hodimont, près de Verviers, le 3 juillet 1814. Il est le fils aîné d’une famille nombreuse et modeste. Si son père est fardier, il a la chance de pouvoir se familiariser, dès son plus jeune âge, à un métier moins dur, celui de tailleur d’habits. À l’époque, Verviers en compte un grand nombre. Mais c’est à Paris que notre homme se perfectionne. Pour l’anecdote, il ne va d’ailleurs pas qu’y trouver une formation. Il fréquente une kyrielle de jeunes républicains qui vont le sensibiliser aux conditions de la vie ouvrière.
C’est en pensant à eux qu’il se spécialise dans la fabrication de vêtements de confection, c’est-à-dire, selon ses termes, d’habits moins coûteux que le costume sur mesure réalisé par les tailleurs d’habits.
Son idée en tête, il revient à Verviers et épouse, en 1838, Octavie Mottet, de deux ans son aînée. Ensemble, ils vont s’installer à Bruxelles et y ouvrir, rue de la Fourche, le premier magasin de « prêt- à-porter » pour hommes. Le succès est immédiat. Très vite, ils doivent déménager et s’installer dans un bâtiment plus important, face à l’église de la Madeleine. Mais c’est encore trop petit et c’est rue Neuve qu’ils achètent un hôtel de maître, celui de la famille Robyns, faisant de cette artère l’une des plus attractives, commercialement, de la capitale belge. Des succursales sont aussi créées à Anvers, Charleroi, Gand, Liège, Namur et Mons.
À 35 ans, Jean-Nicolas Colard est un homme riche, influent. Il n’a cependant pas renié ses opinions politiques, forgées à Paris en fréquentant ses amis Républicains. Il n’est dès lors pas étonnant que l’on retrouve son nom, au côté de Karl Marx, sur la liste des fondateurs de l’Association démocratique de Bruxelles. Ou que l’on apprenne qu’il se soit démené pour accueillir bon nombre de proscrits français, traqués par la Police de Napoléon III. Ses ateliers de confection iront jusqu’à accueillir certains d’entre eux, inscrits comme travailleurs surnuméraires afin de les faire échapper aux expulsions que leur réservait la Sûreté de l’État.
C’est donc plus pour son amitié et sa générosité à l’égard de Pierre-Joseph Proudhon, Alexandre Dumas, Étienne Arago, Edgard Quinet, Louis Blanc, Henri Rochefort et autre colonel Charras que Jean- Nicolas Colard est entré dans l’histoire que pour ses succès commerciaux. Il fut pourtant un précurseur en matière d’avantages sociaux. Il va encourager la création de sociétés de secours mutuels, mettre sur pied un système d’aide aux veuves et orphelins de ses ouvriers, intéresser ses employés à la bonne marche de son commerce en leur donnant des primes en fonction des services rendus, de la rentabilité et de leur ancienneté. Et c’est d’ailleurs au milieu d’eux que, le 11 août 1868, il expira, victime d’une crise d’apoplexie. À peine âgé de 54 ans.