Le moteur d’Étienne Lenoir

Le moteur d’Étienne Lenoir

S’il est une des inventions belges les plus importantes, c’est bel et bien celle du moteur à combustion. Il est le fruit des recherches d’un Luxembourgeois, Jean-Joseph Étienne Lenoir à qui l’on doit aussi de multiples accessoires, comme les bougies, les soupapes et autres culbuteurs. Il est donc à la base de l’industrie automobile, voire de la navigation moderne et est considéré par l’Académie française comme l’un des cent plus grands inventeurs de tous les temps.

Jean-Joseph Étienne Lenoir est né le 12 janvier 1822, à Mussy-la-Ville, non loin de Virton. À l’époque, il était donc citoyen grand-ducal puisqu’il faudra attendre 1839 pour voir une partie de l’actuelle province du Luxembourg rejoindre la Belgique à peine née. Il est le troisième enfant d’une famille de huit enfants qui vit de l’agriculture et d’une forme de colportage. Son instruction est sommaire. C’est celle de l’instituteur du village qui a bien de la peine à canaliser les ambitions de l’élève. On raconte que, dès l’âge de douze ans, il déclarait : « Quand je serai grand, je ferai des machines, des nouvelles machines, des machines marchant toutes seules ! ».

Comprenant, sans doute, que son avenir n’est pas en Gaume, il se décide à quitter son village où il se sent incompris. Il n’a que seize ans. La légende veut que, à la sortie de Mussy, il se soit déchaussé et qu’il ait jeté ses chaussures dans le fossé en clamant : « Je ne veux même pas emmener avec moi un morceau de cette terre qui colle à mes chaussures. Personne dans ce pays ne veut comprendre ce que je veux faire. »

Son avenir est, il le sait, à Paris qu’il rejoint, à pied, en trois mois, s’arrêtant de ferme en ferme, effectuant quelques petits boulots pour pouvoir manger. Il s’installe, en bord de Seine, dans le quartier du Marais, à l’Auberge de l’Aigle d’Or, où il travaille, le jour, comme garçon de café consacrant ses nuits à mener, dans sa chambre, diverses expériences. Il sympathise aussi avec des artisans du quartier ; rencontre un émailleur et devient son ouvrier. Une question se pose à lui : comment obtenir un émail blanc en se privant des oxydes. Il cherche. Et il trouve. Nous sommes en 1847. Il dépose son premier brevet d’invention.

Touche à tout, curieux, observateur, il s’intéresse aussi aux hélices, aux appareils de pesage, aux fusils, aux boutons, aux métiers à tisser, à la galvanoplastie, aux étiquettes de jardin, aux cartouches pour lesquels, entre 1850 et 1860, il obtiendra de multiples brevets de perfectionnement. Mais aussi une valorisation surprenante de ses travaux. Tel le groupe ornemental que l’orfèvre Charles Christofle a pu réaliser, sur base d’une de ses inventions, sur la façade de l’Opéra de Paris.

Mais notre homme n’a qu’une chose en tête, celle qui le préoccupe depuis son enfance : faire bouger des machines. Il sait qu’une expérience a été faite, au milieu du XVIIIe siècle, par un certain Joseph Cugnot dont le fardier est conservé aux Arts et Métiers. L’engin, comme on l’a évoqué précédemment, bougea mais ses mouvements furent si brutaux qu’il défonça, à son premier essai, le mur de l’atelier où il vit le jour. Il fut rangé aux oubliettes.

Lenoir, à l’abri financièrement grâce à ses précédentes inventions décide de se concentrer tout entier à la construction d’un moteur. Il fréquente pour ce faire les cours gratuits des Arts et Métiers ; étudie le fonctionnement de l’engin de Cugnot, mais aussi des machines à vapeur de Denis Papin, de Christian Huyghens ou de Georges Stephenson ou encore les atouts de la bobine d’induction de Heinrich Ruhmkorff et du piston de Street. Il s’intéresse aussi aux nouveaux combustibles gazeux. Il sait que son moteur naîtra de l’assemblage de toutes ces innovations. Il entame ses premières (bruyantes) expériences dans les ateliers de son ami Hippolyte Marinoni, futur créateur des premières rotatives pour l’impression des journaux.

Etienne Lenoir

Le 23 janvier 1860, devant une vingtaine de privilégiés, Étienne Lenoir présente le fruit de son travail. Il s’agit, pour faire simple et selon ses explications, d’un cylindre moteur, doté d’un piston, d’une bielle à fourche, d’un arbre coudé, d’un volant tournant à 130 tours/minute et de deux paires de tiroirs en bronze par lesquels on obtient le mélange intime tonnant de l’air appelé du dehors et du gaz d’éclairage allumé par l’étincelle de la bobine de Ruhmkorff, puis l’expulsion des gaz de combustion. C’est à mi-course du piston que le tiroir d’admission se ferme et que l’explosion a lieu, donnant au piston l’impulsion pour l’achèvement de sa course. Le tiroir de décharge correspondant laisse alors échapper les gaz. La même série de phénomènes se déroule derrière la face opposée du piston, commandée par l’autre paire de tiroirs, et l’on obtient le mouvement alternatif du piston, donc la rotation du volant. Une circulation d’eau refroidit les parois du cylindre et les chapelles de décharge.

Quant au système d’allumage, il est constitué par deux éléments d’accumulateurs Bunsen fournissant le courant basse tension à une bobine d’induction créée par Ruhmkorff. Le courant est transformé en haute tension qui alimente des bougies fabriquées par ses soins.

La démonstration fait sensation. Dans les médias de l’époque, on parle d’une ère nouvelle pour la force motrice, d’une invention révolutionnaire. Pourtant Lenoir n’est pas tout à fait satisfait de son travail. Si son moteur a des avantages (comme la suppression de la chaudière ou une mise en route aisée), il conserve aussi quelques défauts. Étienne Lenoir n’aura de cesse d’améliorer son brevet, portant le numéro 43624. L’un des plus importants de l’histoire de l’automobile. Pas moins de 380 moteurs vont sortir, dans le courant de l’année 1860, des ateliers de la société Lenoir-Gautier. Dès 1861, il équipe un bateau d’un moteur de 2 CV. En septembre 1863, il dote un véhicule automobile d’un moteur de 1,5 CV, qui va lui permettre d’effectuer un trajet de 18 kilomètres en trois heures. En 1865, il fournit à un magnat de la presse parisienne un moteur de 6 CV lui permettant de mouvoir un bateau de 12 mètres de long sur la Seine. Mais son invention entre très vite dans le domaine public. En Allemagne, deux ingénieurs, Nikolaus August Otto et Eugène Lagen, vont créer, à partir du moteur Lenoir, un moteur à 4 temps d’un meilleur rendement.

Qu’à cela ne tienne. Même s’il continue à s’intéresser à la commercialisation de ses différents moteurs, Lenoir va déposer des brevets pour une multitude d’autres inventions. Il y en aura septante-cinq : du pétrin mécanique au compteur à eau, en passant par l’électrographe, le torréfacteur, l’engrais destructeur du phylloxera, une brosse pour le lavage des voitures, une technique d’étamage du verre et, même, un « buffet rafraîchisseur destiné à maintenir frais toutes espèces de produits, vins, comestibles, fruits, etc. ». L’ancêtre du frigo !

Malade, Étienne Lenoir décède le 4 août 1900, ne laissant aucune descendance. Il repose, comme bon nombre de savants belges émigrés à Paris au prestigieux cimetière du Père-Lachaise. Mais sa tombe est abandonnée. Ses inventions, elles, sont exposées au très riche conservatoire des Arts et Métiers à Paris. Elles y occupent une place de choix. Et pour cause. Quelques semaines avant sa mort, l’Automobile Club de France n’avait pas hésité à lui offrir sa plaquette de vermeil « en reconnaissance de ses grands mérites en tant qu’inventeur du moteur à gaz et constructeur de la première automobile du monde. » Pouvait-on rendre plus bel hommage ?

En Belgique, son souvenir est rappelé par quelques noms de rues et monuments, notamment à Arlon, à Virton et à Mussy-la-Ville. Un de ses concitoyens, Jean-Pierre Monhonval lui a aussi dédié une très fouillée biographie.

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