La première gazette d’Abraham Verhoeven
N’en déplaise à nos voisins français, Théophraste Renaudot n’est pas l’inventeur de la presse écrite. Vingt-cinq ans avant la sortie de presse de sa célèbre gazette, un imprimeur anversois, Abraham Verhoeven publiait son premier journal périodique, le Nieu Tijdinghe.
Chez les Verhoeven, on est graveur de père en fils. Lorsqu’il naît, à la fin de l’année 1575, Abraham Verhoeven a donc sa voie toute tracée. Il aurait dû reprendre l’entreprise paternelle si, à l’âge de dix ans, il n’avait pas eu à perdre son père. Et c’est finalement son parrain, Henri Wouters, puis le gendre de celui-ci qui vont lui apprendre les finesses du métier. Grâce à eux, il commence, adolescent, à fréquenter les gildes d’imprimeurs. Il rencontre ainsi Susanna Spierincx, la fille d’un imprimeur de cartes à jouer et d’estampes qu’il demande en mariage. Elle va lui donner six enfants et lui permettre aussi de voler de ses propres ailes. Car, avec sa dot, Abraham Verhoeven a maintenant sa propre imprimerie qui tourne à plein régime. Des centaines d’images pieuses, d’almanachs, de plans de guerre sortent de ses presses anversoises.
Au début de l’année 1605, Abraham Verhoeven va avoir une idée qui va le faire entrer dans l’histoire de la presse. À l’époque, les archiducs Albert et Isabelle mènent une guerre contre les Provinces-Unies. Dans une ville cosmopolite comme Anvers, tout le monde en parle. Mais il faut quelques semaines avant d’avoir des nouvelles fraîches des différents sièges. Verhoeven prend donc sa plus belle plume pour demander aux archiducs le privilège de publier, régulièrement, des nouvelles de leur guerre et, surtout, de leurs victoires. Ce qu’il obtint par retour de courrier, sans doute avec le soutien d’Aubertus Miraeus, bibliothécaire des Archiducs qui devint par après un précieux collaborateur. Ainsi naquit la première gazette de l’histoire, le Nieu Tijdinghe.
Les historiens d’aujourd’hui sont moins affirmatifs. Pour Stéphane Brabant, on ne peut pas parler d’un journal ou d’une gazette. Il s’agissait plutôt de planches d’actualités, de nouvelles imprimées irrégulièrement. Ce n’est donc pas le premier journal au monde. Mais Verhoeven peut, sans nul doute, être considéré comme l’inventeur de la presse écrite.
Tout au long de sa carrière, toujours avec la bénédiction des archiducs Albert et Isabelle, il va en effet publier, sous divers titres, mais irrégulièrement, des bulletins d’informations, évoquant les guerres, mais aussi certains faits de la vie sociale et politique de son temps. Ceux-ci sont souvent illustrés de gravures évocatrices. Telle cette « une » évoquant la décapitation, le 13 mai 1619, de Johan van Oldenbarneveldt, le fondateur de la Compagnie des Indes orientales. Quelques belles plumes ont rejoint son équipe, dont le polémiste Richard Verstegen. Il a même des correspondants à l’étranger, qui évoquent dans ses colonnes ce qui se passe au loin, notamment aux Indes. Mais il intègre également dans ses pages des documents officiels ou des copies de lettres politiques. Ses publications sont, en effet, l’objet d’une censure préalable. Dès 1620, le Nieu Tijdinghe, rédigé simultanément en français et en latin paraît jusqu’à trois fois par semaine avant de prendre un rythme hebdomadaire à partir du 27 juin 1629. Soit deux ans tout de même avant la célèbre « Gazette » hebdomadaire de Théophraste Renaudot.
Mais la presse n’a jamais nourri son homme. Rappelé à l’ordre par le Conseil du Brabant qui n’apprécie pas les approximations parfois contenues dans ses publications, ayant perdu à cause de cela son monopole, rapidement concurrencé et finalement ruiné, Abraham Verhoeven est contraint de vendre son entreprise, en 1634, à un certain Guillaume Verdussen, qui n’obtiendra pas plus de succès.
Abraham Verhoeven meurt le 13 octobre 1652. Mais son souvenir est toujours entretenu à Anvers. Il y a une bonne vingtaine d’années, sa maison, devenue entre-temps magasin de… corsets a pu être rachetée par un collectionneur de vieux journaux. Il en fit, tout un temps, un musée du journal. Sa bibliothèque, aujourd’hui transférée, contiendrait deux millions d’exemplaires de quelque 50.000 titres différents, rédigés en plus de 200 langues. Quatre mille de ces journaux auraient plus de deux siècles d’existence.