La Première automobile de Ferdinand Verbiest
Depuis des décennies, les manuels scolaires attribuent à Joseph Cugnot la réalisation de la première automobile. Mais si l’on s’en tient à l’étymologie du mot, cette invention devrait être accordée au père Ferdinand Verbiest. Un siècle avant la présentation du célèbre fardier, il avait déjà réussi à faire se mouvoir un petit véhicule à vapeur. Cela se passait ni plus ni moins qu’à la Cour de l’Empereur de Chine.
Ferdinand Verbiest est né à Pittem, près de Tielt, le 9 octobre 1623. Proche des Seigneurs de l’endroit, il fait des études complètes chez les jésuites de Bruges, puis de Courtrai. Il étudie ensuite la philosophie à l’Université de Louvain où il découvre aussi, aux côtés du père Taquet, tout le génie des mathématiques. Mais ses priorités sont ailleurs. Reçu novice à Malines en 1641, professeur au Collège de Bruxelles en 1647, il séjourne à Rome en 1652 pour approfondir ses connaissances théologiques, puis se rend à Séville où il est proclamé, en avril 1655, docteur es théologie.
À ce moment, le jésuite qu’il est devenu aspire à partager sa foi avec des peuples lointains. Il rêve d’Amérique du Sud. Mais c’est vers la Chine qu’il obtient, en 1658, une mission. Le voyage est épuisant ; sept de ses collègues vont d’ailleurs succomber en cours de route. Sur place, il accompagne le père Couplet dans l’évangélisation de la province de Shanxi. Mais il n’y reste pas longtemps. Ayant été averti de ses compétences mathématiques, le père Adam Schall von Bell obtient sa mutation à Pékin pour l’associer à ses travaux astronomiques. Ses connaissances vont cependant très vite créer des jalousies, surtout parmi les scientifiques ou pseudo-scientifiques chinois qui n’hésitent pas à l’accuser d’imposture. Il est vrai que l’astronomie chinoise est encore basée sur des traditions que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de manipulatrices. Le 16 novembre 1664, il est ainsi arrêté avec son mentor. Ils sont inculpés pour conspiration contre l’État, calculs astronomiques erronés et propagation de superstitions. Mais il en faut plus pour désarçonner Ferdinand Verbiest. Profitant d’un tremblement de terre, il obtient des autorités supérieures de pouvoir confondre ses accusateurs dans une série d’épreuves astronomiques contradictoires dont il triompha brillamment. Il en profita pour dénoncer les fâcheuses erreurs dont ses détracteurs avaient affligé le calendrier chinois.
Il entre ainsi dans les faveurs du jeune empereur Kangxi, qui le nomme président de la « Cour suprême des sacrifices impériaux ». Verbiest l’appellera son tribunal suprême des mathématiques. Il est aussi nommé vice-président de l’Observatoire de Pékin, qu’il dote d’instruments parmi les plus performants de l’époque. Il fait construire une sphère armillaire zodiacale, une sphère équinoxiale, un sextant, un globe céleste, qui font la fierté de l’Empereur et du peuple chinois. C’est d’ailleurs toujours le cas de nos jours.
Verbiest est donc bien en cour. Il devient le secrétaire de l’empereur ; prend en charge l’organisation du ministère des travaux publics ; l’accompagne, à ce titre, dans ses déplacements en province. Pour mieux le protéger, il l’équipe de canons d’une puissance exceptionnelle. Pour l’aider à construire un mausolée, il invente des outils de levage, tel le « glossocome », une sorte de cric composé de roues dentées permettant d’élever les fardeaux les plus lourds. Il initie aussi son maître à sa religion et le distrait de mille et une manières, notamment en créant un orgue hydraulique dont le vent était comprimé par la pression de l’eau. C’est dans ce cadre qu’il construit, probablement en 1679, un petit chariot à vapeur capable de se mouvoir de manière autonome.
Dans un de ses ouvrages, intitulé Astronomia Europae, précieusement conservé à la bibliothèque de New York, il décrit son invention : « Faite en bois, elle mesurait 2 pieds de long (environ 65 centimètres) et était actionnée par un éolipyle que chauffaient des braises ardentes. Le jet de vapeur frappait une roue horizontale comportant des pales et engrenant les roues motrices avant. Au milieu de l’axe des roues postérieures, un timon très flexible était relié à une roue d’un diamètre plus grand, facile à manœuvrer. »
Le chariot fut essayé dans la grande cour du palais de Pékin. Il tourna en rond, de manière tout à fait autonome, pour le plus grand amusement de la Cour, qui le conserva précieusement. Il servit d’ailleurs de modèle, au début du XVIIIesiècle, au père Grimaldi qui, toujours en Chine, réitéra l’expérience. Et il fallut attendre 1763 pour qu’en France, Joseph Cugnot fasse de même, d’ailleurs sans plus de succès, son « fardier » se révélant difficile à manœuvrer. Pour l’anecdote, sa première sortie s’acheva dans un mur. Il n’avait pas été équipé de freins.
L’invention de Verbiest était certes un jouet mais, sur le plan étymologique, il fut bel et bien une automobile, c’est-à-dire se mouvant par soi-même. Même si le terme n’est apparu dans le vocabulaire qu’en 1890.
Le père Verbiest n’en tira aucune gloire. Du moins en Europe, où il fut presque oublié. Ce qui ne fut pas le cas en Chine. Élevé à la dignité de mandarin sous le nom de Nan-Hai-Jin, ce qui signifie dans la langue locale « cordialement humain », il succombera à Pékin le 28 janvier 1688. Et au panthéon chinois, il figure, aujourd’hui encore, au nombre des 108 personnalités qui ont marqué l’histoire de l’Empire du soleil. La Belgique l’a pourtant oublié, n’évoquant même pas son nom ou ses inventions lors de l’exposition universelle de Shanghaï dans un pavillon exhibant pourtant fièrement les plus grands Belges de tous les temps !