La Dynamo de Zénobe Gramme
S’il est un inventeur belge dont le nom et l’invention ont traversé bien des générations, c’est bien Zénobe Gramme. Pourtant, on ne sait plus très bien expliquer en quoi l’invention de sa dynamo a pu bouleverser l’industrie mondiale, la faisant passer de l’âge de la vapeur à l’âge de l’électricité. Et comment ce mauvais élève liégeois est-il arrivé à réaliser cet exploit.
Zénobe-Théophile Gramme est né le 4 avril 1826 dans le joli village de Jehay-Bodegnée, à quelques encablures de Liège et de Huy. Il est le sixième enfant d’une fratrie de douze. Même si son père, receveur délégué à l’administration des Houillères d’Antheit fait tout pour donner à ses enfants une instruction de qualité, on ne peut pas dire que le petit Zénobe marque un intérêt profond pour les études. Ses notes sont d’ailleurs catastrophiques. On raconte même qu’il sera brouillé à vie avec la syntaxe et l’orthographe. En fait, il est plus manuel qu’intellectuel. Son temps libre, il le passe auprès des menuisiers du village dont il observe la dextérité, voire l’ingéniosité. Dès 1848, on retrouve dès lors sa trace dans l’atelier Duchesne à Hannut. Il fréquente aussi les cours du soir de menuiserie aux écoles industrielles de Huy et de Liège. Cette formation, sur le tas, va lui prendre cinq ans. Diplôme en poche, il se rend à Bruxelles, à Lyon, à Marseille pour gagner sa croûte et aboutit, en 1856, au terme d’une véritable année de galère, dans un grand atelier de menuiserie parisien. Il y restera quatre ans. En 1860, il rejoint, toujours dans la capitale française, la société de construction électrique « L’Alliance » où il est chargé de fabriquer quelques pièces en bois pour les machines magnéto-électriques produites par l’entreprise. Il y découvre un tout autre univers, celui de l’électricité. Et il est fasciné par celui-ci. Son esprit inventif, son sens de l’observation, sa créativité le poussent à s’intéresser de très près au domaine. Il fréquente les Arts et Métiers, assiste aux leçons d’Antoine Becquerel et imagine un régulateur de tension pour les lampes à arc voltaïque. Mais à l’« Alliance », on ne le prend pas au sérieux. Las de voir toutes ses demandes d’innovation de l’outillage rejetées par la direction, il rejoint, dès 1863, le constructeur d’appareils électriques et inventeur de la bobine d’induction Heinrich Ruhmkorff. Il quitte ainsi définitivement le monde de la menuiserie pour celui, plus complexe, de l’électricité. Selon Jean Pelseneer, ses débuts ne sont guère aisés. C’est même assisté d’un dictionnaire qu’il essaye de comprendre les bases rudimentaires de l’électricité, telles que décrites dans le célèbre manuel d’Adolphe Ganot. Mais tout va très vite…
Le 26 février 1867, il prend un premier brevet pour plusieurs dispositifs destinés à perfectionner les machines à courant alternatif. L’année suivante, alors qu’il séjourne à Londres aux côtés du photographe André Disdéri, il construit sa première dynamo à courant continu. C’est-à-dire un moteur qui est capable de transformer le travail mécanique en énergie électrique, et inversement. Il va mettre quatre ans à perfectionner son invention, brevetée dès 1869 mais rendue publique, le 17 juillet 1871, à l’occasion d’une communication qui va faire grand bruit à l’Académie des Sciences de Paris. Ce jour-là, il entre dans l’Histoire, offrant à l’Europe industrielle une production aisée du courant électrique. En tous les cas plus performante que les piles ou les aimants associés à des circuits tournants jusque-là utilisés. Encore faut-il pouvoir commercialiser son invention…
C’est le comte d’Ivernois qui, le premier, va l’aider dans son projet de développement. Grâce à sa fortune, il lui permet de créer la Société des machines magnéto-électriques Gramme et d’engager, comme directeur, l’industriel Hippolyte Fontaine. Les deux hommes sont faits pour s’entendre. Fontaine est, comme Gramme, un ancien menuisier. Ensemble, ils découvrent que la dynamo est réversible. Elle peut fournir de l’énergie mécanique à partir d’énergie électrique, et donc servir de moteur. La machine Gramme entre ainsi, par la grande porte, dans le monde industriel, où ses capacités dépassent les espérances. Elle trouve aussi une grande visibilité aux expositions universelles de Vienne et de Paris, devenant de la sorte une invention populaire.
Peu ambitieux, d’un naturel discret, Zénobe Gramme laissa à Hippolyte Fontaine le soin de développer la société et de valoriser sa création. Lui, qui avait connu la misère et qui était, grâce à son génie créatif, à la tête d’une jolie fortune préféra demeurer modeste dans sa prospérité. Il construisit à Bois- Colombe, dans la banlieue parisienne, une fort jolie villa qu’il désertait, au fil des saisons, pour profiter, avec sa jeune épouse de trente-huit ans sa cadette, des joies de la villégiature. Il séjourna ainsi, régulièrement, à Villers-sur-Mer, au Cap Martin ou dans les montagnes de la Haute-Autriche. C’est même très tardivement, en 1897, que la Belgique rendit hommage à son génie, lui décernant le cordon de Commandeur de l’Ordre de Léopold, à l’occasion de l’Exposition internationale de Bruxelles. Vingt ans auparavant, la France l’avait honoré en le faisant Officier de la Légion d’Honneur. Même s’il était conscient qu’il devait sa fortune à l’Hexagone, même s’il dut attendre son septante-deuxième anniversaire pour être l’objet d’une grande manifestation de reconnaissance et d’admiration à Bruxelles, Zénobe Gramme conserva, jusqu’à la fin de ses jours, la nationalité belge.
Atteint d’une cirrhose hépatique, il mourut peu de temps après, le 20 janvier 1901, à Bois-Colombes. Ses funérailles eurent lieu, quelques jours plus tard, au Père-Lachaise, en présence de représentants du Gouvernement belge. Au nom de l’Institut, Eleuthère Mascart prit la parole, insistant sur le fait que « s’il fallait baptiser un siècle par un nom propre, le XIXesiècle devrait s’appeler le siècle de Gramme. »
Aujourd’hui encore, le nom de Zénobe Gramme est décliné de multiples manières. Un célèbre voilier, un astéroïde, des écoles, des boulevards, des ponts, des places, des avenues rappellent le souvenir du grand inventeur. Mais ce sont ses statues, à Liège comme à Paris, qui en ont fait un personnage populaire, son physique altier, son visage barbu immortalisés dans la pierre, l’ayant fait entrer de la sorte dans la mémoire collective.