Joseph Plateau, le grand-père du cinéma
Si les Frères Lumière sont considérés comme étant les pères du cinéma, Joseph Plateau en est l’incontestable grand-père. Physicien, il découvrit la synthèse du mouvement et inventa, dès 1832, le phénakistiscope, l’ancêtre du projecteur cinématographique. Le 7e Art ne l’a pas oublié, son nom ayant longtemps été associé à la remise des prix du cinéma belge.
Joseph-Antoine-Ferdinand Plateau est né à Bruxelles, le 14 octobre 1801, au sein d’une famille artistique. Son père n’est autre qu’Antoine Plateau, le « peintre des fleurs » que s’arrachait, au XVIIIe siècle, l’aristocratie belge pour décorer châteaux de plaisance et autres maisons de maître. Son grand-père était, lui, un maître-repousseur réputé dans la région tournaisienne. C’est donc tout naturellement que notre homme se retrouve, dès son plus jeune âge, à l’Académie de dessin. Mais la mort prématurée de ses géniteurs va réorienter son destin. Joseph Plateau n’a que quatorze ans. Recueilli par un oncle, avec lequel, soit dit en passant, il raconte avoir assisté à la bataille de Waterloo, il est prié de rejoindre l’enseignement classique qu’il va suivre à l’Athénée royal de Bruxelles. Son intelligence est tout de suite repérée. Elle lui permet de sauter plusieurs classes et de se retrouver rapidement sur les bancs de l’Université de Liège dans la faculté de philosophie et lettres. Mais la littérature ne l’intéresse pas plus que cela et, dès la fin de ses candidatures, il préfère rejoindre la faculté de droit.
La vie universitaire le rend curieux. Poussant un jour, presque par hasard, la porte d’un cours de chimie, il se découvre une passion irrésistible pour les sciences de l’observation. Sa décision est prise : il va mener de front ses études de Droit et de Physique. Mais il n’a pas le sou. Doté d’un diplôme de candidat en sciences physiques et mathématiques, il accepte un poste de professeur de mathématique à l’Athénée de Liège tout en poursuivant ses études universitaires.
Sa thèse de doctorat n’a cependant rien à voir avec les mathématiques qui l’ont pourtant nourri. Elle a trait aux impressions produites par la lumière sur l’organe de la vue et est illustrée par plusieurs expériences inédites. Il devient « le » spécialiste de la persistance rétinienne. Pour lui, les images que nous recevons de l’extérieur se forment au fond de notre œil sur une couche sensible appelée la rétine. Cette rétine envoie « le message visuel » à notre cerveau par l’intermédiaire du nerf optique. La rétine possède une substance, le « pourpre rétinien », qui est décomposé par la lumière mais se reforme extrêmement vite, en environ 1/12ème de seconde. Mais il existe toutefois une rupture, à cause de ce très court instant. Il constate qu’il suffit donc de regarder des images qui défilent à un rythme de plus de douze images par seconde pour avoir l’impression qu’elles se suivent sans rupture.
Pour mettre en pratique sa découverte, Joseph Plateau invente, en 1833, le phénakistiscope, un nom compliqué, inspiré des mots grecs « phenax » et « skopein » et voulant évoquer une illusion d’optique.
Il s’agissait en fait d’un disque rond en carton percé de fentes sur lequel les différentes étapes d’un mouvement sont recomposées. Pour reconstituer le mouvement, la personne devait être en face d’un miroir et positionner ses yeux au niveau des fentes. Elle faisait ensuite tourner le carton, les fentes ainsi en mouvement ne laissant apparaître l’image qu’un très court moment et le cache, entre ces fentes, permettant de dissimuler l’image quand celle-ci était en mouvement. L’œil ne voyait donc que des images fixes, qui s’animaient quand le carton tournait suffisamment vite. Une préfiguration de l’obturateur dans un projecteur de cinéma !
Son invention deviendra très vite un jouet. Car Plateau va multiplier les sujets mis en mouvement. Ses admirateurs auront droit aux mouvements d’un acrobate ou d’un danseur, à un cheval au galop ou à la course d’une draisienne. Se souvenant de ses études de dessin, il va lui-même illustrer ses disques. Il ne sera pas le seul. Le peintre Jean-Baptiste Madou utilisera la technique de Plateau pour populariser son art. Avant que le phénakistiscope se retrouve au pied des arbres de Noël destiné aux enfants de la bourgeoisie. Charles Baudelaire lui donnera ses lettres de noblesse, lui consacrant tout un chapitre, très explicatif, de sa « Morale du joujou ».
Joseph Plateau ne profitera pas du succès de son invention. Ses expérimentations sur la persistance rétinienne vont en effet le rendre aveugle. Il a, en effet, au cours de l’été 1829, observé le soleil à l’oeil nu pendant 25 secondes, brûlant irrémédiablement sa rétine. Il deviendra définitivement aveugle en 1843.
Cela ne l’empêchera pas de poursuivre une carrière académique. Poussé par Adolphe Quételet, il avait accepté la chaire de physique à l’Université de Gand. Encadré par une équipe d’assistants, qui devinrent ses yeux, il y multiplia les expériences physiques dans plusieurs domaines. Et c’est auréolé de gloire qu’il décède, à Gand, le 15 septembre 1883. Sa ville d’adoption entretient sa mémoire. Elle lui a consacré une artère et a donné son nom aux prix du cinéma belge remis, plus de vingt ans durant, au cours du festival international du film de Gand. Quant à sa cité natale, Bruxelles, elle lui a offert une rue mais aussi un monument érigé, en 1996, à l’occasion du centenaire du cinéma. Une manière d’officialiser le rôle qu’a joué Joseph Plateau dans la préhistoire du 7e Art.