Hubert Goffin : le seul ouvrier décoré par Napoléon de la prestigieuse Légion d’Honneur
Hubert Goffin, mineur du pays de Liège, est célèbre pour le courage avec lequel il a lutté contre la mort et sauvé la vie de septante de ses compagnons, au cours de l’une des catastrophes les plus terribles de ce type dont on ait conservé le souvenir. Elle a lieu le 28 février 1812, dans la mine de Beaujonc, située à Ans, à quelques kilomètres de Liège.
Hubert et ses compagnons sont au travail quand, subitement, l’eau fait irruption avec violence. Elle tombe d’une hauteur de 75 mètres dans le puits, dont la profondeur est de 170 mètres. Matthieu Labaye, ouvrier chargeur, est le premier à s’en apercevoir. Lui et ses compagnons pensent d’abord que les tuyaux de la pompe à vapeur sont engorgés, et que l’eau, n’arrivant plus à la surface, retombe dans le puits. Il fait avertir le maître ouvrier, Hubert Goffin, qui est dans une taille, à 500 mètres de là. Celui-ci arrive rapidement et reconnaît que le danger est réel. Son premier souci est d’envoyer chercher son fils Matthieu, âgé de 12 ans. Personne n’est encore remonté et le niveau d’eau est encore peu important. Goffin pourrait échapper immédiatement au danger avec son fils. Il est prêt, avec déjà une jambe dans le panier. Il repousse cependant cette idée car il sait que 127 ouvriers dépendent de lui : ils périront s’il les abandonne à leur sort.
Il décide donc de tout faire pour les sortir de là, ou de périr avec eux. Aussitôt il met à sa place dans le panier de remontée un de ses ouvriers. Pendant la remontée, le panier, suspendu seulement à deux des quatre chaînes qui le soutiennent, est incliné sur le côté. Certains ouvriers ne peuvent pas se maintenir dans cette position et tombent dans l’eau. Goffin et son fils les aident à s’en sortir. Le panier redescend pour la seconde fois. Les ouvriers, paniqués, se pressent, s’entassent, mais la chute d’eau en précipite encore une partie hors du panier. Goffin et son fils sont toujours là pour les repêcher. Une troisième fois le panier redescend ; mais les chevaux du manège sont lancés, et les ouvriers n’ont qu’un instant pour saisir la machine qui doit les enlever. Goffin, comprenant le danger, avertit ses ouvriers, qui ne l’écoutent plus ; ils saisissent le panier, s’y cramponnent mais retombent pour la plupart aussitôt, et périssent dans le puits, que maintenant l’eau submerge jusqu’à atteindre le haut des galeries.
Goffin seul conserve sa présence d’esprit. Le dévouement de cet homme, père de sept enfants en bas âge, galvanise ceux qui l’entourent. Goffin tente de rassembler tous les ouvriers qui restent et de les diriger du côté des galeries montantes. Ceux qui s’obstinent à rester près du lieu où descend le panier, dans l’espoir de l’atteindre, sont bientôt submergés par la chute d’eau. À 170 mètres sous la terre, la situation semble désespérée : les ouvriers sont regroupés dans un espace étroit, privés d’aliments, respirant difficilement, et craignant à tout instant d’être engloutis par les eaux, qui montent à vue d’œil.
Informés de la situation, les ingénieurs des mines, le préfet du département et le maire d’Ans accourent sur les lieux. Les femmes et les enfants des victimes les accompagnent : ce ne sont bientôt plus que cris et lamentations. Un détachement de troupes arrive, pour calmer les choses et maintenir l’ordre. On essaye de comprendre où sont les éventuels survivants et comment se frayer un chemin jusqu’à eux. Malheureusement, sans informations, les travaux entrepris seront inutiles pendant plusieurs jours. Le courage des ingénieurs, des magistrats et des ouvriers n’en est pas pour autant diminué, on redouble de zèle et d’activité. Enfin, tous les espoirs ne sont pas perdus : on entend un bruit intérieur, et tous les efforts sont dirigés du côté d’où il vient… De son côté, Goffin, avec son jeune fils, organise le sauvetage d’une manière admirable. L’eau continue de monter et les jeunes enfants – à cette époque on descend souvent vers l’âge de huit ans – pleurent en demandant à Goffin comment s’en sortir. Il devient alors ferme, impose le silence et leur promet qu’ils s’en sortiront. Il assigne des tâches à tous : les plus robustes sont choisis pour entreprendre des tranchées et se frayer une issue vers la sortie. Rapidement, le découragement atteint son comble : ayant l’impression de travailler en vain, les ouvriers finissent par baisser les bras.
Goffin s’énerve alors : si telle est leur décision, soit, ils mourront tous, lui et son fils, qu’il prend sous le bras, en premier. Ses amis se pressent autour de lui, afin, disent-ils, « que ceux qui trouveront leurs cadavres jugent qu’ils ne l’ont point abandonné ». Tous se disent adieu et se préparent à mourir. Tout à coup s’élève la voix d’un enfant, celle du jeune Goffin : « Vous faites, leur dit-il, comme les enfants, vous pleurez et vous avez peur ; allons, obéissez à mon père, travaillez, et prouvons que nous avons eu du courage jusqu’à la mort ».
Il fait un pas, et tous le suivent ; les travaux reprennent. Mais bientôt les forces s’épuisent ; le découragement et le besoin de nourriture les accablent tous. Goffin les traite de lâches puis leur déclare qu’il va hâter sa mort et leur ôter tout espoir, en se noyant avec son fils. À ces mots les ouvriers se précipitent pour l’en empêcher et se remettent à creuser. Mais l’air ne contient plus assez d’oxygène ; les deux chandelles qui éclairaient les travailleurs s’éteignent d’elles-mêmes ; une troisième, leur dernière ressource, s’éteint par accident. Une profonde obscurité tue le peu de courage qui jusqu’alors les animait encore. Pour la troisième fois, ils arrêtent de piocher.
Goffin, dans un geste de désespoir, saisit l’ouvrier le plus proche de lui et menace de lui fendre le crâne ainsi qu’à tous ceux qui renonceront à tout faire pour que le groupe s’en sorte. Tous se remettent au travail malgré le noir le plus absolu. Goffin luimême donne toujours l’exemple. Ses mains sont ensanglantées. Son fils travaille également tout en encourageant son père. Il lui rappelle que ce sont eux deux qui nourrissent la famille, sans eux ce sera la misère. Ils ne peuvent pas périr là. Deux mineurs exaspérés sont sur le point de se battre. Quelqu’un clame : «Laissons-les faire, si l’un d’eux est tué, il nous servira de nourriture ». Ces paroles ont pour effet de calmer aussitôt les deux belligérants. Au départ, craignant d’être submergés, ils ne vont plus au bord de l’eau que pour juger de son niveau ; maintenant, privés de lumière, ils y vont en tâtonnant, dans l’espoir d’y trouver le corps d’un de leurs camarades, pour se le partager.
Après avoir dévoré les chandelles qui leur étaient restées et préférant boire leur urine qu’une eau infecte, les uns tombent d’inanition, les autres sont en proie au délire. Tous de la manière la plus injuste, accusent Goffin de leur malheur et le maudissent. Surmontant son propre épuisement, il cherche à les calmer ; il les appelle par leur nom, espérant que ceux qui ne répondent pas auront réussi à remonter au jour. Enfin, après cinq jours et cinq nuits passés dans la plus cruelle anxiété, les infortunés mineurs entendent à l’extérieur un bruit qui leur annonce leur prochaine délivrance. Ils répondent, ils ont été entendus ; les efforts de l’extérieur redoublent. Ils sont sauvés !
On les compte : sur cent vingt-sept, trente-cinq sont remontés dès le début, vingt-deux se sont noyés, et septante sont revenus à l’air libre, à la vie. Goffin et son fils sortent les derniers. Il est difficile de se faire une idée de la joie des femmes et des enfants des mineurs qui ont échappé à la mort. Tous veulent pénétrer dans l’enceinte du charbonnage pour les serrer dans leurs bras.
Cet événement eut des répercussions dans l’Europe entière. Pendant tout le temps où les mineurs étaient enfouis, les journaux donnèrent des informations concernant l’état des travaux entrepris pour les délivrer, nouvelles que le public attendait chaque matin, avec une curiosité anxieuse. Le gouvernement récompensa le courage et la fermeté d’Hubert Goffin en lui accordant la décoration de la Légion d’Honneur, avec une pension. Son jeune fils reçut aussi une récompense, ainsi que les mineurs qui avaient le mieux secondé leur chef.
Plusieurs théâtres s’emparèrent de l’épisode dramatique, pour l’offrir en spectacle à un public avide de sensations fortes. En 1814, les Français partis, Hubert Goffin est décoré par le roi des Pays-Bas de l’ordre du Lion Belgique. Par un étonnant hasard, cet homme courageux est pourtant destiné à périr dans la mine. Il est victime d’une explosion due au grisou au cours de laquelle il reçoit un éclat de pierre. Il meurt peu après, le 8 juillet 1821, en laissant dix enfants.
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