Deux héros belges dans la bataille de Camerone
Ils tiennent encore l’ennemi en respect, mais leur résistance touche à sa fin, car ils manqueront bientôt de cartouches. Quelques coups encore et il ne leur en restera qu’une chacun.
«Armez vos fusils, dit le lieutenant, vous ferez feu à mon commandement; puis, nous chargerons à la baïonnette, vous me suivrez. »
Ne les voyant plus tirer, les Mexicains avancent. La cour en est pleine. Il se fait alors un grand silence : les blessés eux-mêmes se sont tus comme s’ils comprenaient que l’instant est plus solen- nel. Dans leur réduit, les cinq survivants ne bougent plus, ils attendent.
« En joue ! Feu ! » crie le lieutenant.
Les coups de fusil ne font qu’une détonation. Les cinq hommes bondissent en avant, la baïonnette pointée. Une formidable décharge les accueille à bout portant. Un ouragan. À croire que la terre va s’entrouvrir. Le grand Catteau s’est jeté devant son officier et le prend dans ses bras pour lui faire rempart de son corps : il tombe, frappé de dix-neuf balles. Le lieutenant n’en est pas moins touché, lui aussi : une balle dans le flanc droit, une autre lui fracasse la cuisse droite. Wensel est tombé lui aussi, le haut de l’épaule traversé, mais il se relève aussitôt.
Trois sont encore debout: Maine, Wensel et Constantin. Un moment interdit à la vue du lieutenant étendu sur le sol, ils s’apprêtent à sauter par-dessus son corps et à charger de nou- veau, mais déjà, les Mexicains les entourent de toutes parts et la pointe de leurs baïonnettes effleure leurs poitrines. C’en est fait d’eux, ils vont mourir, quand un homme de haute taille, un officier supérieur, qui se trouve au premier rang, d’un brusque mouvement de son sabre relève les baïonnettes qui les menacent :
« Rendez-vous ! leur dit-il. »
C’en est fini d’un des épisodes les plus glorieux de l’histoire militaire, la fameuse bataille des légionnaires au Mexique, à Camerone. Encore aujourd’hui, chaque année, à la date anniversaire, le récit de cette bataille qui, le 30 avril 1863, vit 60 légionnaires subir l’assaut de 2000 cavaliers mexicains est lu à tous les lé- gionnaires rassemblés.
Pourquoi ouvrir un ouvrage consacré aux héros belges de la Première Guerre mondiale par ce récit le plus célèbre de la Légion étrangère, la plus prestigieuse unité combattante française? Simplement parce que, dans ce dernier carré, composé de cinq irréductibles, il y avait deux Belges !
Victor Catteau, un grand gaillard d’un mètre quatre-vingt qui n’avait pas encore six mois de service, mais s’était battu comme un ancien, allant jusqu’à protéger de son corps son officier et Laurent Constantin, un autre de nos compatriotes, teigneux et cabochard, mais courageux comme un dogue.
Comment commencer un livre sur des héros de guerre belges, alors que nous-mêmes, en tant que Belges, nous avons une piètre idée de nous-mêmes à tous les niveaux? Ah! Cette étiquette de petits Belges et de piètres combattants qui nous colle à la réputation depuis la campagne de mai 1940 et la manipu- lation française qui, pour trouver une excuse à sa défaite, nous accusa d’avoir capitulé « en rase campagne ».
C’est vrai que le Belge n’est pas belliqueux, nous ne sommes pas un peuple d’envahisseurs, nous préférons de loin faire du commerce et autant nous aimons exporter nos produits, autant nous répugnons à envoyer nos soldats où que ce soit. Chez nous, depuis toujours, les budgets de l’armée ou de la Défense sont ceux que l’on a bouclés avec le plus de réticence.
Par contre, ce petit peuple de bons bourgeois, de gentils pay- sans et de paisibles métallurgistes sait depuis toujours laisser de côté l’enclume, l’écritoire ou la charrue pour s’armer d’un fusil et devenir d’autant plus agressif que, quelques instants aupara- vant, il était bien tranquille et ne demandait qu’à le rester.
J’aurais pu remonter bien plus avant dans le temps et commen- cer par la célèbre phrase de César: «De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves », mais c’était s’exposer à l’éternelle moquerie qui nous fait interpréter la phrase non pas comme un hommage rendu à notre vaillance, mais comme le constat d’une certaine forme de rusticité et de crétinisme non pas des Alpes, mais des «confins de l’Empire». Et puis, quels gènes nous reste-t-il, remontant à cette époque? Pas grand- chose !
Alors…
Alors, faisons fi de ces considérations bassement scientifiques et attribuons-nous, comme de nombreux autres peuples, un pan- théon de «pseudo» glorieux ancêtres et revenons à cette peu- plade qui, même si elle n’a que de lointains rapports avec ce que nous sommes aujourd’hui, ne nous en a pas moins laissé le nom que nous portons.
Donc, cette rusticité due à l’éloignement de ces premiers «Belges» n’a pas empêché Ambiorix et ses hommes de mas- sacrer de nombreux Romains et de décimer la XIVe légion de Cotta et Sabinus et contrairement au « Français » Vercingétorix, le « Belge » Ambiorix, lui, ne déposa jamais les armes, ne fut ja- mais fait prisonnier, et ne fut vaincu que grâce à l’extermination de son peuple. Une manière de faire digne des plus sombres commandos SS du front russe de la dernière guerre…