À Liège, en 1881, un beau temps inespéré a favorisé le jour de la Toussaint, d’ordinaire froid et sombre. Le Liégeois s’est toujours particulièrement distingué par le culte qu’il voue aux tombes de ses chers disparus. Dès le matin, une foule immense a visité les deux nécropoles de Robermont et de Sainte-Walburge. Le défilé a continué de manière ininterrompue jusqu’à la nuit. Presque toutes les tombes ont été fleuries et la lumière blafarde des bougies allumées contrastait singulièrement avec l’éclatante clarté du soleil de ce premier jour de novembre.
Le tram Est-Ouest a eu fort à faire pour transporter l’énorme contingent de voyageurs qui se sont pressés sur la ligne. Le service avait été dédoublé entre la place Saint-Lambert et Cornillon. Toutes les voitures ont été prises d’assaut. Nos loueurs de voitures n’ont pas fait de moins brillantes affaires.
Comme chaque année, une délégation de l’Association française de bienfaisance, avec à sa tête le vice-consul, s’est rendue au cimetière de Robermont pour fleurir le monument élevé à la mémoire des soldats français morts en 1870.
Rendons aussi hommage au superbe entretien de nos cimetières et des tombes. Les sentiers avaient été recouverts d’une couche de gravier finement ratissé. Dans les massifs, nulle trace de feuilles tombées ni de fleurs fanées.
L’après-midi, un incident singulier a quelque peu troublé la sérénité ambiante au cimetière de Sainte-Walburge, en pleine affluence. Des personnes venaient de déposer une couronne sur une tombe fraîchement comblée. Un individu sans vergogne ne trouva rien de mieux que de la voler et d’en garnir la sépulture toute proche de l’un des siens ! Sans bourse délier, il s’était servi à souhait ! Peu après, s’étant aperçues de ce rapt inqualifiable, les victimes vinrent vivement protester auprès de l’indélicat personnage. Cette scène pénible provoqua un important rassemblement. Monsieur Borsu, le chef de garde du cimetière, intervint, fit restituer la couronne et verbalisa en conséquence.
Aujourd’hui, c’est le Jour des morts, vénéré autant que la Toussaint, durant lequel nos champs d’éternel repos recevront encore une foule de visiteurs.
Les épitaphes ne sont pas toujours tristes. En voici la preuve :
O ma femme, ô mon Octavie,
Objet de mon éternel deuil,
A mon amour trop tôt ravie
Repose en paix dans ton cercueil.
Repose en ta bière de chêne.
S’il n’était pas si gros, ton Eugène
A tes côtés voudrait dormir…
Mais tu sais, là où il y a de la gêne
Cher Ange, il n’y a pas de plaisir !