Une dérouillée en guise de premier anniversaire

Une dérouillé en guise de premier anniversaire

On avait donc un vrai État, avec une indépendance, une Constitution et même un roi, donc tout ! Enfin, presque tout, parce que tout à la joie de la solution de nos problèmes monarchiques, de nos débats sur la liberté du culte ou de la presse, on ne pensait pas que nos voisins du Nord étaient peut-être un peu revanchards… On lui a quand même pris une bonne partie de ses possessions, à ce bon Guillaume, et pendant qu’on se gausse de notre nouveau roi, de notre victoire sur l’armée hollandaise (en réalité quelques escarmouches), eh bien nos voisins, ils s’arment, ils peaufinent leur armée et un beau jour, le 2 août 1831 au petit matin, ils traversent la frontière et viennent prendre leur revanche des journées de septembre. Maintenant, la donne est fondamentalement différente, car ce ne sont plus des combats de rue, mais de vraies batailles rangées avec une artillerie importante ; nous allons nous ramasser déculottée sur déculottée. Eh oui, entre le 28 septembre 1830, jour de la proclamation de notre indépendance, et ce 2 août 1831, soit en presque une année, nos parlementaires n’ont pas eu le temps de préparer une armée. La comparaison est faussée, mais elle me plaît bien (même si je n’aime pas le personnage) : il n’avait fallu que cent jours à Napoléon, revenu de l’île d’Elbe, pour se présenter avec une armée au complet à Waterloo. Nous, en onze mois, nous ne pouvions opposer que 25 000 hommes aux 50 000 Bataves qui nous agressaient. Qui plus est, ce semblant d’armée n’a pas d’âme, est dirigée par des officiers qui ont la nostalgie de leur ancien régiment hollandais, qui jalousent les promotions inconsidérées reçues par certains qui sont davantage des aventuriers de la révolution que de vrais soldats comme eux. 

Ils sont aussi en nombre insuffisant, leurs hommes manquent d’entraînement, ils n’ont pas d’artillerie, certains de leurs soldats sont même armés de simples piques ! 

C’était un peu comme si les Belges n’avaient rien sous la main, comme s’ils n’avaient jamais combattu, n’avaient jamais fait partie de l’armée hollandaise, alors que des pans entiers de régiments composés de Belges aguerris dans l’armée coloniale hollandaise avaient quitté le service de Guillaume pour rejoindre leur nouveau pays. De la même manière, combien n’y avait-il pas d’officiers et de sous-officiers qui avaient brillé sur tous les champs de bataille de la Grande Armée ? Disparus ? Envolés ? Pas là ou presque en tout cas. 

Dès les premiers jours de l’indépendance, il aurait fallu s’activer, se mettre à travailler, mettre sur pied un puissant ministère de la Guerre, réorganiser les régiments, aller rechercher tous ces anciens dont nous venons de parler, en faire venir d’autres pays, comme on le fera dès le mois de septembre en autorisant l’engagement d’officiers étrangers. 

En résumé, comme dit le proverbe : « si tu veux la paix, prépare la guerre ». Et puis, le minimum de bon sens aurait voulu qu’on surveille nos voisins nordiques, que des espions, ou de simples soldats habillés en paysans, passent la frontière pour voir si rien ne se préparait de désagréable à notre frontière nord. Sans même un service de renseignements très pointu, ni de très fins limiers, il faut bien convenir qu’une armée qui se prépare à attaquer, ça se cache difficilement ! 

Rien de tout cela ne fut fait ; nous ouvrions une série de grandes traditions guerrières que nous veillerons à garder jalousement depuis lors, et dont la plus importante est de ne pas être prêt quand on nous attaque. Après, viennent, dans le désordre, pour contrebalancer le patriotisme, le courage et l’héroïsme de nos combattants : une impréparation crasse, un équipement dépassé et un encadrement insuffisant. Léopold, présent depuis quelques jours seulement, n’a pas vraiment de responsabilité dans l’affaire. Outre qu’il combattra courageusement, il prendra la seule décision qu’il fallait prendre et qui deviendra aussi une de nos marques de fabrique : l’appel aux Français en cas de coup dur. Pour le faire, à peine arrivé, il fait une entorse à la Constitution puisqu’il appelle les Français à l’aide sans avoir reçu l’accord des chambres, accord en principe requis par la Constitution pour toute intervention militaire sur notre territoire, l’article 121 de notre Loi fondamentale disant bien que : « Aucune troupe étrangère ne peut être admise au service de l’État, occuper ou traverser le territoire qu’en vertu d’une loi ». Mais c’était ça ou bien un État mort-né et malgré cette évidence, il s’est trouvé certains de nos hommes politiques qui vivaient dans une sorte de monde irréel et qui déployaient toute leur énergie pour que le roi ne fasse pas appel aux Français « en implorant à genoux d’empêcher l’exécution d’une mesure qui était de nature à compromettre l’honneur militaire du pays ». Le 8 août 1831, le roi appelle la France à l’aide et le 12 août, Guillaume Ier doit signer un cessez-le-feu sans avoir réussi à reconquérir la Belgique. 

Autre conséquence de notre impréparation : pendant cette campagne, les Hollandais avaient repris le fort d’Anvers. Ils ne le rendront que le 15 novembre 1832, après une nouvelle… intervention des Français bien entendu, mais aussi après avoir bombardé la ville à boulets rouges, mettant le feu à des centaines de maisons et faisant de nombreuses victimes dans la population civile. 

En 1831, on n’était pas prêt, mais ce n’était pas du jeu, on venait juste de foutre les Hollandais dehors ; ils auraient dû attendre un peu qu’on se prépare, qu’on ait au moins fini de faire le tour du propriétaire avec Léopold… 

Nous remettrons le couvert en 1914 et en 1940 avec la même incompétence, mais sans les excuses dues à la jeunesse. Pour ces deux guerres-là, tous les indicateurs étaient au rouge. Et des politiciens bien avisés auraient dû se poser la question de la valeur d’un traité de neutralité. Pour rappel, un morceau de chiffon pour les Allemands. Même les Suisses, neutres depuis des siècles avec un pays difficile d’accès, ont à chaque fois pu jouir de leur neutralité, non pas en se fiant à un possible respect des traités, mais parce que, surarmés et surentraînés, personne n’a jamais osé passer par chez eux les armes à la main. Nous allions, nous, le payer très cher, à travers un nouveau traité beaucoup moins avantageux.

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