Trente années d’isolement : Simon Kimbangu, le Jésus congolais
Depuis la mort de Léopold II et la reprise par la Belgique, certaines choses ont commencé à changer au Congo mais c’est loin d’être devenu un paradis sur terre (pour les Africains s’entend).
Simon Kimbangu, nait le 12 septembre 1887 à Nkamba près de Mbanza-Ngungu. Il est baptisé par la Baptist Missionary Society en 1915 et devient alors catéchiste. C’est à cette époque qu’il dit recevoir une vision divine, lui ordonnant d’aller guérir les malades et prêcher auprès d’eux. En 1921, il aurait guéri une jeune femme malade et retourne alors dans sa région natale du Bas-Congo pour poursuivre ses prêches. Il acquiert vite la réputation de ressusciter les morts, de rendre la vue aux aveugles, de faire parler les muets, de faire marcher les paralytiques et de chasser les esprits démoniaques. Il est surnommé Ntumua ya Nzambi’a Mpungu, traduction en kikongo d’« envoyé de Dieu tout puissant ».
Kimbangu emploie le symbolisme chrétien, se montrant comme une figure du Christ, nommant même 12 apôtres pour l’aider et posant des règles morales fondamentales : l’abolition de tous les symboles religieux traditionnels, l’éradication de la danse érotique, la destruction des fûts de danse, et la fin de la polygamie. Il s’oppose également à toute forme de sorcellerie. Cela frappe les missionnaires qui travaillaient depuis des années pour atteindre ces objectifs, avec peu de résultats, alors que les disciples de Kimbangu se conformaient à ces règles dans la plus grande ferveur.
Les Africains pensent alors que les missionnaires retiennent les secrets de la chrétienté, vus comme source de la puissance européenne et de la richesse, alors que les prêches de Kimbangu, considéré comme un prophète ayant parlé à Dieu, fournissent un moyen d’accéder à ces secrets. Kimbangu est même identifié au dieu Nzambi, l’être suprême du Congo.
Tout cela aura pour effet d’attirer à lui de plus en plus de monde en quête de guérison et les conséquences ne se feront pas attendre : une partie de la population délaisse ses postes de travail, les églises catholiques et protestantes sont de moins en moins fréquentées, les commerçants voient leur chiffre d’affaires baisser.
Bien que la prédication de Kimbangu n’ait pas de contenu politique clair, il prédit néanmoins la libération de l’homme noir sur un plan spirituel et physique, l’indépendance du Congo et la reconstitution de l’empire Kongo, prophétisant la « deuxième indépendance ». Il prétend qu’un jour l’homme blanc deviendra noir et l’homme noir deviendra blanc. Le mouvement alimente également le sentiment antieuropéen et suscite de fait la méfiance de nos autorités. Celles-ci, de plus en plus alertées par les missionnaires catholiques et protestants, le font rechercher ainsi que ses plus proches fidèles. Des mitrailleuses sont même mises en évidence dans la ville où il prêche, dans la crainte d’un soulèvement.
Dès lors, Simon Kimbangu, dont le charisme est tout à fait manifeste, sera considéré comme une menace potentielle pour les intérêts de notre colonie.
C’est dans ce contexte-là qu’il sera accusé, à tort, de sédition par l’administration coloniale avec la complicité active des commerçants (qui étaient tous des Blancs à cette époque-là) et du haut clergé tant catholique que protestant.
Après une première tentative d’arrestation ratée le 6 juin 1921, Simon Kimbangu se réfugie à Mbanza Nsanda où il poursuivra ses prédications. Les autorités coloniales le feront rechercher de plus belle. Le 11 septembre 1921, trois mois après son arrestation ratée, il vient de lui-même, sur recommandation de Jésus-Christ dit-il, se rendre aux Belges.
Le 12 septembre, il est donc arrêté en compagnie de ses disciples et aussi de quelques fidèles. Jugé par un tribunal militaire, il est condamné à la peine capitale avant que le roi ne la commue en prison à perpétuité. Le pouvoir colonial préférera cette option à la peine de mort qui en aurait fait un martyr et aurait déchaîné les passions. De 1921 à 1951, il passera donc trente longues années enfermé dans sa cellule de la prison de haute sécurité d’Élisabethville (Lubumbashi) où il sera régulièrement malmené. Au bout de ces trente années, il sera transféré dans l’hôpital jouxtant la prison dans l’aile psychiatrique. Il s’éteindra dans ce même hôpital huit jours plus tard, le 12 octobre 1951.
Les autorités coloniales belges, considérant le kimbanguisme comme un mouvement subversif, prennent pendant plusieurs décennies des mesures répressives à l’égard des membres : envoi dans des camps de relégation puis, à partir de 1940, dans des « Colonies Agricoles pour Relégués Dangereux » (CARD, avouez que ça vous a des petits airs de bagne, non ?). Les adeptes parviennent cependant à maintenir des activités clandestines. Le plus jeune fils de Simon Kimbangu, Joseph Diangienda Kuntima, s’emploie à regrouper les sympathisants. L’épouse du prophète Kimbangu, Marie Mwilu, ordonne les premiers pasteurs kimbanguistes en 1955. En janvier 1958, une pétition est adressée au gouverneur général du Congo, en vue d’obtenir la liberté du culte. Cette démarche, dont les auteurs se réclament de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la charte coloniale et de la Constitution belge, aboutit à une première forme de reconnaissance tacite. Le 11 mars 1958, la première constitution de l’« Église de Jésus-Christ sur Terre par le Prophète Simon Kimbangu » est promulguée. Le 22 juin 1958, lors du premier congrès kimbanguiste, Joseph Diangienda Kuntima en est reconnu comme le chef spirituel. Une demande officielle de reconnaissance adressée à la Chambre des représentants et au Sénat de Belgique aboutit enfin à la reconnaissance officielle le 24 décembre 1959.
En 1991, le président Mobutu Sese Seko, qui avait légalisé l’Église, amnistie Kimbangu à titre posthume et lui décerne l’Ordre national du Léopard.
Nelson Mandela est devenu un symbole mondial de la lutte anticoloniale, avec 28 années de détention après avoir créé la branche militaire du Congrès national africain, en organisant notamment avec ses partisans plus de 200 actes de sabotage dont des attentats à la bombe et avoir prôné en dernier recours l’emploi de la lutte armée. Nous, en 1921, sous le règne du « bon » roi Albert, d’esprits « éclairés » comme celui de la reine Élisabeth, après avoir subi trois ans plus tôt l’arbitraire et la barbarie de l’envahisseur allemand nous parvenions à agir sans même de réaction de nos représentants du peuple. Lors de son arrestation en septembre 1921, notre ministre de la Justice n’est autre que le grand Émile Vandervelde…