Tout et son contraire a été écrit au sujet de Pierre Minuit, cet aventurier qui, au XVIIe siècle, a joué un rôle majeur dans l’Histoire des États-Unis d’Amérique.
Il a d’abord été ignoré dans les livres et ses initiatives ont été attribuées à tort à Peter Stuyvesant dont l’arrivée outre-Atlantique est pourtant postérieure.
Ses origines ont par la suite été objet de controverse. Pour certains, elles seraient belges. Les Français, cependant, assurent qu’ils ont trouvé sa trace à Valenciennes ; les Allemands, à Wesel ou à Clèves tandis que les Hollandais revendiquent sa nationalité batave. Sans oublier les Suédois qui l’apparentent à l’Histoire scandinave.
Minuit fait partie de ces rares personnages de l’Histoire dont on sait peu… mais dont le peu que l’on sait vous fait souhaiter en savoir plus ! Cette phrase est de Russell Shorto, l’un de ces historiens américains contemporains qui essayent de retracer la véritable genèse du Nouveau Continent. Un historien qui a su, voire osé mettre fin aux nombreuses légendes entourant la naissance de New York.
Sur Pierre Minuit, l’homme qui aurait acheté Manhattan aux Indiens pour quelques bricoles, il n’est pas trop prolixe. Il est vrai que, à travers les siècles, l’on a écrit sur lui tout et son contraire.
On l’a d’abord ignoré dans les livres d’histoire, attribuant à tort bien de ses initiatives à Peter Stuyvesant qui n’est en rien responsable du développement de Manhattan. Et pour cause ! L’homme, à qui l’on a donné le nom d’une cigarette a même cédé l’île dont il avait la garde aux ambitieux Anglais.
On l’a ensuite affublé d’origines multiples. Pour certains, il aurait des racines brabançonnes. Pour d’autres, il serait Hennuyer, peut-être même Tournaisien. Les Français assurent qu’ils ont trouvé sa trace à Valenciennes ; les Allemands, à Wesel ou à Clèves. Les Hollandais revendiquent sa nationalité batave. Et les Suédois, son appartenance à l’histoire scandinave. Il y a un peu de vrai partout.
En Belgique, cette confusion a longtemps été entretenue par l’avocat et académicien Robert Goffin. Réfugié durant la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis, notre homme souffre de voir son pays sous le joug ennemi. Il veut se rendre utile. En conversant avec le consul de Belgique à New York, il a l’idée d’user de son talent oratoire pour sensibiliser les Américains au sort de son pays. Passionné d’histoire, se souvenant que des Wallons figuraient au nombre des premiers habitants de la Big Apple, il a trouvé son sujet : il va leur parler de leurs racines. Mais il ne va pas se contenter d’évoquer les premières heures de la colonie. Il va faire croire que le village d’Ohain, en Brabant wallon où il vit lui-même le jour, est à la base de cette genèse. Ainsi, au travers de son imagination, Pierre Minuit devient un descendant d’une famille homonyme ayant vécu, au XVIIe siècle, sur les bords du Smohain. Selon lui, le hameau new-yorkais de Gowanus trouverait même ses origines dans les racines latines du village brabançon.
La vérité est que Pierre Minuit n’a jamais mis les pieds à Ohain. N’en déplaise à la jolie localité qui n’a pourtant pas hésité à dédier la toponymie de tout un quartier à Manhattan et à son histoire…
Suivre les véritables traces de Pierre Minuit aux XVIe et XVIIe siècles ne fut pas, il est vrai, une chose aisée. L’époque est, sans conteste, l’une des plus « libérales » sur le plan de l’orthographe. Minuit peut, selon les archives, devenir Minuct, Minutte, Minuet, Mennuet, Minnewit, Mennuite, …
Les registres de l’état civil n’ont en outre été mis en place qu’en 1694 dans le duché de Clèves où notre homme a officiellement vu le jour. Quant aux archives de la ville de New York, elles ont, en grande partie, été brûlées lors de l’incendie, le 29 mars 1911, de la New York State Library. Plus d’un million de documents, dont 450 000 livres et 270 000 manuscrits ont disparu à tout jamais. Tout au plus a-t-on pu sauver quelque 12 000 feuilles de papier, à moitié carbonisées et savamment rassemblées par Peter Christoph à la bibliothèque d’Albany et traduites par Charles Gehring, l’un des grands spécialistes de la langue néerlandaise telle qu’elle était pratiquée, outre-Atlantique, au XVIIe siècle. Ces documents, les recherches effectuées par des archivistes à New York, Albany, Wesel, Bruxelles et Göteborg, mais aussi par l’équipe du cercle Apis Tornacensis à Tournai sont à la base de cet ouvrage qui n’a pour seule prétention que de redonner à la Belgique, et plus particulièrement à la Wallonie, un petit bout de son histoire. D’autant plus que, ces dernières années, les Pays-Bas n’ont eu de cesse d’affirmer aux New-Yorkais qu’ils leur devaient tout et que « les Wallons n’étaient qu’un détail de l’histoire néerlandaise de New York » pour reprendre un article du magazine Trouw.
Puisse cet ouvrage rendre à Minuit … ce qui appartient à Minuit.
Yves Vander Cruysen