Parfums de vanille à Liège
Au XIXe siècle, la vanille est l’un des produits les plus raffinés et donc les plus recherchés des fins gastronomes. Elle est aussi très rare. Tout simplement parce que, originaire du Mexique, sa pollinisation ne peut se faire qu’avec une petite abeille n’existant que là-bas, la mélipone. Jusqu’à ce qu’un botaniste liégeois, Charles Morren réussisse, en 1836, la fécondation artificielle de la vanille. Sa technique a, depuis, fait le tour du monde, popularisant largement sa consommation.
Les Mayas ont toujours montré un grand intérêt pour la botanique. Mais aussi pour les préparations culinaires. Ce sont eux qui, les premiers, ont utilisé la vanille pour adoucir les préparations cacaotées consommées lors des cérémonies rituelles. Ils avaient découvert, presque par hasard, les effets olfactifs de ces gousses, issues d’orchidées sauvages et qui, tombant à terre à peine mûres, fermentaient sous l’humus en dégageant un arôme exquis. C’est Christophe Colomb qui, ayant à son tour découvert ses bienfaits gustatifs, rapporta cette épice en Europe, confiant aux botanistes de l’époque le soin de bouturer quelques orchidées soigneusement conservées. Las, sous le climat ibérique, ces derniers obtinrent bien de splendides fleurs, mais jamais ils ne réussirent à les reproduire, ni à faire apparaître les gousses si nécessaires à produire l’arôme recherché. En fait, ils découvrirent que seule une espèce d’abeille, ne se trouvant que dans la région de Vera Cruz au Mexique, était capable d’assurer la reproduction croisée des fleurs de vanille en s’introduisant dans leur calice.
À Liège, un esprit plus que curieux s’intéresse au phénomène. Né à Gand le 3 mars 1803, Charles Morren peut être considéré comme un touche-à-tout. Dès son plus jeune âge, il collectionne les formations et les diplômes. Il s’intéresse aux mathématiques, à l’histoire naturelle, à la botanique, à l’anatomie, à la médecine, à la paléontologie, à la physique, à la zoologie. Il publie sur tout : de l’anatomie du lombric à la découverte d’ossements fossiles dans le Brabant méridional, en passant par la flore du Japon, l’appareil costal des batraciens, la monstruosité de certains pépins de pomme, l’utilité des vers luisants en horticulture ou l’influence de la lumière dans la manifestation des êtres organisés,…
En 1835, il est nommé professeur de botanique à l’Université de Liège. Sa première action vise à doter sa faculté d’un véritable jardin botanique où il pourrait présenter arbres et plantes nécessaires à illustrer son cours. Dans d’anciennes serres, il va ainsi découvrir quelques vieux pieds de vanilliers. Ils avaient, semble-t-il, déjà fleuri mais étaient toujours restés stériles. Patiemment, il étudia l’organisation de ces fleurs, récolta les travaux réalisés par d’autres sur le sujet et imagina une fécondation artificielle. Pour ce faire, il utilise une aiguille, qui va soulever la membrane séparant le stigmate de la pollinie et exercer une petite pression sur le sac pollinique. Il vit ainsi s’ouvrir sa première fleur, le 10 février 1836 et, un an jour pour jour plus tard, le 10 février 1837, elle donnait le premier fruit de vanille jamais apparu hors Mexique.
Fier de sa découverte, Charles Morren fait dresser, toujours à Liège, une vaste serre capable d’accueillir ses plants. De toute l’Europe, on vient admirer ces lianes aux fleurs et aux fruits si olfactifs. Sa technique est très vite imitée et exportée. En 1841, sur l’île Bourbon (l’actuelle Réunion), un jeune esclave de douze ans, prénommé Edmond trouva, lui aussi, une technique de pollinisation, offrant à son île un nouveau destin. Celui de premier producteur mondial de la vanille. Dans les livres d’histoire botanique, il est ainsi erronément considéré comme étant l’inventeur de la méthode. C’est oublié ce qui, quatre ans avant lui, avait été mis au point sur les bords de Meuse.
Charles Morren, il est vrai, est passé à tout autre chose. Toujours aussi dispersé dans ses recherches, il va s’atteler à une autre passion : le journalisme. Il publie une quantité de magazines horticoles et agricoles, dont il est le principal, si pas le seul rédacteur. Épuisé par tant d’activités, il devait mourir prématurément, le 17 décembre 1858, à l’âge de 51 ans. Sans jamais avoir pu profiter, gastronomiquement, des bienfaits de sa découverte.