L’être unique à plus d’un nom

L'être unique à plus d'un nom

Au fond d’une allée du cimetière municipal de Court-Saint-Etienne, à un jet de pierre de l’abbaye de Villers-la-Ville, quatre sphinx de pierre veillent sur un insolite monument funéraire dont l’ordonnance évoque les vieux tombeaux hindous. 

C’est un kiosque carré à deux étages, surmonté d’un dôme sphérique. Ses murs, colonnes et linteaux sont couverts de symboles, d’hiéroglyphes, de citations morales ou théologales relevant des philosophies et religions les plus diverses. Le thème de l’ornementation extérieure est résumé par la phrase qu’on lit gravée sur son fronton : L’ÊTRE UNIQUE A PLUS D’UN NOM.

Cet aphorisme est exprimé en douze symboles frappés dans les colonnes d’angle et observables en tournant tout autour du monument dans un sens anti-horlogique : le Chrisme chrétien, le Tétragramme judaïque, le EI du temple de Delphes, le monogramme OUM des brahmanes, le nom d’Allah, des caractères runiques composant l’Odin scandinave, les Foudres de Jupiter latin, le Marteau triple des Celtes, la Roue bouddhique, Mazda ou le Feu des Perses, le AN cunéiforme des Chaldéens et, enfin, l’idéogramme Thian qui désigne le ciel chez les Chinois. Quant aux symboles intérieurs, ils évoquent le destin de l’homme et sa survie après la mort.

Ce mausolée est aussi bâti selon une stricte symbolique géométrique, numérale et zodiacale. Sa base est un carré de 5 mètres de côté tandis que le monument auquel on accède par un escalier de sept marches mesure exactement 12 mètres de haut. Les angles de ce carré indiquent les points cardinaux et la porte de la crypte souterraine, tournée vers l’orient, est marquée de la rose et de la croix, sous un linteau portant le disque ailé d’Horus, le dieu du soleil levant. Le sommet de la pierre cubique portant les épitaphes est orné d’une ancre posée sur une étoile flamboyante à celui de l’ancre paléochrétienne, inséparable du fameux carré magique de 5. Un obélisque, élevé par une famille apparentée, complète l’étonnant ensemble. 

C’est le comte Eugène Goblet d’Alviella qui conçut ce monument peu ordinaire en 1885. Il le fit réaliser par l’architecte Samyn, dans le but d’y inhumer la dépouille de sa mère, la comtesse d’Auxy de Neufvilles. Il est vrai que le château d’Auxy à Casteau, où Goblet avait passé une partie de sa jeunesse, était une demeure tout aussi étrange, sculptée et peinte de sujets symboliques, de la cave au grenier, sous la garde d’un même groupe de sphinx. 

Hélas, pour sauver cette bâtisse, on crut bien faire en la léguant à une communauté religieuse. On la dédia à saint Joseph puis, un beau jour, on la dynamita. Imprégné de l’univers hermétique qui régnait chez les comtes d’Auxy, Goblet d’Alviella ne pouvait manquer de s’intéresser aux grands mystères. Il se fit donc initier dans une loge bruxelloise dont il devint plus tard un des hauts dignitaires, se consacrant à l’étude des symboles et de leur migration. Recteur de l’ULB, ministre d’État, il mourut octogénaire en 1925 et repose désormais aux côtés de sa mère, dans l’extraordinaire tombeau qu’il s’était ainsi préparé de son vivant, à quelques pas de son château de Court-Saint-Étienne.

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