On les appelle les Beubeux. En réalité, il s’agit d’apparitions insolites échappées d’un univers dantesque. C’est une procession multiséculaire au sein de laquelle des inconnus aux allures fantomatiques déambulent dans les rues de la cité de Mons. Ces hommes mystérieux ont la face entièrement voilée de noir. Ce sont des êtres étranges, des hommes sans nom qui viennent de nulle part.
Les mains cachées au fond de larges manches, ils ont peur de dévoiler leur identité. Les Beubeux sont revêtus d’une ample cagoule à capuchon, d’une longue robe faite de toile noire, d’une ceinture de corde, et ils tiennent un chapelet de bois noir entre leurs mains. Ils ont une apparence spectrale et ne manquent pas d’impressionner.
Sur le bras gauche, ils portent une plaquette ovale peinte et représentant le chef de saint Jean-Baptiste, leur patron. En silence, ils suivent leur croix processionnelle encadrée de deux lanternes en cuivre. Une crécelle laisse sur le spectateur une impression lugubre. Son crépitement simule l’entrechoquement des os, ce qui provoque un certain malaise sur le passage de cette confrérie.
Pourquoi les appelle-t-on les Beubeux ? Certains prétendent que beubeu serait une onomatopée censée évoquer la récitation monotone des litanies (be… be… be…) marmonnées par les anciens confrères qui accompagnaient les suppliciés. Pour d’autres, le mot beubeu serait le synonyme de cagoule. Au XVIIIème siècle, les beubeux étaient au nombre de vingt-trois.
Chose curieuse, c’était le Grand Maître de la loge montoise appelée la Parfaite Union qui dirigeait la confrérie. On y trouvait aussi du beau monde. En certaines occasions, les beubeux recueillaient, aux portes des églises et des couvents, des oboles de secours pour nourrir les nombreux infortunés. Les quêtes étaient parfois fructueuses, surtout celles réalisées aux portes de la collégiale Sainte-Waudru.
Les beubeux sortaient le soir du Jeudi-saint. Ils parcouraient les rues de la vieille cité en récitant leurs sinistres chapelets. Le bruit de leur crécelle sollicitait les aumônes. Les lanternes éclairaient faiblement les objets plongés dans la nuit. C’était hallucinant, à la frontière du réel.
Jadis, les beubeux assistaient de leurs prières les condamnés à mort et leurs tenaient des discours propres à consoler leur âme affligée. Ils les réconfortaient de leur présence apaisante durant la nuit qui précédait leur exécution. Sur deux files, avec des crucifix et des lanternes, ils précédaient le criminel de la prison jusqu’au lieu du supplice. Sur le chemin, ils faisaient aussi la quête pour couvrir les frais de suaire, de cercueil et de messe. Les dépouilles des suppliciés étaient inhumées dans le cimetière de saint Jean le décollé.
La confrérie possédait un privilège curieux. Tous les ans, le jour de la décollation de saint Jean-Baptiste, un condamné à mort était libéré. Précédé de la croix, les beubeux allaient le prendre à la prison et l’amenaient processionnellement à la chapelle pour lui remettre les patentes libératrices. Il leur arrivait aussi de racheter les prisonniers de guerre. Ils assuraient leur existence précaire et s’efforçaient de les rapatrier. Leurs activités charitables étaient rendues possibles grâce à quelques dons, legs et rentes diverses.
Après la suppression de la confrérie par Joseph II en 1786 et par les révolutionnaires français en 1792, celle-ci fut reconstituée en 1807 et s’installa dans la chapelle Sainte-Marie-Madeleine jouxtant le couvent des Sœurs-noires. On retrouve toujours les beubeux à Mons lors de la sortie de la procession du Car d’Or.