Les catholiques n’avaient pas de Bible...
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même », un commandement sorti tout droit du Nouveau Testament. Plus spécifiquement de l’Épître aux Romains rédigée par l’apôtre Paul à l’attention de l’Église de Rome. Les spécialistes s’accordent à dire que les idées développées dans cette épître forment le fondement de la doctrine des Églises chrétiennes… Nos catholiques l’avaient peut-être oublié, à moins que le fait d’avoir « leurs » pauvres et quelques œuvres de charité n’ait suffi à ces fidèles de Dieu.
Pourtant dans Rerum novarum, une encyclique parue en mai 1891, le pape Léon III explique la doctrine sociale de l’Église catholique. Ce texte condamne « la misère et la pauvreté qui pèsent injustement sur la majeure partie de la classe ouvrière ». L’Église, du moins certains en son sein, dénonce les excès du capitalisme et encourage le syndicalisme chrétien et le catholicisme social.
En Flandre, une région à la traîne en matière de revendications, parce que Monsieur le Curé est encore « la » référence, un personnage va essayer de faire bouger les choses : Adolf Daens. Qui en 1893, fonde le Parti social-chrétien et présente une liste aux élections de 1894. Comme on pouvait s’y attendre, la presse catholique se déchaîne contre notre abbé, l’attaque de toutes les manières y compris les plus basses et va certainement jusqu’à truquer les élections. Les catholiques conservateurs décrochent la majorité absolue à Alost. Mais Daens porte plainte pour fraude. La Chambre décrétera qu’il y a juste eu une erreur lors du décompte des voix ! On revote et Daens entre au Parlement. Naturellement, ses actions pour améliorer les conditions de vie des gens du peuple lui valent encore une fois toute l’hostilité des bons catholiques ! Le roi Léopold II, fervent catholique (il suffit de voir la manière dont il conduit sa vie), intervient même auprès du pape Léon XIII pour se débarrasser de ce prêtre qui vous transformerait de bons catholiques en révolutionnaires ! N’oublions pas qu’à la fin du 19e siècle, un député du parti chrétien, le bon, celui qui est au pouvoir, défend encore le travail des enfants avec un argument tel que celui-ci : « (le travail) leur évite de traîner dans la rue en l’absence de leurs parents, leur apprend des vertus essentielles comme l’effort ou le courage et leur donne un métier… » C’est pas beau la charité chrétienne ?
L’État et l’Église finirent par avoir raison de Daens. Ici sans avoir recours à la troupe. Les vexations, les pressions de la hiérarchie, le pape même, qui consent à ce qu’on le démette de ses fonctions, feront rentrer dans le rang le prêtre trop révolutionnaire. Il finira sa vie en faisant du porte-à-porte pour survivre. Mais, éclair (divin ?), sur la fin de sa vie, Charles Woeste, le leader catholique de cette époque, écrira dans ses mémoires qu’« on s’occupait peu, beaucoup trop peu du peuple » (l’eussions-nous cru ?).
Au niveau flamand donc, il n’y avait pas trop de souci à se faire de la part des plus nantis. Le Flamand, depuis la fin du MoyenÂge, n’a plus rien du révolté. Le moins que l’on puisse dire est qu’il est loin d’être à l’avant-garde de la lutte pour le progrès social. C’est vrai que le jour où Flamands et Wallons se sépareront, ils devront mettre, dans la balance des comptes, l’argent que les Flamands ont gagné plus tôt grâce aux Wallons. Ça aussi, c’était du transfert social, non ? Quand les Wallons mouraient pour des avantages sociaux, les Flamands, qui n’avaient pas bougé, en profitaient. Gagner dix ou vingt ans de droit social pour des millions de personnes, ce n’est pas rien au moment du décompte final !
En attendant ce temps d’une séparation moult fois annoncée puis reportée, revenons à l’échelle du pays d’où nous avions « chassé les esclavagistes en 1830 ». En 1895, de peur de voir le parti ouvrier l’emporter, on adapte « un peu » le pseudo nouveau suffrage universel. Le changement fait passer à 25 ans l’âge minimum pour voter et, après les citoyens à deux voix et ceux à trois voix, on crée les Belges à quatre voix. La quatrième voix étant accordée à ceux qui paient au moins 150 francs de revenu cadastral. En 1901, de nouvelles manifestations du P.O.B. pour réformer les lois électorales et réviser la Constitution sont de nouveau durement réprimées par les forces de l’ordre. Cette année-là, malgré les arrêtés royaux réglementant le travail dans les industries malsaines, il y a encore de nombreux enfants qui y travaillent.
En 1902 c’est reparti, de manière non concertée, pour la grève en faveur du suffrage universel. Elle est soutenue par une grande partie de la population et, chose très rare, elle l’est aussi par certains militaires. À Gand, il y a même des unités de notre armée qui établissent des barrages dans les rues, le tout en chantant bien fort… La Marseillaise, bien sûr ! Ça vous a des airs de révolution, et des militaires qui pointent leur fusil ailleurs que sur les ouvriers, ça vous ferait paniquer n’importe quel bon bourgeois. Il faut donc défendre « le Roi, la Loi, la Liberté » et envoyer d’autres militaires pour écraser tout ça. Du coup, on reprend les bonnes vieilles habitudes et, le 18 avril à Louvain, il y a cinq morts.
La chose étonnante, là, ce n’est pas tant la répression et les quelques militaires rebelles, mais aussi et surtout le fait que, pour une fois, ce type d’événement se passe en Flandre. Une Flandre campagnarde, à la traîne aussi bien économiquement que socialement, et très catholique donc très respectueuse de l’autorité.
On l’a dit, tout ou presque se passe en Wallonie. Mais est-ce pour autant qu’il y a une conscience wallonne ? Comme on l’a parfois affirmé, la Wallonie est-elle née de la grève ? Peut-être pour certains mais pour beaucoup d’autres non. Les grèves et les progrès sociaux y sont nés, c’est indéniable, mais peut-on parler d’une conscience wallonne ? Certains le veulent depuis longtemps et elle a certainement dû exister, comme nous l’avons vu à quelques moments de notre histoire. Mais actuellement, le Wallon n’est pas wallon, il est le dernier vrai Belge. Par patriotisme ? Peut-être. Mais alors, ils n’ont rien laissé, ces Wallons des villes comme Liège et Charleroi qu’ils voulaient ériger en républiques, ces Wallons qui voulaient chasser le roi et appeler la France à la rescousse en 1950 ? Certaines mauvaises langues disent que, mis à part une conscience de lutte de classes, il n’y a pas plus de Wallons qu’il n’y a de Belges.
Le Liégeois est imbu de lui-même et se veut avant tout principautaire. Du Luxembourg, il ignore tout, sauf un verre de temps en temps à La Roche. Car, neuf fois sur dix, quand il a un week-end, il file « à la mer » (Knokke ou Blankenberge selon ses moyens). Il n’a jamais eu la moindre raison de mettre un pied dans le Hainaut et méprise le Namurois qui n’est que le citoyen d’un gros village où on ne sait pas faire la fête et qui a usurpé le titre de capitale de la Wallonie. Le même Namurois, lui, considère le Luxembourgeois comme un paysan mal dégrossi, le Liégeois comme un personnage vulgaire et les gens du Hainaut comme des porteurs de survêtement juste bon à déclencher des grèves. Ils ne se sentent proches que des Brabançons qui eux-mêmes éprouvent le mépris le plus profond à tout ce qui peut avoir un accent wallon et ne rêvent que d’une chose, se rattacher aux communes francophones de Bruxelles et, qui sait, même à la Flandre. Les Hennuyers eux font l’unanimité contre eux et, de toute façon, ne s’aiment pas entre eux. Il suffit de voir ne serait-ce que les rivalités de leurs barons en politique. Ou de relire ce que Gonzalès Decamps, né en 1852, chercheur, passionné d’Histoire, journaliste notamment au « Journal du Hainaut », au « Journal de Mons », à «L’Indépendance belge » et rédacteur en chef à « La Province », écrivait sur ses voisins : « Dans le Borinage vit une population spéciale, vouée depuis des siècles, de l’enfance jusqu’à la mort, aux rudes travaux des fosses, ne sachant accomplir que cette besogne (…). Il y a là de véritables nègres de l’industrie, nègres par leurs occupations absorbantes et dangereuses autant que par la poussière noire qui recouvre leurs visages. Ces gens ont bien des défauts ; ils sont dus surtout à un travail qui n’est pas de nature à vivifier leur intelligence et à développer leur sensibilité morale… »
On estime que les humains actuels d’origine européenne ou asiatique ont hérité en moyenne de 1 à 3 % du génome de leur cousin néandertalien, dont l’espèce s’est éteinte il y a environ 30 000 ans. On peut paraphraser cela en disant qu’il reste aussi peu du Wallon indépendantiste dans l’ADN du Wallon d’aujourd’hui que du Neandertal chez nous. Comment ce gauchiste républicain antibelge et pro wallon estil devenu royaliste belgicain ? Dans le même temps, le Flamand est passé quant à lui de belgicain royaliste à républicain indépendantiste. Par peur de dépenser trop pour le second et par peur de ne plus bénéficier des transferts Nord-Sud pour le premier ?