Les Béguines de Lambert… Le Bègue

Les Béguines de Lambert... Le Bègue

Pendant des siècles, on a attribué à sainte Begge la fondation, au VIIe siècle, de l’ordre des béguines, la première communauté de religieuses au monde. Aujourd’hui, les historiens peuvent prouver qu’il n’en est rien. Cette institution est née bien plus tard, au milieu du XIIe siècle, à l’initiative d’un prêtre liégeois qui souhaitait offrir à de jeunes femmes un style de vie plus évangélique que celui proposé par le clergé de l’époque. Et le nom de la communauté proviendrait tout simplement du surnom dont il fut affublé : Lambert le Bègue. On ne sait pas grand-chose sur les origines de Lambert Le Bègue. Pas plus sur les moyens dont il a pu compter pour réaliser ses projets évangéliques. Tout au plus sait-on qu’il naquit au XIIe siècle, probablement vers 1131, et qu’il construisit à Liège, vers 1179, et de ses propres deniers, l’église Saint-Christophe.

À l’époque, le siège épiscopal de Liège était occupé par Raoul de Zäringhen, plus occupé à accroître le pouvoir de la principauté qu’à y faire respecter l’ordre et les bonnes moeurs. Liège était devenu un lieu de débauche. Tant pour le peuple que pour le clergé qui avait perdu de vue ses règles les plus élémentaires. Le célibat des prêtres était devenu un vieux souvenir et la simonie, avec tout ce que cela représente pour la conservation du patrimoine religieux, régnait en maître.

Simple prêtre, Lambert le Bègue ne le supportait plus. Bien que timide, peu instruit et peu éloquent, il se mit à prêcher contre tous ces vices et à construire, autour de son église, de petites maisonnettes destinées à accueillir des femmes ou des jeunes filles dévotes souhaitant renoncer au mariage pour vivre, dans la tranquillité et le culte de la vertu. Ainsi naquirent le premier béguinage et les premières béguines, un nom issu du surnom donné à Lambert en fonction de ses difficultés d’élocution. Le concept, né de son imagination fit, bien vite, le tour de l’Europe.

Si le peuple, touché par les paroles et les arguments de notre homme en fit très vite un exemple, ses collègues du clergé n’apprécièrent guère ses leçons de droiture. Pour eux, il s’agissait plus d’un agitateur insoumis, à coup sûr hétérodoxe. Il est vrai que Lambert n’allait pas par quatre chemins pour dénoncer, non sans imprudence mais aussi exagération, le comportement de bon nombre de prêtres et se faire, sur leur dos, une réputation. En juin 1180, alors qu’il était en train de prêcher avec plus de véhémence que d’habitude, il fut mis à mal par un clergé déchaîné.

Henry Delvaux raconte : « Ne se croyant en sûreté qu’à l’ombre des voûtes du sanctuaire, il se réfugia dans la cathédrale, et là, au pied de l’autel de la Vierge, il se jeta par terre, les bras étendus en croix, voulant ainsi rappeler à tous saint Lambert, de glorieuse mémoire, qui, à cette même place et dans cette même position, avait subi le martyre quelques siècles auparavant. Levant ensuite les yeux sur l’autel de la Vierge, il s’écria : « Hélas, hélas ! voici que vient le jour, où sous ton sol, les pourceaux fouilleront la terre, où ton autel édifié à l’honneur des saints deviendra une étable pour les animaux immondes. » Il n’eut pas plus tôt achevé ces paroles, rendues prophétiques par les événements, que des prêtres, oubliant le respect qu’ils devaient tant à eux-mêmes qu’au lieu où ils se trouvaient, le frappèrent à coups de poing et de bâton, lui lacérant le visage de leurs ongles et lui arrachant la barbe et les cheveux. Bien plus, ils prièrent l’évêque de faire incarcérer Lambert. »

Sous pression, Raoul l’emprisonna donc au château de Revogne près de Rochefort. C’est dans cette prison que, aidé par saint Paul selon la légende, il traduisit du latin en français les « Actes des Apôtres ». Le peuple de Liège, en revanche, n’apprécia guère qu’on le sépare de celui qu’il considérait comme un prophète, voire un saint homme. Et il le fit savoir au prince-évêque. Raoul l’envoya dès lors à Rome afin que le pape en personne se rende compte de la dangerosité d’un tel prêtre. Pour l’évêque, Lambert était un fou, un simple d’esprit, juste bon à être conduit au bûcher. Pour se défendre, il écrivit un mémoire, encore conservé dans les caves bien gardées du Vatican, appelé l’antigraphum. Il y explique que dans son Église, il n’y a plus d’hommes spirituels et saints, pas plus parmi les prêtres que dans les rangs des laïcs. Aussi, selon lui, les fidèles doivent-ils éviter leurs pasteurs, comme les brebis fuient les loups. Lui-même, écrit-il, se sépare de l’Église pour se ranger du côté de Jésus-Christ. Il ne veut pas non plus du repos du dimanche, parce que les fidèles l’emploient à tout autre chose qu’à glorifier Dieu. Contre toute attente, le souverain pontife se rangea à ses arguments. Il trouva même en Lambert un homme simple, pur et droit. Et il le renvoya dès lors à Liège avec autorisation de prêcher, avec certes un peu plus de retenue à l’égard des prélats, estimant que le prêtre pouvait même faire grand bien au peuple mosan.

Las. Affaibli par son voyage à Rome, Lambert n’eut pas beaucoup l’occasion de sensibiliser les âmes liégeoises. Il mourut peu après son retour et fut inhumé dans l’église Saint-Christophe qu’il avait bâtie et qui était entourée de ces béguinages auquel il avait tant donné. Jusqu’à son nom ! Peu de temps après, c’est la cathédrale Saint-Lambert qui fut détruite par un violent incendie. Les Liégeois ne manquèrent pas de voir dans cet événement l’accomplissement de la prophétie de Lambert, lors de son arrestation dans la cathédrale. Ses biographes, pour ne pas dire hagiographes ajoutèrent quelques touches pour en faire un héros populaire.

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