Le régime bourguignon

Le régime bourguignon

Chance de pendu pour un lépreux

En 1452, au siège de Poucke, en Flandre, le preux chevalier bourguignon Jean de Lalaing reçut sur la tête une pièce de bois provenant de l’affût d’un canon, éjectée au moment du tir, et en mourut. Son héroïsme fut d’autant plus grand qu’il arrivait avec une blessure à la jambe d’Adenhove, d’où il avait réussi à chasser les Gantois, ne quittant le bourg qu’après l’avoir dévasté. Après le siège, les Bourguignons exécutèrent les habitants en les pendant aux branches des arbres, n’épargnant qu’un lépreux, quelques enfants et le clergé.

Le plus grand désastre de l’histoire liégeoise

Par le traité de Saint-Trond (décembre 1465-janvier 1466), le pays de Liège est placé sous la tutelle de la maison de Bourgogne et de son duc, l’impétueux Charles le Téméraire. Le pouvoir du prince-évêque Louis de Bourbon, neveu de Philippe le Bon – que celui-ci avait imposé à l’État épiscopal liégeois en 1456 –, n’a plus qu’un pouvoir déliquescent dans un pays qui le déteste. À la fin de l’année 1466, il se réfugie dans la place forte de Huy, devenue momentanément la capitale de la principauté et le siège de l’évêché. Le pays se rebelle et les révolutionnaires investissent la petite cité mosane d’où Louis de Bourbon s’échappe à grand-peine. La vengeance de Charles ne se fait pas attendre. Il lève une armée et anéantit les troupes liégeoises à Brusthem, près de Saint-Trond, le 28 octobre 1467. Le 17 novembre suivant, Charles le Téméraire et son armée arrivent à Liège, en compagnie de Louis de Bourbon. Le 26 novembre, pour punir les habitants de leur insubordination, le Téméraire supprime toutes les institutions communales et libertés du pays, ordonne de raser les remparts et impose une énorme contribution. Le Perron, symbole des libertés, est renversé et transféré à Bruges. Les Liégeois décident de résister, sous le commandement de Vincent de Buren, et réussissent à capturer l’évêque, réfugié à Tongres. Le 26 octobre 1468, ils tentent de déloger les soldats bourguignons des faubourgs de la ville. En colère, le duc contraint Louis XI, qui avait soutenu la révolte, à le suivre à Liège pour assister à son anéantissement. Le lendemain, il établit son armée sur la Montagne-Sainte-Walburge, surplombant la ville. Liège fait appel à tous les volontaires et à un contingent d’hommes de Franchimont, associée à la défense de la Cité en contrepartie de privilèges. Dans la nuit du 29 au 30, « six cents Franchimontois », d’après la tradition – 300 ou 500, selon les historiens –, sous la conduite de Gosuin de Streel et de Vincent de Buren, font irruption dans le camp bourguignon par la porte de Sainte-Marguerite, pour investir les habitations où résident le duc et le roi. Les premiers arrivés sur le plateau feignent d’appartenir à l’armée du duc, dont ils portent le sautoir sur leurs habits. Ils conversent avec des femmes du camp bourguignon en attendant d’être rejoints par leurs compagnons d’armes. Mais leur patois et leur accent les trahissent et l’une des femmes fait part de ses soupçons à ses compagnes. Aussitôt, se voyant découverts, les Franchimontois se précipitent sur elles pour les égorger. L’une d’elles se jette dans un fossé rempli d’eau et pousse des hurlements qui alertent le camp. Le gros de la troupe des Franchimontois avait bien réussi à maîtriser les sentinelles et à s’introduire sur les lieux, mais ils avaient perdu trop de temps à combattre l’ennemi au lieu de gagner directement l’aile du camp où logeaient Charles le Téméraire et Louis XI.

Considérés comme parjures, les Liégeois allaient le payer très cher. Dès le lendemain, 30 octobre, les Bourguignons investissent la ville. L’effet de surprise est total, car les Liégeois – écrit Philippe de Commynes – « estimoient, pour ce qu’il estoit dimanche, qu’on ne les assailiroit pas ». Un coup de bombarde et deux coups de serpentine annoncent le début du drame. Seuls les vieillards, les femmes et les enfants sont autorisés à s’enfuir. La ville est « bien butinée » par des troupes qui n’attendaient que cela. Les habitants qui se sont réfugiés dans les innombrables églises sont rançonnés, égorgés, pendus ou jetés dans la Meuse, du haut du pont des Arches, par grappes de dix à douze. Le nombre de victimes est évalué à 4 ou 5 000, sur une population de 20 à 25 000 âmes. Vincent de Buren et Gosuin de Streel, qui ont réussi à se sauver, échappent au massacre.

Quant à l’incendie de la Cité, il débute le 3 novembre et perdure sept semaines. Durant tout ce temps, sous la direction de Frédéric de Wittem, maréchal du duc de Limbourg, des équipes d’incendiaires et de démolisseurs s’acharnent à transformer l’espace urbain en champ de ruines. Toutefois, Charles, avait exigé qu’on épargne les églises. À quatre lieues, prétend Commynes, « nous oyons le bruit comme si nous eussions été sur le lieu. »

Bien plus tard, le bourgeois messin Philippe de Vigneulles, né en 1471, raconte les événements qui ont le plus durement frappé les esprits. Parmi eux, il retient le sac de Liège, à l’occasion duquel « les gens d’armes n’espargnoient personne, même pas les petits enfants innocents ; ainçois les cruels soudards coupèrent la gorge à aulcunes vierges, après qu’ils les eurent violées et gâtées. Et encore ne furent les inhumains ennemis saoulés de tant cruelle occision, car ils pillèrent toute la cité, faisant autant sacrilèges, brûlèrent la ville, abattirent les murailles, et des ruines remplirent les fossés. » Dans la chronique obituaire de la Chartreuse à Liège, un moine a noté : « 1468. L’année où Liège a péri. » Mais l’entreprise de démolition, entravée par les rigueurs de l’hiver, n’a pas été totale. On estime qu’un tiers des habitations, sans compter les églises, aurait échappé à la destruction.

Après la mort du Téméraire, en avril 1477, et sur l’ordre de Marie de Bourgogne, le Perron est ramené place du Marché, dans la liesse populaire.

Depuis 1880, un escalier – dénommé parfois Sî Cints grés (600 marches, mais il n’y en a que 374) – gravit la Montagne de Buren, jusqu’aux vestiges de l’ancienne citadelle, pour commémorer l’événement le plus dramatique de l’histoire liégeoise. Mais, en fait, les Franchimontois ne sont jamais passés par-là pour accomplir leur tentative ratée…

Fin de vie atroce pour Marie de Bourgogne

Par un beau matin de mars 1482, rompus à l’exercice de la chasse, Marie et Maximilien partirent au galop du château de Wynendaele (Flandre occidentale) pour participer à une chasse à l’oiseau organisée pour la Cour par le duc de Clèves. Marie suivait à distance Maximilien et sa suite, cavalant en direction du « Bois au roseau ». Montant en amazone sa jument blanche, le faucon au poing, elle captura un héron puis se lança à la poursuite d’un autre. Soudain, au moment de franchir un fossé, sa monture se cabra violemment, les sangles cassèrent sous le choc et elle chuta sur les mains et les poignets. Le cheval s’abattit sur elle et l’écrasa en partie de tout son poids. Aussitôt, elle fut amenée dans une maison voisine sur une litière de branchages improvisée. Marie rassura son entourage mais, selon Commynes, elle était déjà affaiblie par une quatrième grossesse. Sa souffrance dut être atroce : la moelle épinière était touchée, quatre côtes du thorax brisées entravaient sa respiration, sa main droite s’était enfoncée en « baïonnette » sur l’avant-bras et la gauche s’était entièrement retournée. Marie manifesta le souhait d’être ramenée au château du Prinsenhof à Bruges où ses médecins, impuissants, en furent réduits à lui faire avaler une potion calmante et à l’enduire d’une préparation huileuse. Son état s’aggrava et la fièvre ne la quitta pas. Le 24, en présence de Maximilien, de notaires et de témoins, elle dicta ses dernières volontés. Tout Bruges se mit en prière et, le 27, les reliques de Saint-Donat et la châsse du Saint-Sang furent promenées à travers la ville et introduites dans sa chambre. La duchesse mourut le même jour, vers 23h, de ce que les spécialistes qualifient de nos jours d’hémo-pneumothorax. Elle fut aussitôt embaumée et revêtue d’une robe noire brodée d’une croix d’or. Si, au repas des funérailles, le 3 avril, Maximilien n’était pas en état d’avaler grand-chose, les pauvres, eux, engouffrèrent les mets et burent à volonté. Le lendemain, ils furent quatre mille à tendre la main pour recevoir l’obole du sous pro domo et à prier pour la défunte.

Sa dépouille repose en l’église Notre-Dame, sous un magnifique monument réalisé entre 1495 et 1502 par l’artiste bruxellois Pierre de Beckere, qui montre la duchesse dans toute la sérénité de la mort.

La place de Mons au début du 19e siècle

Des bâtards à tire-larigot

Le XVe siècle serait-il celui de l’immoralité par excellence ? En tout cas, la licence des mœurs ne semble plus étonner personne.

À propos de la Cour de Bourgogne, Commynes évoque les « ébattements désordonnés avec les femmes », propres au temps. Il n’est pas un grand seigneur qui, alors, n’ait maîtresses et bâtards. C’est même, dirait-on, à celui qui en aura la plus grande collection. Le record semble détenu par le duc Jean II de Clèves (1481-1521) qui aura 63 enfants naturels. Philippe le Bon (1419-1467) ne se défend pas mal avec ses 18, suivi de près par le prince-évêque de Liège Jean de Heinsberg (1419-1455). Et rien n’empêche plus tard ces enfants de devenir de hauts dignitaires légitimés, même des évêques.

 

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