Le major Jules Sabbe « À Quelques jours près... »
Le major Jules Sabbe, naît le 4 septembre 1870, dans le Hainaut, dans un petit coin de la Wallonie Picarde située entre Tournai et Courtrai, à Pecq plus précisément. Après avoir ter- miné son secondaire inférieur, il s’engage, à l’âge de 16 ans, au 3e Chasseurs à Pied, à Tournai. Il est envoyé à l’École régi- mentaire de Menin, où il gagne ses galons de caporal en 1886, puis de sergent en 1888, de sergent-major en 1890 et enfin d’adjudant, en 1892.
Le 26 juin 1913, il est nommé capitaine-commandant et, le 4 août 1914, il part en campagne à la tête d’une compagnie. Il aura très rapidement son baptême du feu. Dès le 4 août 1914, la 3e Division est devant Liège, aux prises avec le corps de cava- lerie de von der Marwitz. Le 5, la 43e Brigade allemande qui est engagée à la suite de la 38e dans le bois Saint-Jean, entre les forts de Boncelles et d’Embourg, s’avance en direction du Sart-Tilmant, dont les redoutes 4, 5 et 6 sont défendues par un bataillon du 14e de Ligne de forteresse.
Ce mouvement oblige les défenseurs à battre en retraite, lorsque surviennent les 1er et 2e Bataillons du 1er Chasseurs à Pied. La situation est critique, mais les chasseurs refoulent les Allemands et réoccupent momentanément les redoutes. Dès ses premiers engagements, le commandant Sabbe est en permanence à la tête de ses hommes et au cours de ces contre-attaques, il fait déjà preuve de la plus grande vaillance. Après Liège, ce sera la Dyle, et les combats aujourd’hui oubliés de Muysen, Haecht, Rymenam. Puis, avant l’arrêt sur l’Yser, le siège d’Anvers.
Partout, Sabbe se conduit avec courage et en novembre 1914, il est cité à l’ordre du jour de l’armée et décoré de la croix de guerre. Ça continue avec, en octobre 1915, son admission comme chevalier de l’Ordre de Léopold pour le courage avec lequel il a exercé le commandement de sa compagnie depuis le début de la campagne.
En 1916, il est nommé major et reçoit le commandement du 2e Bataillon du 1er Chasseurs ; c’est là qu’il servira jusqu’au bout en combattant à Dixmude, à Loo, à Ramscappelle ou encore à Merckem.
Le 17 avril 1918, à 8 heures du matin, le 33e Régiment de Landwehr à droite, le 5e régiment de fusiliers allemands marins au centre et le 84e Régiment de Landwehr à gauche s’élancent à l’attaque des positions tenues par la division du Général Jacques.
Le 1er Régiment de Chasseurs à Pied est rejeté des tranchées de Kippe et du point d’appui de «Castel Britannia». À midi, cependant, les vagues allemandes sont clouées sur place. Une heure après, épaulé par le 9e de Ligne, le 1er Chasseurs à Pied contre-attaque et réoccupe les positions qui venaient d’être cédées. Cette contre-attaque fait 779 prisonniers et 58 mitrail- leuses ainsi qu’un matériel considérable tombent entre les mains des Belges.
Le 29, pendant qu’une partie de notre armée s’empare du Sta- denberg, en faisant mille prisonniers et en s’emparant d’une trentaine de pièces d’artillerie allemande, la 9e division n’arrivera qu’après de nombreuses tentatives à s’emparer du sommet de Westroosebeke. Les Bavarois qui le défendent repousseront longtemps tous nos assauts. Mais les attaques se suivent sans discontinuer et on grignote chaque fois un peu plus de terrain. Les Belges traquent l’ennemi qui bat en retraite. Il faudra, pour arrêter nos soldats, de nombreux nids de mitrailleuses, une tempête de vent et de pluie et surtout que l’obscurité tombe sur le champ de bataille.
Les unités, usées par ces jours et ces nuits d’attaques, sont épui- sées et comptent toutes des pertes importantes. Certaines sont relevées.
Sabbe, qui commande le 2e Bataillon du 1er Chasseurs, reçoit l’ordre de reprendre l’offensive. La nuit est encore noire. À quatre heures précises, il doit s’élancer avec ses hommes. Au moment prévu, sans qu’un coup de feu soit tiré, il se rue en avant. La surprise est totale en face. La progression est rapide, jusqu’à ce qu’elle soit brisée par un barrage d’artillerie d’une vio- lence inouïe. Avancer devient un enfer, c’est chaque construc- tion qu’il faut investir pour se rendre maître du petit village de Gemeenehof, et tout cela en se faisant hacher par le tir meurtrier des mitrailleurs allemands. Courageux en diables, les Belges continuent à gagner du terrain. Sabbe, lui, commence à s’inquiéter: il devrait avoir, à ses côtés, une unité française, mais… rien ! Elle ne fait que briller par son absence.
Le jour levé, ne pouvant plus profiter de l’obscurité pour avan- cer, Sabbe donne l’ordre à ses hommes de stopper et de s’organi- ser pour défendre le terrain conquis. Bien lui en prend, car c’est à ce moment que l’ennemi se met à pilonner les Belges et qu’il se lance dans une contre-attaque qui, malgré des pertes élevées dans les rangs du major Sabbe, vient s’échouer sur les nouvelles défenses. Sabbe sait que sa situation est critique, il doit appeler à l’aide, il envoie des estafettes dans toutes les directions, mais sans résultat… Il n’a pas, non plus, de ligne téléphonique. Il es- saye aussi d’attirer l’attention des aviateurs en lançant des fusées et en utilisant des panneaux, mais toujours en vain.
Les Belges tiennent toujours et bloquent encore une nouvelle attaque grâce à un feu nourri, mais la situation devient plus désespérée à chaque minute ; les hommes de Sabbe sont à bout quand le major parvient à leur faire rompre le combat et les ramène dans les lignes belges.
La conduite courageuse et intelligente du major pendant l’of- fensive destinée à libérer le pays lui vaut d’être fait officier de l’Ordre de Léopold.
Le 14, le 1er Régiment de Chasseurs reprend, avec le reste de l’armée, l’offensive en direction de Gand et du cœur de la Bel- gique. Les chasseurs sont toujours aussi tenaces, et cela, malgré les ravages qu’une grippe fait dans leurs effectifs. Les Allemands ont repris du poil de la bête. Ils se sont ressaisis, ils résistent en faisant tomber sur les Belges une pluie de grenades, de bombes de mitraille et de gaz toxique. Malgré cela, les Belges de Sabbe courbent l’échine et continuent à progresser. Comme, depuis les premiers jours de la guerre, le major est en tête et galvanise sans arrêt ses hommes. Le 22 octobre 1918, dans un déluge de feu, un cri résonne: le major est touché d’une balle au cœur. L’aumônier se précipite et arrive juste à temps pour recueillir les derniers soupirs du commandant du bataillon. C’est d’autant
plus frustrant que la guerre est presque finie et que pendant quatre longues années, il est parvenu à sortir vivant de telle- ment de situations dangereuses.
La dépouille du major Sabbe sera ramenée dans son village natal le 25 juillet 1921. Des funérailles sont organisées en pré- sence des autorités, des écoliers, des enseignants et des anciens combattants. Ce sera, paraît-il, le plus bel enterrement que vit jamais le village de Pecq. La commune décida de donner le nom du major Sabbe à une de ses rues, qui se trouvait à proximité de la maison natale du héros. Quelques années plus tard, la caserne du 1er Chasseurs à Pied fut rebaptisée « Caserne major Sabbe » qui, aujourd’hui, est le bâtiment qui porte l’appellation de Carré des Arts. Seul souvenir encore présent à l’endroit : un petit monument à la mémoire du major.