Le forceps de Jean Palfyn
Les Belges, on l’a déjà écrit, ont beaucoup apporté à la connaissance du corps humain. Jean Palfyn a signé des ouvrages aussi importants que ceux d’André Vésale. Mais, même de son vivant, il a mis du temps à être reconnu pour son travail. Et de nos jours, ce n’est que pour avoir été l’inventeur du forceps que son nom a traversé les siècles.
Jean Palfyn (Jan Palfijn pour les Néerlandophones) est né à Courtrai le 28 novembre 1650, d’un père chirurgien-barbier. Il est bien évidemment destiné à prendre la relève. Mais ce dernier pratique la médecine humorale de Galien que Palfyn, comme bon nombre de ses contemporains, considère comme dépassée. Pour lui, il n’y a rien de mieux que l’étude anatomique pour comprendre le corps et ses maladies.
Pour mener à bien ses recherches, notre homme est prêt à tout. Jusqu’à exhumer les cadavres des cimetières de sa ville natale. Un beau jour de 1666, il va cependant être arrêté par la police alors qu’il est en train de déterrer un corps fraîchement enterré. C’est le scandale. Pour éviter le châtiment suprême, Palfyn, qui n’a que seize ans réussit, in extrémis, à prendre la fuite. Il se réfugie à Gand où il poursuit sa formation, de manière un peu plus académique, auprès des professeurs de l’école de chirurgie. On retrouve ensuite sa trace à Paris, probablement en qualité d’interne à l’Hôtel-Dieu. Il doit se faire oublier.
En 1675, pourtant, il est de retour à Courtrai. Mais l’accueil est loin d’être chaleureux. À quatre reprises, il est prié de rendre des comptes au Collège royal des médecins de sa ville. Mais il refuse de répondre aux convocations. Il est ainsi condamné par cet Ordre pour inobédience et, semble-t-il, pour possession d’un squelette. Une fois encore, il va devoir quitter sa cité natale pour se réfugier dans la petite ville d’Ypres où il pratique, humblement, l’art de la médecine. Mais Palfyn a de l’ambition. Il ne compte pas moisir dans cette petite ville qu’il considère de second ordre. Il va à nouveau passer trois années à Paris où il poursuit sa formation et entame l’écriture d’un ouvrage qui va lui ouvrir bien des portes, la Nouvelle ostéologie. Certes, ce n’est pas une étude révolutionnaire, comme l’était celle de Vésale. C’est un exposé méthodique sur les maladies des os. Un de ses contemporains, le professeur Regnard affirme même qu’il s’agit de l’ouvrage le plus complet et le plus exact qui ait été publié jusqu’alors sur la matière. La nouvelle ostéologie lui permet aussi de revenir à Gand avec les égards que l’on doit à une personne reconnue.
Les magistrats de la ville lui confèrent même le droit de bourgeoisie. Il va aussi rejoindre le corps professoral de l’école de médecine locale où, dit-on, il excelle par la clarté de ses exposés. C’est dans ce cadre aussi qu’il publie ses chefs-d’œuvre : Anatomie chirurgicale et Traité des principales opérations chirurgicales. On y trouve, pour la toute première fois, une description détaillée de diverses hernies étranglées, des conseils judicieux pour les sutures, pour l’extraction des polypes et des corps étrangers ou pour arrêter les hémorragies. Il y donne son avis sur le traitement du cancer du sein. Il préconise aussi l’usage d’instruments de son invention.
C’est l’un de ceux-ci qui va le rendre célèbre. Pratiquant les accouchements, Palfyn se rend compte que les accidents sont, dans le domaine, de plus en plus nombreux, notamment à cause des enclavements du crâne. Il comprend que si l’on parvenait à enlever la tête du nouveau-né entre les deux mains ou entre deux cuillères, sans nuisance pour la tête et pour la matrice, son extraction serait rendue plus facile. Et la sauvegarde de la mère plus sûre aussi.
Il va ainsi déposer un brevet pour un « tire-tête », appelé également « mains de fer », composé de deux branches, unies au moyen d’un axe mobile et terminées supérieurement par des cuillères de 21 centimètres de long sur cinq de large, dont la concavité s’adaptait à la tête d’un fœtus. C’est ce que l’on appelle, aujourd’hui, un forceps.
La paternité de cette invention fut, longtemps, contestée tant en France qu’en Grande-Bretagne.
Mais les historiens d’aujourd’hui ont la preuve que l’instrument de Palfyn fut rendu public en 1721, les « inventions » françaises ou d’outre-Manche datant de 1733 ou 1735.
Malgré la renommée de ses travaux et de ses inventions, Jean Palfyn mourut pauvre comme Job, le 21 avril 1730. Il fut même enterré dans le cimetière des indigents entourant l’église Saint-Jacques de Gand. Il faudra attendre un demi-siècle pour que le Collège médical de Gand ressuscite sa réputation, lui élevant un cénotaphe dans l’église précitée. Le forceps y apparaît. Depuis, des statues ont été dressées à Gand, à Courtrai. Des rues lui sont dédiées aux quatre coins des Flandres et à Bruxelles. Et même un hôpital porte toujours son nom. Ses « mains de fer » sont, elles, exposées dans bien des musées de médecine en Europe.