La machine de Marly de Rennequin Sualem

La machine de Marly de Rennequin Sualem

S’il est un homme qui symbolise à lui tout seul l’ingénierie wallonne, c’est bien Rennequin Sualem. Cet autodidacte illettré, incapable de s’exprimer autrement que dans son patois wallon a offert à Louis XIV ce qu’aucun ingénieur français n’avait réussi à sa place : alimenter les nombreuses pièces d’eau du château de Versailles au départ de la Seine, située à 3,5 kilomètres du domaine mais 160 mètres en contrebas. La machine de Marly fera sa gloire et sa fortune. Pourtant, un compatriote tenta de lui ravir son travail.

Chez les Sualem, on est charpentier de père en fils. On s’est spécialisé dans la fabrication de « machines d’exhaure », permettant d’évacuer à distance les eaux inondant les galeries des mines de plus en plus nombreuses à être exploitées. Rennequin Sualem a aussi réussi à alimenter en eau le château de Modave à partir du Hoyoux, la rivière coulant cinquante mètres plus bas.

C’est en observant ce chantier à la demande du châtelain, le comte de Marchin qu’Arnold de Ville, un gentilhomme hutois fréquentant la Cour de Louis XIV a l’idée de proposer au Roi Soleil de lui construire une machine élévatoire pour alimenter les jardins du château du Val, dans la forêt de Saint- Germain-en-Laye. Ambitieux, ce dernier a déjà une idée en tête. Il veut, au travers de ce travail, prouver qu’il est capable d’offrir à Versailles ce qu’aucun ingénieur français n’a réussi avant lui : alimenter le millier de fontaines, de plans d’eau et de cascades imaginés par André Le Nôtre avec l’eau de la Seine.

Arnold de Ville a de l’entregent, des relations bien introduites. C’est un beau parleur mais il ne maîtrise pas la technique. Aussi fait-il appel aux frères Sualem qui, en peu de temps, réalisent le travail. Le Roi est impressionné, félicite de Ville et, comme on pouvait s’y attendre, lui commande une machinerie identique pour apporter les eaux de la Seine aux jardins de Versailles, situés à 3,5 kilomètres mais 160 mètres plus haut.

Le challenge est tout autre. Les exigences de Sualem également. Il a compris qu’Arnold de Ville se fait passer pour le concepteur de ses machines auprès du Roi. Il met donc ses conditions. Il veut tout d’abord travailler avec ses proches, son frère Paul, ses quatre fils, mais aussi son beau-frère Toussaint Michel, le charpentier wallon Jean Siane du Pont et Gilles Lambotte. Il exige également du matériel de qualité, venant pour la plupart des bords de Meuse. Il veut enfin choisir, lui-même, l’endroit idéal pour installer son chantier. Son choix se fixe sur le moulin de Marly. Et il se met à l’ouvrage, imaginant un mécanisme inédit. Il invente la technique du chevalet alimentant deux bassins intermédiaires situés à 48 et 99 mètres au-dessus du fleuve. Pour relier le tout, il fait fabriquer, dans une fonderie liégeoise, d’énormes tuyaux dont l’acheminement fera sensation. Sur la Seine, il a aussi dressé quatorze grandes roues à aube alimentant pas moins de 256 pompes.

Le chantier est dantesque. Mille huit cents hommes vont y participer. Il va durer sept ans et consommer 860 tonnes de cuivre, autant de plomb, vingt fois autant de fer et cent fois plus de bois. Il va surtout coûter 3 674 864 livres et huit sous. Mais le succès est au rendez-vous.

Le 16 juin 1688, le Roi Soleil en personne inaugure la « Machine de Marly ». Il est époustouflé par tant de génie. Il a d’ailleurs très vite compris que le véritable auteur de cet exploit est bel et bien Rennequin Sualem et non Arnold de Ville. Il a de la sympathie pour cet homme simple, s’exprimant dans son patois wallon. On raconte que, alors que le Roi lui demandait comment il avait eu l’idée de cette machine, il lui aurait répondu : « Tot tuzant, sire » (en y réfléchissant, sire). Il va donc le nommer Premier Ingénieur du Roy, lui offrir une demeure à Paris et de quoi tenir son rang. On lui confia aussi d’autres chantiers de ce type, notamment à Saint-Cyr et à Decize.

Arnold de Ville, pour sa part, est ignoré. Au lieu du titre de vicomte qu’il escomptait, il doit se contenter d’une baronnie et est prié de quitter la Cour. Et il faudra l’intervention d’amis très chers pour qu’il obtienne néanmoins une gratification royale de 100 000 livres.

Toute sa vie durant, de Ville va tenter de s’approprier le génie du charpentier qu’il avait recruté. Jusqu’à mettre son nom sur la machine et sur les plans de celle-ci, mais aussi jusqu’à tout faire pour éviter qu’il ne soit présent à l’inauguration. On raconte que, apprenant cela, Sualem, fou furieux, aurait enlevé quelques boulons, empêchant de la sorte le fonctionnement de sa machine hors sa présence. Même sur sa tombe, Rennequin Sualem dut rappeler son exploit, précisant sur l’épitaphe qu’il était le « seul inventeur de la machine de Marly ».

La machine, quant à elle, survécut à son auteur, décédé le 29 juillet 1708, âgé de 64 ans. Elle fonctionna même 120 ans durant avant d’être remplacée, en 1817, par une machine à vapeur. Mais, consommant bien trop de charbon, elle céda la place, à son tour, en 1859, à une machine hydraulique. Et ce n’est qu’en 1968 qu’on dota l’outil d’électropompes beaucoup plus puissantes et rentables.

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