Jean-Jacques Dony, le premier des zingueurs
La Maison de la Métallurgie à Liège exhibe, pas trop fièrement d’ailleurs, une baignoire en zinc portant le monogramme de l’empereur Napoléon. Elle témoigne de l’importance qu’a eu, dans l’industrialisation du zinc, l’homme qui lui offrit cet imposant cadeau, le chimiste liégeois Jean-Jacques Dony.
Né à Liège le 24 février 1759, Jean-Jacques-Daniel Dony est issu d’une famille patricienne, à ce point respectée que certains de ses membres ont l’honneur de siéger, à titre laïc, au sein du chapitre des chanoines de Sainte-Croix. C’est d’ailleurs le cas de notre homme à qui l’Histoire a parfois, erronément, donné le titre d’abbé.
Plus que la religion, c’est la chimie qui le captive. À l’âge de 21 ans, il possédait déjà son propre laboratoire, s’adonnant à des recherches relatives au zinc. Il sait que ce métal, connu des Chinois ou des Indiens dès le XVe siècle a du potentiel. Encore faut-il savoir le traiter, l’exploiter. Dony va mettre vingt-cinq ans à chercher la formule magique. Et c’est presque par hasard qu’un beau jour de 1805 il fit la découverte qui allait transformer l’industrie métallurgique. « Il était en train de faire une série de petits essais dans le but d’isoler le métal que renfermait la calamine, raconte l’ingénieur Edmond Fuchs dans une note écrite pour vanter les mérites du Liégeois lors de l’exposition universelle de Paris en 1867. Il traitait le minerai dans un petit four à réverbère, cherchant, mais en vain, à obtenir sa réduction par simple voie de fusion. Supposant, bien à tort, que le motif de son insuccès était dans le manque de chaleur, il eut l’idée de mélanger à la calamine du charbon pulvérisé ; puis, pour observer les réactions qui se passaient à l’intérieur du four, il pratiqua dans la paroi de ce dernier une ouverture dans laquelle il plaça un pot à fleurs, qui faisait saillie en avant du massif. Regardant alors par le petit trou percé dans le fond de ce pot, il vit, à son grand étonnement, le métal se condenser, sous forme de gouttelettes dans cette espèce d’allonge qui échappait à la température élevée du four. Le zinc était trouvé ! »
Presque au même moment, le Gouvernement français mit en adjudication la mine de la Vieille-Montagne. Dony comprit très vite l’intérêt qu’il avait, s’il voulait développer sa découverte, à maîtriser cet important gisement de calamine. Il fit offre et obtint, le 26 frimaire de l’an XIV (17 décembre 1805) la concession de la mine, à charge pour lui de payer une redevance annuelle de 40 500 francs. Il déposa aussi une demande de brevet d’invention de quinze ans pour « la composition d’un fourneau propre à extraire le zinc de la calamine, et pour les procédés qu’il emploie dans cette opération ». Il dut cependant attendre le 19 janvier 1810 pour obtenir ce précieux document.
Dony n’avait pas attendu celui-ci pour se mettre à l’ouvrage. Dès 1807, il fonda au faubourg Saint-Léonard, à Liège, la première usine métallurgique produisant du zinc. À titre promotionnel, il dota l’église Saint-Barthélémy, toujours à Liège, d’une toiture en zinc. Une grande première. Et il se mit aussi à chercher des débouchés pour son nouveau produit, imaginant une foule d’usages domestiques. C’était mal connaître l’administration française et l’Académie des Sciences, consultée pour donner un avis sur l’usage de ce nouveau métal. Cette dernière s’opposa avec fermeté à tout usage du zinc dans la préparation des aliments et des boissons. Le chimiste liégeois répliqua par écrit : « C’est le sort de toute nouveauté de trouver des contradicteurs. L’antimoine, le quinquina, l’inoculation, la vaccine n’ont-ils pas eu, dans l’origine, des détracteurs ? Mais l’expérience, le temps ont démontré que ces heureuses découvertes étaient de véritables bienfaits pour la société. Le zinc français aura sans doute le même sort: l’expérience, le temps le feront triompher des oppositions qu’il pourra rencontrer ; et le puissant génie de la France, qui a toujours les yeux ouverts sur tous les moyens d’amélioration, ne pourra voir qu’avec satisfaction les efforts des savants et des hommes éclairés en faveur d’un métal extrait et travaillé dans l’intérieur de son empire, et dont l’usage est également réclamé et par l’humanité et par la politique commerciale. »
Il n’empêche. La décision de l’Académie est un frein pour Dony. Ruiné, dans l’incapacité de payer sa redevance, il est contraint de céder, en partie, sa mine à la compagnie Hector Chaulet qui ne fera pas mieux. Peu après, cette dernière revendit ses parts à François- Dominique Mosselman, un négociant bruxellois vivant à Paris. En vain. La faillite de l’entreprise Dony fut prononcée le 12 janvier 1819.
Jean-Jacques Dony n’eut pas le bonheur de voir se répandre, à travers le monde, son invention. Malade, sans le sou, il mourut le 6 novembre 1819, à l’âge de 60 ans. Les héritiers de Mosselman, et particulièrement Louis-Alexandre Saint-Paul de Sinçay arrivèrent, eux, à commercialiser le produit, recouvrant de zinc les toitures des plus grands hôtels particuliers parisiens et même celles du Grand Palais. Les artistes aussi s’emparent de l’invention de Dony, l’utilisant pour créer de multiples bustes, sculptures ornementales, chandeliers et autres bibelots très prisés. Un demi-siècle plus tard, la Vieille Montagne devint la plus grande usine de zinc au monde, produisant plus de 40 000 tonnes du métal blanc.