Henry Morton Stanley : le "conquistador" dépravé
La colonisation du Congo débute très mal avec celui qui, le premier, l’apporta à la Belgique. Car celui qui, le 10 juin 1878, commence à travailler pour Léopold II et que l’on nomme Henry Morton Stanley, n’a rien du philanthrope ou de l’aventurier désintéressé qu’on a essayé de présenter. C’est en réalité un vrai fou qui va officier là-bas pour notre souverain.
Il a certainement des excuses, ce Stanley. Une mère qui plutôt que de l’élever, le confie à son grand-père qui lui ne se gêne pas pour le rosser. Une fois le séjour chez l’aïeul terminé, il se retrouve dans une « maison de travail », l’équivalent des anciennes maisons de correction chez nous. Là, comme l’a démontré à l’époque une enquête, sous la férule d’un directeur alcoolique « qui prenait toutes sortes de libertés vis-à-vis des occupants » et sous celle « d’adultes qui commettaient toutes sortes de délits », il va connaître les pires formes de violence physique et sexuelle depuis le fait de partager le lit d’enfants plus âgés, jusqu’à l’abus et la maltraitance des adultes.
En plus d’en ressortir avec une passion pour la géographie (de la journée, ils ont quand même des cours), il y gagne surtout des traumatismes pour le reste de sa vie. Notamment une peur intense de la proximité physique et de la sexualité.
Stanley, à chaque fois qu’il rencontrera une femme avec qui il risquerait par exemple de se marier, s’enfuira ou mettra sur pied de lointaines expéditions.
Car, entre-temps, il est devenu grand reporter. Un peu par talent d’écriture, mais surtout au culot, en inventant même, entre autres, de pseudo reportages sur les Indiens d’Amérique soi-disant sur le sentier de la guerre, ce qui même si c’est faux attire le lecteur.
Plus tard, l’authenticité même des lettres qu’il montre comme venant de Livingstone est elle aussi mise en doute, et la reine Victoria, qui le reçoit, dit de lui que c’est un « affreux petit bonhomme ».
De missions en reportages, il se retrouve en Afrique et en devient l’un des principaux explorateurs. Mais la réalité est bien différente du beau et fier aventurier vanté par les chroniques du temps.
Car Stanley n’est en rien mû par un quelconque désir d’évangélisation par exemple, ou par l’apport de culture à des sociétés qu’à l’époque on pouvait croire moins avancées, non, lui, son seul but en y allant, c’est de ramener des récits qui seront très populaires et feront sa fortune. Accessoirement, ces voyages lui permettent aussi d’assouvir, en toute discrétion, ses penchants pour les jeunes garçons noirs qui lui servent de jouets sexuels. Des jouets qu’il jette et méprise, car le découvreur du centre de l’Afrique est… raciste ! Il l’affichera déjà envers les Noirs américains pendant la guerre civile et, comme il le dira plus tard, il « déteste le continent africain de tout son cœur ».
C’est donc au final un Anglais qui va initier au Congo tout ce que les Anglais eux-mêmes reprocheront aux Belges, et à Léopold II, quelques années plus tard.
Car au quotidien, durant ses expéditions, Stanley fonctionne comme une brute pathologique doublée d’un sadique. On a par exemple retrouvé des témoignages d’Africains qui parlent de lui comme d’un homme avec un seul œil. Cette description du personnage est liée au fait que, passant en pirogue le long des berges, Stanley y visait les personnes avec son fusil à lunette… avant de les abattre juste pour le plaisir de faire un carton, comme il aurait tiré sur des singes !
Concernant ses hommes d’escorte et ses porteurs, il paie bien et il n’aura jamais de difficultés pour en recruter, mais il n’hésite pas à tuer de sang-froid ou à coups de fouet, sans aucune pitié, ceux qui l’accompagnent et ont le tort de ne pas bien faire leur boulot ou de commettre des erreurs.
En termes de conquête, pour inciter les chefs de tribus à céder leur terre et à signer de prétendus traités (que pouvaient-ils comprendre, les pauvres bougres ?), tous les moyens sont bons, depuis les tours de prestidigitation pour persuader les indigènes qu’il avait des pouvoirs surnaturels, jusqu’à l’usage des armes.
Les massacres et les pillages font aussi partie de ses méthodes. Il écrit même, en parlant d’une de ses expéditions, « nous avons attaqué et détruit vingt-huit grandes villes et trois ou quatre villages ». Il ne sera pas plus économe des vies de ceux qui, en 1890, construiront le chemin de fer qui lui vaudra le surnom de « Boula-Matari » : le briseur de roches. Certains estiment le nombre de morts à un par traverse, et il y en aura des milliers de posées… Impossible aujourd’hui de séparer Stanley du sort brutal qui sera celui du pays, futur Congo belge.
C’est cet Anglais qui montrera l’exemple à suivre quant aux brutalités qui viendront par la suite.
Tout cela n’empêchera pas ce tyran grossier et cruel d’être anobli en 1899 et de siéger au Parlement britannique de 1895 à 1900. Ces mêmes Britanniques, qui se feront donneurs de leçons aux Belges, sont loin d’être les derniers en matière d’oppression un peu partout dans le monde. Pour mémoire, à la même époque, ils inventent les camps de concentration en Afrique du Sud et, une vingtaine d’années plus tôt, ils ont noyé dans le sang la révolte des cipayes. Une lettre publiée après la chute de Delhi dans le « Bombay Telegraph » et reproduite dans la presse britannique témoigne d’ailleurs de l’ampleur de leur violence : « Toutes les personnes se trouvant à l’intérieur des murs de la ville de Delhi lorsque nos troupes entrèrent furent exécutées sur le champ et ce nombre fut considérable, comme vous pouvez le supposer, lorsque je vous dis que dans certaines maisons se cachaient 40 ou 50 personnes. Il ne s’agissait pas de mutins, mais d’habitants de la ville qui croyaient en notre sens bien connu du pardon. Je suis fier de vous dire qu’ils ont été déçus ».