Guillaume Valleye « L’indomptable mineur »
Guillaume Valleye est un simple mineur du bassin houiller liégeois, de Herstal exactement. Rien ne le prédestine à se mêler au conflit. Il a trente ans, est marié et père de deux enfants.
Quand survient la guerre, il ne veut pas rester là à ne rien faire. Il entre dans une organisation consacrée au passage vers la Hollande de jeunes qui veulent s’engager. Très vite, il excelle dans cette activité. Il n’a peur de rien, son sang-froid le sort à chaque fois des pires situations.Pendant plusieurs mois, tout se passe bien, mais un beau jour, au petit matin, une auto s’arrête devant chez lui. Quatre Allemands en sortent, se précipitent dans l’escalier, il n’a que le temps de s’éveiller que déjà il est prisonnier.
Il a été dénoncé, mais ce n’est pas pour autant que les Allemands trouvent quelque chose de compromettant chez lui ou qu’ils parviennent à lui faire avouer quoi que ce soit. Il est donc officiellement innocent, mais, les lois de la guerre permettant tout, on l’expédie par précaution dans un camp de prisonniers, en Allemagne.
À peine arrivé au camp de Munster, il se fait la belle une première fois, mais est arrêté dès le lendemain.
On le change de camp, en train. Un moment d’inattention de son escorte au moment du départ et il se précipite hors du wagon. Manque d’élan et manque de chance, il s’écrase et est immédiatement rattrapé et… passé à tabac par les Teutons qui ont frôlé le régiment disciplinaire par sa faute…
Arrivé à destination, histoire de lui apprendre les bonnes manières, on le fourre un mois dans un cachot ! À peine sorti, il se fait à nouveau la malle, on ne le récupérera qu’à quelques kilomètres de la frontière hollandaise, épuisé par la faim et la marche. Semble-t-il calmé, c’est du moins l’apparence qu’il donne. Mais les apparences sont souvent trompeuses et il profite d’une corvée pour fausser compagnie aux sentinelles en bondissant dans les fourrés où il attend la nuit mais il ne connaît rien à la région, il tourne en rond, il a faim. il aura surtout la maréchaussée pour le ramener à son camp.
Cette fois-ci, il semble avoir perdu toute velléité de se faire la belle, il paraît résigné et exemplaire comme prisonnier. C’est mal le connaître, car, pendant ce temps, il creuse un tunnel sous la clôture! Un beau matin, il a de nouveau disparu ! Mais pas seul. Cette fois, il est accompagné d’un autre détenu qui, lui, parle allemand. Ils vont même réussir à atteindre Cologne, mais là, ils sont pris pour des espions et pour ne pas être fusillés, ils doivent avouer qu’ils sont des prisonniers en cavale.
L’avant-dernière tentative aura lieu en se faisant porter pâle et en faussant compagnie au corps médical. Il réussira presque, mais se fera tirer comme un lapin à la frontière. Une balle dans la jambe, il se morfond à l’hôpital, bien conscient que cette fois-ci, il va certainement se retrouver dans le fin fond de la Prusse et que là, c’en sera fini d’espérer atteindre la Hollande. À peine se sent-il un peu mieux qu’il dit à nouveau au revoir aux médecins allemands et abat, avec une jambe à peine rétablie les 80 kilomètres qui le séparent de la gare de Viersen et des trains pour les Pays-Bas. Là, malheureusement, impossible d’avoir un billet ! Pourtant un train est là qui s’en va vers la Hollande, vers la liberté. Il va partir et ses derniers espoirs aussi. Dans un ultime effort, dans une dernière tentative totalement désespérée, il se rue sur le quai, bouscule tout le monde et parvient à sauter à l’extrémité du dernier wagon sur le butoir même de celui-ci.
De Venloo il se rend à Maastricht, il veut se battre, il cherche et finit par entrer en contact avec les services français du renseignement. Ceux-ci lui proposent de mettre sur pied un réseau d’espionnage du trafic ferroviaire dans la région qui est la sienne, celle de Liège.
Guillaume se transforme en un paisible citoyen hollandais et neutre du nom de Guillaume Smet et il reprend le chemin de Liège avec un colis encombrant contenant des pigeons voyageurs qui doivent lui permettre d’envoyer ses renseignements.
La frontière a changé, elle est maintenant électrifiée. Qu’à cela ne tienne, notre nouveau Smet se joue des fils électriques comme il s’est toujours joué des sentinelles et le voilà de nouveau au pays de Liège. Tout continue à bien fonctionner, quand, un jour, sur le chemin de sa maison du boulevard Saucy, il est interpellé par trois Allemands qui bondissent sur lui.
Il sera de nouveau passé à tabac en arrivant en prison. Comment en est-il arrivé là ? Il n’en sait rien, mais les policiers allemands ont trouvé des rapports de surveillance chez lui.Il sait qu’il doit s’enfuir, sinon ce sera la peine de mort.
Au cours d’un nouvel interrogatoire dans les locaux de la prison, les policiers le laissent cinq minutes seul. Cela suffit à Valleye pour sortir dans le couloir, s’emparer d’un manteau et du chapeau d’un policier, franchir le corps de garde au culot et se retrouver à l’air libre. Il se réfugie chez un coiffeur à qui il explique sa situation. Celui-ci le cache chez lui et lui change sa coiffure pour qu’on ne puisse pas le reconnaître.
Une nouvelle fois arrivé à la frontière, il évite les patrouilles et franchit sans encombre la première clôture non électrifiée. Pour la deuxième, électrifiée celle-là, il lui faut sectionner tous les fils ce qu’il fait sans trop de problèmes. Reste la troisième. Il se courbe pour passer dessous, mais il y a, tapi contre le sol, un cinquième fil invisible celui-là.
En voulant passer le pied, Valleye le touche. Un éclair, une décharge. Il meurt, instantanément foudroyé. Les sentinelles de la frontière ne trouveront sa dépouille qu’au petit matin. Ils en font une photo et enterrent Guillaume, sans autre forme de procès, dans le cimetière de Fouron-le-Comte.
C’est là que Guillaume Valleye, l’indomptable, repose depuis le 9 avril 1918.