Adolphe Max – « Le libre esprit »

Adolphe Max « Le libre esprit »

Adolphe Max naît à Bruxelles le 30 décembre 1869. Fils de médecin, il fait des études d’avocat à l’Université libre de Bruxelles dont il sort docteur en droit en 1891, pour s’inscrire au Barreau. Plaider ne lui suffit pas, il se lance dans le journalisme en écrivant des chroniques remarquées pour «La Liberté» mais aussi dans la politique en fondant la Jeune Garde libérale. Son amour de Bruxelles, son intelligence et son honnêteté intellectuelle le font remarquer, notamment par Léopold II qui aime l’avoir à sa table et qui disait déjà de lui qu’il était un homme d’avenir. C’est à Bruxelles qu’Adolphe fait sa carrière politique. Il est conseiller communal de la ville en 1903, échevin en 1908, et en 1909, il succède à Charles Buls comme bourgmestre de la capitale.

C’est un homme de 45 ans, en pleine maturité qui voit son pays attaqué par les Allemands. Entouré de ses échevins, on le retrouve le 20 août 1914 en début d’après-midi, devant la caserne Baudouin, place Dailly pour recevoir les Allemands du IVe corps d’armée au moment de leur entrée dans la capitale.

Le commandant des troupes allemandes, le général von Jarotsky s’avance vers notre bourgmestre avec la main tendue. Max commence sa guerre à lui en l’ignorant superbement et en disant à l’officier prussien : « Vous devriez comprendre, Monsieur, quels sont les sentiments que j’éprouve en ce moment. Je ne puis accepter de vous serrer la main. »

Très rapidement, le premier de nos édiles communaux va forcer le respect de l’occupant et lui faire comprendre qu’il veillera sans cesse au respect du droit. Un exemple parmi d’autres : une soirée, on rapporte à Max que bien qu’il ait promulgué un édit qui oblige les cafetiers à fermer dès 21 heures, des officiers de von Jarotsky sont encore en train de boire dans un estaminet au-delà de l’heure légale. Sans hésiter une seconde, notre bourg- mestre se rend sur place et exige que le bistrot ferme ses portes séance tenante. Les officiers allemands protestent en disant que cette ordonnance communale ne s’applique qu’aux civils et pas à eux. Adolphe Max, malgré la colère des officiers, réplique que l’édit est valable pour tout le monde et qu’à ce moment et à cet endroit, c’est lui qui représente l’autorité. S’adressant à la patronne du débit de boissons, il lui fait d’un ton ferme éteindre la lumière. Les gradés allemands, bien entendu, protestent violemment, mais Adolphe Max n’en a cure et menace d’avertir leur supérieur s’ils n’obéissent pas. La queue entre les jambes, les Prussiens battent en retraite sans demander leur reste.

Sans arrêt, le bourgmestre de la capitale s’oppose aux exigences, il se bat surtout contre les réquisitions de denrées alimentaires. Ce sont des dizaines de milliers de kilos de pain, de viande, de féculents, de café, d’avoine qu’il faut essayer de soustraire à la voracité de l’ennemi qui, bien entendu, nourrit ses troupes sur le dos des populations occupées.

Le 25 août 1914, le général von Jarotsky quitte son commandement de Bruxelles en déclarant qu’il porte beaucoup d’estime au bourgmestre avec qui il a dû composer. Le général reconnaît, lui-même que, en défendant énergiquement, mais aussi avec diplomatie auprès des autorités d’occupation les droits de ses concitoyens, Max a épargné à ces derniers bien des peines.

Cela se passera moins bien ensuite avec Von Lûttwitz le nouveau général en charge de la capitale. Le premier accroc, et il est de taille, a lieu le jour où les Allemands veulent que Max fasse placarder un avis demandant à la population d’enlever les drapeaux belges qui ornent bon nombre de fenêtres bruxelloises. Le bourgmestre obtempère, mais d’une manière qui ne pouvait que mettre les occupants hors d’eux. En effet, le texte de l’affiche est ainsi rédigé : « Je demande à la population de donner un nouvel exemple de sang-froid et de grandeur d’âme dont elle a fourni déjà tant de preuves. Acceptons provisoirement le sacrifice qui nous est imposé : retirons nos drapeaux pour éviter des conflits et attendons patiemment l’heure de la réparation. »

On peut s’en douter : Von Lûttwitz n’apprécie pas du tout et, furieux, il convoque le bourgmestre pour lui demander des explications sur l’emploi des mots «provisoirement» et «réparation ». Adolphe Max, comme à son habitude, reste intransigeant. Comme bourgmestre, il n’a pas d’autre compte à rendre.

Le 26 septembre, ce sera l’incident de trop pour l’indomptable bourgmestre. Ce jour-là, il refuse de verser aux Allemands les trente millions de contribution de guerre que ceux-ci réclament. Il ne finit pas la journée. À 16 heures, les hommes de Von Lûttwitz sont là pour l’arrêter. Il a à peine le temps de saluer ses échevins et de leur glisser une dernière consigne qui est de rester en fonction le plus longtemps possible.

Il est emprisonné, d’abord à Namur et le 12 octobre, on le transfère en Allemagne dans la vieille forteresse de Glatz. Max fait entendre sa voix et proteste avec la plus grande des véhémences en disant qu’il ne mérite pas d’être traité en prisonnier, car il n’a commis aucun crime et pas davantage d’être déporté en Allemagne, car il n’est pas un ressortissant de ce pays et encore moins un membre de son armée. Bien entendu, ses protestations n’y changent rien. Il se retrouve derrière les barreaux prussiens.

Durant les quatre longues années de sa captivité, malgré les pri- vations, ses transferts d’une prison à une autre, parfois même les rudoiements des geôliers, il gardera toujours une attitude positive face à l’adversité.

Deux jours après l’armistice, le 13 novembre 1918, il est enfin libéré. Le vendredi 15 novembre 1918, amaigri, mais l’esprit toujours aussi vif ; il est de retour dans sa ville. Deux jours plus tard, la foule est massée sur la Grand-Place pour l’acclamer. L’ovation est telle qu’elle lui arrache des larmes devant tant de reconnaissance.

Sa résistance et son dévouement lui vaudront d’être nommé ministre d’État et d’être élu à l’Académie royale de Belgique. En 1919, il devient député de l’arrondissement de Bruxelles. En tant que parlementaire, il aura à cœur de lutter en faveur du suffrage universel et du droit de vote pour les femmes. Ces autres activités ne l’empêcheront pas de rester bourgmestre de Bruxelles jusqu’à sa mort le 6 novembre 1939.

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