À Bruxelles, interdiction de nourrir les Noirs... le zoo s'en charge
Sauf pour quelques hommes politiques opposés au roi ou liés au parti ouvrier naissant, toute l’entreprise coloniale, pour la plupart de nos aïeux, se déroule sans remords d’aucune sorte et avec une bonne conscience immaculée.
Cela pour plusieurs raisons. Vu d’ici et avec l’éducation de l’époque, l’Africain, pour presque tous les Belges mais aussi les Européens en général, n’est encore qu’un nègre, un vague parent plus proche du singe que de nous. La meilleure preuve en est le goût marqué, dans notre pays mais aussi partout en Europe et dans le monde, pour les zoos humains. Dès 1884, il y en a déjà un à Anvers, il y en aura un aussi en 1897 à Bruxelles et à Liège en 1905.
Lors de l’Exposition internationale de Bruxelles en 1897, les nègres sont vraiment une des principales curiosités. Les 267 hommes, femmes et enfants congolais de Tervuren seront vus par plus d’un million de spectateurs. À voir absolument, leurs villages reconstitués, la manière dont ils dansent, à quel point ils sont barbares avec leurs fétiches, leurs nombreuses femmes, leurs cases rudimentaires. On aurait pu encore accentuer leur bestialité en montrant leurs femmes à moitié nues, mais la décence a imposé aux organisateurs de faire porter à celles-ci des robes en coton, à la grande déception des voyeurs.
Léopold, qui lui aussi visite le village, s’inquiète auprès des responsables des risques qu’encourent les Congolais à cause de tout ce qu’on leur lance à manger. Un panneau est aussitôt placé qui spécifie qu’il est interdit de nourrir les Noirs, car ceux-ci le sont par les organisateurs… Le soir venu, ces nègres peuvent même dormir dans les écuries royales… Le peuple en tout cas est content et s’émerveille devant ces « sauvages » à qui notre bon Roi apporte la civilisation. Les représentants de notre commerce et de nos industries profitent de l’occasion pour organiser un grand dîner en l’honneur de la colonie ; peu après, Léopold II concède le titre de baron à Edmond van Eetvelde, un de ses ministres bruxello-congolais.
Détail, quelques-uns de ces « sauvages » n’ont pas supporté le climat belge et reposent sous des dalles anonymes le long d’une des façades de l’église de Tervuren, dans un coin de terre réservé à une époque aux bannis de l’Église et autres femmes de mauvaise vie.