La mort d’Albert I

La mort d'Albert I

Le 17 février 1934, à 12 heures 15, le roi Albert quitte son palais au volant de sa voiture en compagnie de M. Van Dycke son valet. Deux heures et demie plus tard, il est à Marche-lesDames pour s’adonner à son sport favori : l’escalade. À l’heure où le valet s’attend à voir revenir le roi : personne. Le valet s’inquiète d’autant plus que notre souverain est attendu le soir même au Palais des Sports à Anvers. Rapidement, il part à la recherche d’Albert, sans le retrouver. Il file jusqu’au village de Marche-les-Dames et donne l’alerte au Palais par téléphone. Le capitaine baron Lucien Jacques de Dixmude, officier d’ordonnance, quitte le château à 19 h 50 pour Marche-les-Dames. Le comte Xavier de Grunne, secrétaire général du Club alpin belge, est, lui, prévenu à 20 h. Il démarre avec le docteur Pierre Nolf, à 20 h 30. Ils sont sur place à 21 h 45.

Buste d'Albert I à Chimay

Les recherches dirigées par Jacques de Dixmude débuteront avec trois gendarmes et deux gardes-chasse. Elles n’aboutiront que vers 1 h 55 du matin. Pour d’autres, la découverte intervient à 2 h 02. Ces sept minutes de différence sont sans importance après neuf heures de recherches. Les gendarmes sont le commandant de la brigade de Namêche, le premier maréchal des logis-chef Veckmans, les maréchaux des logis Camille Crépin et Joseph Fissette. Ce dernier aurait établi un P.-V. Si c’est vrai, il est introuvable. Il ne figure pas dans le dossier judiciaire.

L’instant de la mort sera fixé à 16 heures. Soit une demi-heure après que le roi ait quitté Van Dycke.

La dépouille est retrouvée étendue sur le dos, les bras tendus, comme pour saisir un appui. Ses vêtements sont salis de terre et son corps est presque entièrement recouvert de feuilles. Il a selon toute apparence glissé, la tête en bas, depuis le sommet du ravin près d’une plate-forme, jusqu’à un bloc de pierre où on a depuis élevé une croix à sa mémoire.

Le rapport établi par le président du Club alpin de Belgique qui se trouve dans le dossier du parquet dit que : « La chute a dû se produire après l’achèvement d’une escalade, au moment où le roi voulait compléter sa journée en gravissant une dernière tour qui surmonte la crête principale. Toutes les traces, vérifiées sur les lieux, permettent de supposer qu’en abordant la plateforme sommitale de cette tour, le souverain s’est accroché à un large bloc descellé et en équilibre instable. Ce bloc très lourd, en basculant, a rejeté le corps vers le vide. Il aurait certainement pu se reprendre à la plate-forme, deux mètres plus bas, si par malheur, rencontrant une longue branche, le corps ne s’était renversé en arrière. Dès lors, la chute s’est poursuivie la tête vers le bas, sans possibilité de rétablissement. À une douzaine de mètres en dessous, une aspérité rocheuse défonçait le crâne et achevait l’œuvre cruelle du destin. La branche tordue, le pince-nez resté dans les brindilles, la touffe de cheveux sur la saillie du rocher, tout est là comme un livre ouvert, racontant avec une implacable précision l’accident dans les moindres détails. »

La thèse officielle de l’accident tient parfaitement la route si, au départ, on y croit. Dès le moment où on la met en doute, elle s’effondre, parfois sur des détails. Plus rien ne s’enchaîne harmonieusement, de façon logique, cohérente et les anomalies aussi bien que les questions ne font dès lors que s’accumuler.

Des anomalies à n’en plus finir

Monument à Marche-les-Dames en mémoire à Albert I

Van Dycke n’a pas vu le roi à l’escalade, il n’a pas entendu sa chute et son cri éventuel.

Comment expliquer qu’il faille, à peu de chose près, neuf heures pour retrouver le corps ? Le délai est compté entre le moment où Van Dycke commence ses recherches et le moment de la découverte du corps, cela alors qu’il est rapidement rejoint par trois frères du nom de Jassogne puis par le capitaine Lucien Jacques de Dixmude, Xavier de Grunne, Pierre Nolf, Edmond Carton de Wiart, son valet Camille Charlier, son chauffeur Hubert Gysemberg, les gendarmes Veckmans, Crépin et Mansu, Alfred Hennuy, son fils Charles, des voisins, et les gardes forestiers Émile Wilmet et Émile Bouchât. Au total : 17 personnes au moins.

Quand on se rend sur place, le nombre d’heures passées à chercher un corps dans un lieu aussi exigu, à quelques mètres de la route, on a plus l’impression qu’ils ont dû l’éviter pour ne pas marcher dessus qu’autre chose.

Certains incriminent les taillis. C’est oublier que nous sommes en février et qu’il n’y a donc pas de feuilles. De plus, les photos, probablement du lendemain, ne montrent pas un taillis dense au point de masquer un corps. C’est le cas de la photo publiée dans L’Histoire de Belgique de Henri Pirenne avec la précision « Photographie prise le 18 février 1934 à 7 heures. » Il faut une bonne volonté extrême pour y voir des taillis denses et même des taillis tout court.

Ce qui est vrai, c’est que la pente à 45° ne facilite pas les choses, en particulier de nuit. Tout de même, neuf heures de recherches, c’est très long. Surtout quand on voit le site. D’autant que, selon les témoignages des acteurs présents, on avait escaladé les parois à plusieurs reprises. Comment est-on parvenu à passer à côté du corps ? Selon la thèse officielle, le long délai mis à trouver le cadavre du roi tient au fait qu’il avait roulé beaucoup plus loin qu’on ne l’avait imaginé. Le « plus loin » étant quelques dizaines de mètres de l’endroit qu’il était censé avoir escaladé.

Il a d’ailleurs fallu huit heures et demie à de Grunne, un alpiniste chevronné, Jacques de Dixmude, un officier d’artillerie choisi parmi la crème et à Nolf un professeur d’université, membre de l’Académie royale et ancien ministre avant d’arriver à cette simplissime idée qui est d’imaginer que le blessé puisse être ailleurs que sur la falaise ou à ses pieds immédiats.

Lucien Jacques de Dixmude dans ses souvenirs inédits se contredit. Au 2e § de la page 58, il écrit : « Les recherches sont vaines. Je conseille de faire battre le bas, en dehors de l’endroit où nous cherchons, par les hommes qui ne savent pas grimper. Edmond Carton transmet l’ordre. » Ce qui veut dire qu’on n’a exploré que le haut. Comment explorer le haut sans passer par le bas, d’où on vient ? Cinq lignes plus loin, au 4e §, le capitaine précise : « En réalité, si nos recherches sont restées vaines, c’est parce qu’elles se sont déroulées uniquement sur les lieux d’entraînement habituels des alpinistes. » Grunne n’imaginant pas que le roi ait eu l’idée d’essayer une autre paroi. Paroi que, selon lui, le roi avait gravie en sa compagnie à plusieurs reprises. Surréaliste !

Le lieu de la chute d'Albert I à Marche-les-Dames

D’autant qu’il ne s’agit pas de retrouver une paroi déterminée, dont tout le monde ignore la localisation précise, mais bien l’endroit où l’on peut s’attendre à trouver un alpiniste qui est tombé.

Autour de l’aiguille du Vieux Bon Dieu, il n’y a que deux ravines.

La zone des recherches n’est pas clairement précisée, mais il semble bien qu’elle se soit limitée à la ravine amont de la cheminée Louise. Il est donc très possible de déposer le corps du côté aval. Quand on cherche un alpiniste qui est censé grimper une aiguille, on cherche de part et d’autre de ce rocher. Pour preuve, la mise en route des recherches de l’autre côté aboutit dans la demi-heure qui suit.

Pourquoi le Palais et Lucien Jacques de Dixmude, qui avaient toute l’autorité nécessaire pour mettre les garnisons de Namur en alerte, n’ont-ils pas fait venir immédiatement des dizaines de soldats, de gendarmes et des projecteurs ?

En ratissant le terrain avec des phares puissants, on aurait dû trouver le roi beaucoup plus rapidement.

Le fait que le capitaine Jacques de Dixmude ne fasse pas appel à une des deux casernes de Namur viendrait du comte de Patoul, maréchal de la Cour, qui aurait dit qu’on pouvait alerter « les gendarmes, oui, mais pas plus. » Cette restriction est inexplicable. Le Palais n’avait-il pas confiance en la garnison de Namur ? Étrange. Quand le chef de l’État disparaît, il semble logique d’alerter un maximum de services officiels.

En plus le capitaine ne fait appel qu’à la brigade territoriale de Namêche et pas au groupe territorial de Namur de la gendarmerie.

C’est Edmond Carton de Wiart qui aurait pensé à demander au capitaine Jacques de Dixmude d’aller chercher des projecteurs à la caserne du Génie à Jambes. D’évidence, c’est le monde à l’envers puisque c’est un civil qui pense à faire appel à l’armée… Mais Edmond ne connaissait pas les instructions données par de Patoul à Jacques de Dixmude. Par un coup de baguette magique, peu après la suggestion de Carton de Wiard, et sans l’aide des projecteurs, on trouve le corps…

Pourquoi, quand on consulte les écrits relatant les faits, y a-til tellement de versions différentes et qui se contredisent. Un exemple fort suffit à la démonstration. Qui a découvert le corps du roi ? On est incapable de répondre avec certitude à cette question pourtant extrêmement simple. Lucien Jacques de Dixmude affirme que c’est lui. De Grunne confirme. D’autres affirment que c’est le gendarme Crépin, l’échevin Alfred Hennuy et Émile Wilmet. En plus de ne pas savoir qui a retrouvé le corps, c’est le flou le plus total sur sa position. À croire que personne n’a vécu les mêmes moments.

Le cadavre du roi est retrouvé « renversé sur le dos, les mains à demi tendues vers l’avant comme pour saisir un appui ». C’est la version de de Grunne. Comment expliquer ces mains tendues vers l’avant ? Si le roi a dévissé vivant, s’il a heurté une roche de la tête, il est mort quasi instantanément et donc cette position des mains est inexplicable scientifiquement puisqu’il faut au moins une demi-heure pour que la rigidité cadavérique intervienne.

Buste d'Albert I à Gembloux

Après un tel choc, c’est donc un corps mort qui tombe avec les bras ballants. De plus, le corps roule alors sur 49 mètres avant d’être arrêté par une saillie rocheuse.

Par quel miracle un mort, qui, s’il a tendu les mains pour s’accrocher sans parler des cabrioles de la chute, a-t-il pu rester dans sa position de départ pendant une demi-heure, le délai minimum pour être saisi par la rigidité cadavérique ?

La version Lucien Jacques de Dixmude est, comment encore s’en étonner ? Différente. Le capitaine est plus précis. Selon lui, « (…) le corps du roi arrêté par un rocher en travers du ravin, la tête vers le bas, les jambes repliées, le bras gauche en arrière au-dessus de la tête. »

Le professeur Nolf, lui, précise que le roi est trouvé « les bras en croix, avant-bras demi-fléchis, les jambes demi-fléchies ».

Trois témoins oculaires rapportent trois positions différentes alors qu’ils sont censés voir la même chose. Qui plus est un corps déjà atteint par la rigidité cadavérique qui change de position ça laisse rêveur !

Il y avait l’énigme Kennedy avec la fameuse « balle magique » : une balle capable pour certains de créer plusieurs blessures en se « baladant » dans la voiture ; il y a maintenant la « position magique » : un mort, atteint par la rigidité cadavérique, retrouvé par trois personnes dans trois positions différentes.

La veste portée par le roi le 17 février et présentée au musée de la Dynastie possède deux caractéristiques étranges pour ne pas dire inexplicables : elle ne porte aucune trace de sang. Si le roi se fracasse le crâne sur une saillie, le sang doit gicler. Or, la tête est l’organe qui contient le plus de sang. La veste devrait, logiquement, en être maculée.

Autre curiosité, la veste est dans un état quasi neuf. Comment expliquer ça alors que le corps roule sur 49 mètres ? Seul le bas de la manche droite de la veste est un peu déchiré.

Comment expliquer le fait qu’il n’y ait qu’une déchirure ? C’est tellement évident que des récits font état de « vêtements lacérés ». Mais ils ne font qu’imaginer.

Pourquoi, une fois la dépouille retrouvée, a-t-on mis celle-ci toute souillée de terre et de sang dans une simple voiture, celle d’un des alpinistes ayant retrouvé le corps ? Il paraît que le cadavre déjà rigide et recroquevillé assis sur la banquette arrière dû être soutenu tout le trajet. Et les bras du roi, qui étaient figés comme s’il voulait étreindre son voisin mettaient celui-ci très mal à l’aise. Pourquoi ne pas avoir fait venir une ambulance ou un corbillard ? C’était la dépouille d’un roi quand même. Et même pour un vagabond on n’aurait certainement pas agi de la sorte…

Fallait-il éviter que le corps ne soit vu par des professionnels ? Ils auraient pu témoigner que le roi avait été blessé ailleurs qu’à la tête. Ou qu’il portait plus d’une blessure.

Pour certains, le cadavre du roi est ramené dans une simple voiture pour plus de discrétion, pour ne pas inquiéter, affoler, ou attrister la population. Une ambulance anonyme ou militaire aurait-elle inquiété qui que ce soit ?

D’ailleurs, à part quelques exceptions, l’ensemble de la population dort. Si l’on recherche de la discrétion, pourquoi n’avoir pas fait appel à la 2e compagnie du 3e corps médical alors casernée à Namur ? Il ne devait pas être très difficile d’obtenir la discrétion de militaires vis-à-vis desquels l’éventail des punitions est vaste.

Mais si les militaires ne pouvaient pas s’exprimer publiquement, ils pouvaient en revanche se confier à leurs femme, parents ou amis. Il y avait donc un risque.

Pourquoi une fois à Laeken, la toilette mortuaire sera-t-elle effectuée sans qu’on fasse une autopsie. Alors qu’il s’agit d’une mort violente ?

Pourquoi dit-on que le roi demande à son valet de s’éloigner d’une cinquantaine de mètres au moment de descendre la falaise pour entamer l’escalade du rocher ? Qu’aurait à cacher un alpiniste lors d’une escalade ? Rien, évidemment. Pourquoi cette demande alors ? La seule explication plausible de cette curieuse demande est-elle de mettre le valet hors de cause. Pour éviter qu’il soit interrogé de façon trop serrée ? Il ne savait rien puisqu’il n’avait rien vu. Il n’avait rien vu puisqu’il n’était pas là. Et rien entendu ? Peut-on raisonnablement soutenir que quelqu’un qui tombe ne crie pas ? Pour certains oui pour d’autres non. En tout cas, le valet n’étant pas là, la question ne sera pas d’actualité.

Monument à la mémoire d'Albert I à Saint-Quentin (France)

Pourquoi le roi gare-t-il sa voiture à Boninne, soit sur le plateau surplombant la Meuse ? N’est-il pas étrange qu’il aborde la falaise par Boninne, soit par le haut ? Pourquoi ne pas avoir garé la Ford sur la route au pied de la falaise, en bord de Meuse ? C’était quand même beaucoup plus simple.

Pourquoi est-ce Van Dycke qui est présent ? Selon les relations, par le fait que le roi n’avait que deux officiers d’ordonnance et qu’ils étaient indisponibles. L’un, le major d’artillerie Alfred Van Caubergh, était malade et l’autre, Lucien Jacques de Dixmude, avait reçu l’autorisation de rentrer auprès de sa femme qui venait d’accoucher. Ce qui est certain, c’est que la femme de Jacques de Dixmude n’était pas enceinte à ce moment.

En outre, c’est une erreur d’affirmer que le roi n’avait que deux officiers d’ordonnance. Ils étaient quatre : le colonel comte André de Meeus, commandant du 2e Chasseurs à pied, le lieutenant-colonel d’aéronautique baron Frédéric de Woelmont, le major d’artillerie Alfred Van Caubergh, professeur à l’École de guerre et le capitaine d’infanterie Lucien Jacques de Dixmude du 6e de Ligne.

En outre, le lieutenant-colonel d’artillerie Jean Du Four, du 14e d’artillerie, est aussi attaché à la Maison militaire.

Si un officier d’ordonnance est malade, il en reste trois disponibles ainsi qu’un attaché militaire. Dès lors, la présence de Van Dycke demeure inexplicable, en particulier parce que le valet ne sait pas conduire. Si le roi se foule une cheville ou un poignet, il ne peut pas rentrer à Bruxelles. C’est contraire à tous les principes de précaution dont le Palais est pourtant coutumier.

Pourquoi quand, un peu avant 17 heures, Van Dycke s’avance dans la direction où le souverain a disparu dit-il que « partout le terrain est hérissé de tours rocheuses ou recouvert de taillis inextricables » et « qu’il doit s’arrêter devant les obstacles ».

Si les taillis sont inextricables, comment a fait le roi pour les traverser seul mais aussi avec Van Dycke. Pourquoi Van Dycke ne peut-il plus traverser des taillis qu’il a déjà franchis ?

Tout cela est tellement curieux qu’on supprime tout simplement cet épisode du rapport officiel. Au lieu de faire descendre et remonter Van Dycke, le valet attend le roi sur un banc.

Pourquoi Van Dycke attend-il une heure et demie, jusqu’à 17 heures, alors que le roi avait précisé qu’il le retrouverait dans une heure ? Par discrétion ? Pourtant, le valet sait que le roi est attendu au Palais des Sports d’Anvers peu après 20 heures. Et il doit encore regagner Laeken, manger, se laver, se changer et se rendre au Palais des Sports à Anvers… À 17 heures, il est presque trop tard pour que le roi arrive à l’heure ; Van Dycke le sait. Or, Albert est réputé pour sa ponctualité. Ce que Van Dycke sait aussi.

Derrière le rocher du Roi, soit le rocher du Vieux Bon Dieu, se trouve un autre pic, haut de 13 mètres, dénommé l’Inaccessible, invisible de la route longeant la Meuse. C’est ce pic que le roi aurait escaladé.

Le roi aurait-il laissé des traces ? Qui les a vérifiées ? Imagine-t-on un juge d’instruction se lancer avec son greffier, dans l’escalade d’un piton qui fait maximum deux mètres carrés à son sommet ? Comme ils étaient tous deux inexpérimentés en matière d’escalade, il fallait donc qu’ils soient guidés par un premier de cordée. Comment auraient-ils fait pour tenir à trois, même à deux, sur deux mètres carrés ?

Route de Marche-les-Dames

Cela revient à dire que l’enquête du parquet de Namur n’a pas été effectuée correctement avec des constatations sur le rocher même.

Pourtant dans le dossier judiciaire, la pièce n°50 explique que les deux juges d’instruction se rendent au sommet avec un greffier et deux experts. Ils rédigeront un P.-V. de constat des plus curieux.

S’il a escaladé cette paroi, la voie choisie par le roi est à la portée d’un débutant. Elle ne fait qu’une douzaine de mètres. La facilité en est confirmée par un membre des instructeurs du centre para-commando voisin qui déclare que le roi est mort dans un escalier en précisant toutefois avec bon sens qu’on peut mourir dans un escalier…

Comment expliquer qu’il faut près de deux heures pour prévenir le procureur du Roi de Namur ? Même si l’on passe par le capitaine de gendarmerie de Namur, c’est très long. Au point qu’on aurait été plus vite… à pied. Or, il y a sur place au moins trois voitures. On peut logiquement penser que, même s’ils étaient de sortie, le procureur et l’officier étaient rentrés chez eux et dormaient du sommeil du juste. À moins que le procureur et l’officier ne soient de sacrés noceurs. À cette heure, deux heures du matin, le motif de l’encombrement du réseau téléphonique tient du gag.

Alors qu’on fixe l’heure de la mort avec précision, par contre dans l’acte de décès signé par plusieurs personnalités officielles, le lieu de la mort n’est pas déterminé. C’est curieux puisque ce lieu est connu. Même s’il ne s’agit pas de citer le rocher exact, chaque caillou ne porte pas de nom, pourquoi ne pas avoir donné comme lieu de décès le rocher du Vieux Bon Dieu ou au moins le nom de la commune ? Parce que ce n’est pas là que le roi est mort ?

Une croix, encore visible aujourd’hui, est placée à l’endroit exact où le corps a été retrouvé, cet endroit est visible de la route.

La photo publiée directement après le drame dans le journal d’Henri Pirenne précise « Endroit où fut trouvé le corps du roi Albert », sans que cet endroit ne soit marqué sur la photo. Mais il est manifestement beaucoup plus bas que la croix actuelle. Pourquoi avoir remonté l’endroit de l’impact d’environ 40 mètres ? Pour le rendre inaccessible au public et, en tout cas, assez lointain par rapport à la route pour qu’on ne puisse rien voir ?

Pourquoi, au moment de l’annonce et de la convocation de la presse au Palais, les journalistes sont-ils reçus dans une pièce en désordre où traînent les traces du drame ? Comme si, chez un banal particulier on n’avait pas eu le temps de ranger les choses, alors que jusqu’à preuve du contraire un palais regorge de personnel pour tout ranger ou de salons nombreux qui permettent d’éviter les scènes de désordre.

Albert I photographié en 1917

Au fur et à mesure que l’on pénètre dans ce dossier, on a le sentiment que la version officielle était un montage. Il y a trop d’anomalies, trop de détails qui clochent, trop de manque de présence d’esprit, trop de contradictions pour un accident, somme toute, assez simple : un alpiniste grimpe, s’accroche à une roche instable, tombe et se tue.

Pourquoi une telle quantité d’anomalies pour expliquer ce qui ne serait qu’un fait divers banal si la victime n’était pas le chef de l’État ?

En lisant et relisant les relations du drame, on a le sentiment qu’on ne disait pas la vérité. Naturellement, pour une affaire de cette importance, il fallait enquêter, confirmer. Et plutôt deux fois qu’une. Comment expliquer que personne ne se soit inquiété de ces invraisemblances avant de nombreuses années ? C’est assez facile à comprendre. La personnalité des intervenants : un officier de la Maison militaire du roi, fils d’un héros de l’Yser ; le secrétaire général du Club alpin belge, comte de surcroît ; une sommité médicale, professeur d’université et ancien ministre. Qui, au moment des faits, aurait osé se lever contre des témoins, pas oculaires certes, mais présents lors des recherches ? Et des témoins de cette qualité. Si on ajoute à cela la vénération dont le roi était l’objet, on comprend que personne n’ait osé mettre ouvertement la version officielle en doute.

N’oublions pas qu’elle est confirmée par le parquet de Namur. Qui va dire à deux magistrats : « Vous mentez. » ? Qui, surtout, est capable de le prouver sans avoir accès au dossier judiciaire ? Il y a aussi la crainte de toucher à deux tabous : la mort et la royauté. Crainte aussi de ne pas convaincre et, dès lors, de passer pour un fou à lier. Qui est volontaire ?

Ce qui est dommage, c’est que l’absence d’enquête officielle sérieuse ait laissé la place à tous les fantasmes et à la rumeur populaire. Une rumeur populaire qui prouve, dans le cas présent, qu’on a raison de prétendre qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Cependant, il convient de calmer le jeu. Tant que la rumeur n’est pas démontrée, elle n’est pas vérité vraie même si elle est imprimée. À l’inverse, n’importe quoi couché sur papier, y compris par un juge d’instruction, n’a aucune valeur si les faits ne confirment pas.

Aujourd’hui, comme pour l’affaire Kennedy aux États-Unis on ne peut que se perdre en conjonctures. La différence c’est que les Américains, quand après 85 ans les documents concernant cette affaire seront accessibles, connaîtront, eux, la vérité.

Apprendrons-nous un jour ce qui s’est réellement passé ?

Et voilà notre deuxième grosse affaire judiciaire « pas très claire » qui prend corps pour des années.

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