Edgard de Caritas – « Le premier maquisard »

Edgard de Caritas « Le premier maquisard »

Edgard de Caritat de Peruzzis est né en 1879 dans le Limbourg, au château des Princes de Mérode, à Petersheim, dans la commune de Lanaken, Edgard de Caritat fait ses premières études au collège Saint-Servais à Liège, termine ses humanités au séminaire de Saint-Trond avant de s’asseoir sur les bancs de l’Université de Louvain. En 1904, à vingt-cinq ans, il devient bourgmestre de sa commune, le reste de son parcours est classique pour ce hobereau campagnard : une femme et bien entendu des enfants.

Rien ni dans sa formation, ni dans sa vie ne le prédestine au métier des armes. Seuls les tragiques événements de 1914 vont lui donner l’occasion de faire une brève et brillante car- rière de soldat et cela sans, pour ainsi dire, quitter son village de Lanaken. Le début du conflit le voit bien entendu rester à son poste et s’employer à servir ses administrés, organiser des secours et faire distribuer des vivres.

Mais l’homme d’action qu’il est ne peut se contenter d’un rôle mineur. Il veut aller plus loin dans l’engagement, dans la lutte contre l’envahisseur. Son idée? Organiser un service de rensei- gnements pour notre armée. Avec son vélo, de l’aube à la nuit tombante, il sillonne sa région pour recueillir un maximum d’informations sur les Allemands. Pendant presque deux mois, il parvient, en utilisant des pigeons, ou par téléphone à tenir informées nos forces repliées au camp de Beverloo et à Anvers ou le général gouverneur militaire du Limbourg. 

Au même moment c’est-à-dire après la bataille de Liège et celle de Haelen, notre armée se retranche dans la position fortifiée d’Anvers.  On assiste alors à cette chose incroyable qui est de voir, à Lanaken, des volontaires belges qui suivent une instruction.

Pendant près de deux mois, du 20 août au 10 octobre, cette paisible région limbourgeoise voit se développer une guérilla menée par nos volontaires contre les troupes allemandes. C’est à ce moment que réapparaît l’héroïque bourgmestre qui, lors du premier passage des troupes allemandes dans sa commune, a su éviter qu’ils fassent trop de dégâts. 

Quelques jours plus tard, notre gouvernement décrète l’appel sous les drapeaux de la classe 1914. De Caritat l’organise aus- sitôt dans sa commune. Bien entendu, dès que les autorités allemandes l’apprennent, ils décident de l’arrêter pour lui faire payer son audace.C’est ainsi que le dimanche 20 septembre, au moment où il se rend à l’église avec sa femme, un homme se précipite pour signaler que des soldats allemands sont en route pour s’emparer de lui. Sans l’ombre d’une hésitation, le bourgmestre fuit à vélo jusqu’à Beverloo, et s’engage dans le groupe de volontaires du général De Schepper. 

Avec l’accord des autorités militaires, il arme une vingtaine d’habitants de la région, comme lui volontaires de guerre, il les habille d’uniformes disparates et prend le maquis. Avec le courage qui est le sien, il prend la tête de nombreuses patrouilles, il livre une guérilla acharnée.

 De Caritat a la chasse dans le sang et il connaît la région comme peu d’autres. Petit à petit, le commando se constitue un solide arsenal, leurs vieilles pétoires sont remplacées par des armes modernes prises à l’ennemi. Pendant des jours et des jours, ils font sans arrêt preuve de la plus grande bravoure.

Il n’y aura jamais, dans son groupe plus de 134 hommes, seuls des motocyclistes et cyclistes venus d’Anvers ont renforcé l’effectif du départ. Ils tiendront leur forêt jusqu’après l’abandon de la position d’Anvers par les nôtres. 

De Caritat, pendant toute cette période, harcèle sans discon- tinuer, à la tête de ses compagnons, les troupes ennemies cantonnées à Tongres, Bilsen, Genk, ou encore l’aile droite, l’aile marchante de l’envahisseur. Les exploits de cette poignée d’hommes courageux, qui tiendront en échec la formidable puissance de l’Allemagne, rayonnèrent jusqu’en France.

Les Allemands, exaspérés par cette résistance inattendue et opiniâtre, décident d’y mettre fin. Contre cette « puissante armée » de 26 soldats belges, les Allemands vont bénéficier d’informations fournies par un de leurs anciens sous-officiers, qui vit à quelques kilomètres de Lanaken. Les Allemands envoient une colonne de 1500 hommes avec deux canons et quatre mitrailleuses. Nous sommes le 4 octobre 1914, un dimanche, le détachement ennemi met, à 7 heures du matin, le siège devant Lanaken qu’ils commencent à bombarder avant de se répandre dans le village pour le piller et l’incendier jusqu’au soir. 

Sur le terrain, les troupes allemandes, leur travail de destruction terminé et après avoir laissé une cinquantaine d’hommes pour occuper Lanaken, s’en vont vers Reckheim et Mechelen avec leurs canons et leurs mitrailleuses. 

De Caritat et ses hommes, bien que considérés par les envahisseurs comme des civils et non pas comme des militaires qu’ils sont pourtant, tout en continuant à se battre, et en défendant pied à pied le maquis campinois, reculent lentement à travers bois. Sans cesser d’être pris en chasse, ils vont dans la direction où ils pensent trouver de l’aide de la part des hommes du général De Schepper. Là, confrontés à une situation qui s’avère de plus en plus désespérée, la plupart des combattants décident de passer en Hollande. Seul un petit groupe d’obstinés veut tenir le plus longtemps possible. Finalement, acculés par l’ennemi, ils se décident eux aussi à franchir la frontière. De Caritat reste évidemment le dernier.

Le 7 octobre à midi, il est encore en train de faire le coup de feu sur la grand-route de Kaulille à Harmont, dans l’extrême nord du Limbourg lorsqu’une rafale de mitrailleuse le fauche. Blessé, il a la force et le courage de se cacher et de se traîner jusqu’à une petite maison qui borde la route. Là, il rencontre une vieille femme qui fuyait devant la fusillade. Il lui conseille de continuer à se sauver et lui demande juste, si elle le peut, de lui envoyer un prêtre, car il sait qu’il va mourir…Une heure après, des secours arrivent, il y a le Doyen de Hamont qui le confesse et un docteur venu avec des aides pour le transporter vers un poste de secours dans le village. Là, il est soigné, mais sans grand espoir. Ses blessures sont trop graves. Il confie à la sœur qui le soigne qu’il est heureux de mourir pour le Roi et le Pays, mais qu’il est dur de penser qu’il ne verra plus sa femme et ses enfants.

À minuit, au moment précis où une ambulance vient le chercher pour le transporter à Maestricht où sa femme l’attend, il rend le dernier soupir. C’en est fini de ce jeune chef et de ses soldats qui, partis à quelques-uns, armés de vieux fusils, ont tenu les Allemands en échec pendant deux mois.

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