Louise de Saxe alimenta longtemps les rubriques à scandale de la presse européenne dans les années 1900. Elle n’était pourtant pas destinée à cette célébrité et à une vie aussi agitée. Quoi que… Sa mère est une Bourbon-Parme et, en tant que fille de Ferdinand IV, grand-duc de Toscane, Louise est née Habsbourg-Lorraine. Sa jeunesse ne se passe pourtant pas sous le doux soleil italien mais à Salzbourg, car les Toscanes ont été chassés de leur trône en 1859.
L’Autriche a un climat agréable, mais l’amitié entre son père et l’empereur François-Joseph ne lui facilite pas la vie. Concernant sa présence dans la presse, Louise n’est pas la première de la famille à faire la Une. Deux de ses oncles la devancent en faisant parler d’eux ailleurs que dans les rubriques du carnet mondain. D’abord lorsque l’archiduc Jean Salvator disparaît en 1890 à bord de son yacht. Était-il réellement naufragé ? Avait-il décidé de changer d’identité ? Ou a-t-il été éliminé par l’empereur d’Autriche, contre qui il est soupçonné d’avoir comploté ? Personne ne l’a jamais revu en Autriche, mais, dans les années qui suivent, sa présence est signalée un peu partout, à New York, à Alger, en Norvège et même en Argentine.
Son deuxième oncle, l’archiduc Louis, se retire, dégoûté de l’Autriche et des intrigues de cour. Lui aussi affrète un bateau qui devient sa maison flottante. Pendant des années, l’archiduc sillonne alors la Méditerranée avec un équipage d’une vingtaine de personnes. Cela sans compter les chiens, chats, oiseaux, singes et toutes sortes d’autres bêtes, si bien que ses contemporains surnomment le navire l’Arche de Noé. Son arrivée dans un port suscite toujours, on s’en doute, une intense curiosité. Un jour, il décide de se fixer à Majorque où il achète quelques terres et crée un véritable paradis. Chez lui aucun arbre ne peut être abattu, aucune maison ne peut être construite, et tous les animaux, mis à part ceux élevés dans des buts alimentaires, peuvent y jouir d’une vie paisible jusqu’à leur mort naturelle. Pour les touristes, déjà présents à cette époque, qui veulent voir cet endroit extraordinaire, Louis-Salvador fait aménager spécialement une maison d’hôtes, dans laquelle les voyageurs peuvent être logés gratuitement pendant trois jours. Il mène une vie simple, porte des costumes élimés ou de simples tabliers et, parfois, on le confond même, pour son plus grand plaisir, avec un marin ou un ouvrier agricole. Un jour, il reçoit un pourboire d’un paysan qu’il a aidé à sortir sa charrette d’une ornière. Très fier, il racontera souvent l’anecdote : « Mon premier argent qui soit vraiment à moi ». Il est tellement exceptionnel que Jules Verne, qui est son ami, s’en servira comme modèle pour un de ses personnages. Louise a donc de qui tenir pour faire dans l’originalité et le romanesque, mais nous n’en sommes pas encore là.
La passion du père de Louis, Ferdinand IV, n’est pas la mer ou la nature, mais, en tant que souverain détrôné, la restauration de sa dynastie quelque part dans le monde. Son frère, Jean Salvator, le disparu en mer, avait tenté sa chance en Bulgarie, mais c’est un Cobourg, neveu de Léopold I, qui l’avait finalement emporté. Le grand-duc essaye alors de placer sa fille Louise auprès de Don Pedro, neveu de l’empereur du Brésil, puis de Ferdinand, qui devient roi de Bulgarie. Tout est mis en œuvre pour que les choses arrivent durant le bal de la Cour à Vienne, en 1891, mais Louise, déjà rebelle, a prévu un tout autre scénario. Un brillant cavalier, plus âgé qu’elle de cinq ans, l’a un jour aidé à maîtriser son cheval qui s’était emballé. Elle a été séduite par son élégance et sa distinction. C’est avec lui, le prince Frédéric-Auguste de Saxe, qu’elle a un rendez-vous secret durant le bal. Ferdinand de Bulgarie devra quant à lui se contenter d’une valse. L’élu de la soirée sera donc sans surprise Frédéric-Auguste.
Ferdinand de Toscane, déçu, se console en apprenant que ce « petit » prince est quand même le neveu du roi de Saxe, qui n’a pas d’héritier. Il garde ainsi l’espérance de voir le trône lui revenir un jour. Le mariage est célébré à la Hofburg, le 21 novembre 1891, puis la lune de miel se déroule à Prague, au château du Hradschin, aimablement mis à la disposition des jeunes mariés par l’Empereur lui-même. Les noces terminées, le jeune couple s’installe à la cour de Saxe, au château royal de Dresde. Dans cette cour d’opérette que le protocole austère rend triste à mourir, la princesse, gaie et primesautière, fait, contre mauvaise fortune, ce que l’on attend d’elle, c’est-à-dire des enfants. Ils auront trois fils, en 1893, 1894 et 1896, puis trois filles, en 1900, 1901 et 1903.
Louise, rapidement appréciée de la population du petit état, aime goûter à sa popularité en faisant des sorties dans la charmante ville de Dresde. Ses excursions sont cependant étroitement contrôlées par la Cour, qui a peur que cette attitude ne finisse par porter ombrage au reste de la famille, nettement moins plébiscitée. Si elle est pleine d’affection pour son mari, celui-ci, comme tout bon noble de son temps, la délaisse, une fois les premiers feux de l’amour passés, pour se consacrer aux demoiselles peu farouches des coulisses de l’opéra de Dresde.
Louise, pourtant attentionnée avec ses enfants, se voit retirer à la fois leur surveillance et leur éducation. L’étiquette et la coutume veulent que celles-ci soient confiées aux dignitaires auxquels cette charge revient par privilège. Nul n’aurait pu mieux faire pour attrister Louise tout en la rendant disponible pour toutes les aventures. Femme énergique, aimant prendre son destin en main, elle trouve vite un soutien et du réconfort auprès d’André Giron, un jeune et séduisant Bruxellois qui est alors le précepteur de ses enfants. Nous sommes en 1902, elle a 33 ans et lui 24. Ils commencent par s’échanger des poèmes, des serments, puis, de fil en aiguille, des caresses et tout ce qui peut faire oublier à un homme et une femme les dures réalités de la vie.
Mais un palais royal, aussi grand soit-il, reste un univers clos, tout comme un petit État allemand. La sœur du prince, une vieille fille acariâtre dont la principale activité est d’être en permanence à l’affût des ragots, dénonce les amants à son frère, puis au roi. Louise est alors enceinte de son sixième enfant et Frédéric-Auguste s’apprête à ceindre la couronne. Ce n’est vraiment pas le bon moment pour une histoire d’amour adultère. Giron, le jeune professeur bruxellois, est congédié sur le champ, sans que Louise n’en soit avertie. Dès qu’elle l’apprend, la princesse intercède auprès du roi en faveur de son ami en niant évidemment tout, mais ce fut en vain. Son mari, en « bon mâle », peut tout se permettre mais n’admet pas l’inconduite d’une épouse. Pour lui, tout est terminé entre eux. Ce mariage d’amour s’achève après dix années et une ribambelle d’enfants.
Louise, femme de tête, ne se contente bien entendu pas longtemps de cette situation. Un soir de l’hiver 1902-1903, alors que Frédéric-Auguste chasse au Tyrol, Louise, munie juste de quelques bagages, se sauve du palais royal. Elle gagne le château de Salzbourg pour se réfugier auprès de son père et de son frère entre autre pour prendre conseil. Le grand-duc de Toscane, âgé de 68 ans, ne voit qu’une seule chose : sa fille va enfin devenir reine ! Il lui conseille alors la patience et la résignation. Ce qui ne sont pour lui que des caprices de femme enceinte ne doivent pas être dramatisés. Et puis, rien ne vaut un trône, même bancal.
Par contre le frère de Louise l’archiduc Léopold, se montre plus compréhensif. Il raconte à Louise qu’il s’apprête lui-même à tout quitter, car il en a lui aussi marre de ces intrigues de palais. Sa situation n’est pas des plus faciles : alcoolique, il est en plus amoureux d’une femme aux mœurs disons légères. Il choisit d’assumer en renonçant au rang d’archiduc. Il prend alors le nom de Léopold Wölfling et s’exile, désormais interdit par l’Empereur de résider dans l’Empire. La fin de sa vie ne sera cependant pas des plus glorieuses : il reviendra à Vienne après la Première Guerre mondiale. C’est en effet la fin à la fois des Habsbourg et surtout de la pension que lui verse, quand même, sa famille. Il ouvre une épicerie puis finit par s’établir à Berlin, où il sympathise avec les nazis.
L’avis de ce frère qui n’est, à ce moment-là, pas encore déchu, renforce Louise dans ses convictions. Elle prend le soir même le train pour Zurich, non sans avoir, par télégramme, prévenu son beau Bruxellois de son arrivée. Jusque-là, le scandale n’est pas encore public. Giron et la princesse, inscrits à l’hôtel sous de fausses identités, n’attirent pas trop l’attention. Puis ils décident de s’installer quelque temps à Genève. La voiture de l’hôtel qui les conduits à la gare entre en collision avec une autre sur le trajet, ce qui entraîne un constat de police et une vérification d’identité. Les deux tourtereaux poursuivent leur route, mais le lendemain matin, leurs noms sont à la Une du principal journal zurichois. Dès l’arrivée à la gare de Genève, il faut s’y attendre, la surveillance policière commence : des inspecteurs suisses, discrets, mais aussi des hommes qui essaient de se faire encore plus discrets, ceux du roi de Saxe sans aucun doute. Les badauds et les journalistes poursuivent la princesse et son amant qui s’installent à l’Hôtel d’Angleterre, alors guettés jours et nuits. Il faut dire qu’on repère vite la princesse qui est enceinte de sept mois.
À Dresde, où jusque-là on s’est contenté de dire à la presse que la princesse était en voyage à l’étranger, les bruits les plus alarmants circulent parmi les étudiants et l’opposition socialiste. Louise, on l’a vu, est très populaire. Les étudiants viennent jusque sous les fenêtres du palais réclamer le retour de leur princesse. La police doit charger pour disperser les manifestants. La Cour finit par réagir : le roi demande à Rome l’annulation du mariage du prince héritier avec la princesse de Toscane. Le scandale devient international. Louise, à Genève, apprend cette nouvelle inquiétante et la population de Dresde lit dans ses journaux les informations croustillantes de Genève.
Quelques jours plus tard, deux autres dépêches officielles sont rendues publiques à Dresde et parviennent à Genève : si Rome refuse l’annulation du mariage, un tribunal d’exception la prononce tout de même à Dresde le 11 février 1903. Tout droit de visite est interdit et la garde de ses enfants est retirée à Louise, à l’avantage exclusif du père. Les Habsbourg lui suppriment son titre d’archiduchesse et lui interdisent d’utiliser leurs armes, ainsi que celles des Habsbourg-Lorraine et des Habsbourg-Toscane. Son père lui accorde cependant le titre de « comtesse Montignoso », car, à cette époque, une dame de haute naissance ne peut, selon lui, décemment vivre sans titre de noblesse. Le roi de Saxe lui accorde quand même un apanage et une rente annuelle de 30 000 marks.
La princesse donne d’abord ses bijoux en gage pour renflouer ses finances puis part avec André pour Menton. Ils résident quelques semaines à l’Hôtel Royal Westminster sous les noms de Mr. et Mme Gérard de Bruxelles. Ils sont toujours « pistés » par des policiers, mais ils se sentent moins isolés. Dans une suite voisine de la leur, la princesse Stéphanie de Belgique et son second mari, le comte de Lonyay, eux aussi mis au ban de leur famille et des Habsbourg, prolongent leur lune de miel.
Soudain, un télégramme de Dresde vient troubler nos amoureux. Une personne qui est restée fidèle à Louise annonce à la princesse que son deuxième fils, Frédéric-Christian, alors âgé de dix ans, est gravement malade. Louise, prête à rentrer à Dresde, envoie un télégramme pour solliciter ce droit. Elle essuie un refus sec et impitoyable de son ex-mari. La princesse suggère alors à André Giron de partir un moment à Bruxelles, jusqu’à son accouchement. La sachant seule, peut-être que le prince l’autorisera à revenir soigner son fils malade. Giron ne se le fait pas répéter deux fois. Depuis quelques semaines, il ne sait en réalité plus quelle attitude adopter envers son amante enceinte de huit mois et tout ce scandale. Il ne part pas… il fuit.
Louise se rend à Nyon, en Suisse, dans une maison de repos, d’où elle contacte sa mère. La grande-duchesse de Toscane l’invite à venir accoucher dans la propriété familiale de Lindau, près du lac de Constance. La princesse Anne-Monique naît, le 4 mai 1903, à Lindau, alors sixième enfant des princes de Saxe divorcés. Un pardon sollicité par le grand-duc de Toscane, à l’occasion de cet heureux événement, est rejeté par le père et sa famille. Elle ne reçoit plus de nouvelles de Giron, l’amant pour lequel elle a tout abandonné. Plus de télégrammes, de lettres… Rien, plus rien ne viendra jamais ni de Bruxelles, ni d’ailleurs ! La guérison de son fils, alors à Dresde, est la seule bonne nouvelle. Louise met des mois à se rétablir. Puis elle commence à voyager. Elle erre quatre ans d’hôtels en hôtels, tantôt dans les villes d’eaux, tantôt autour des plages, accompagnée d’une nurse qui porte la petite Anne-Monique.
Le 14 octobre 1904, à la mort du vieux roi de Saxe, le prince, son ex-mari, accède au trône. Louise lui adresse un affectueux télégramme de condoléances dont elle espère la clémence mais le silence est total. Fin 1904, toujours solitaire, elle part pour Florence et prend ses quartiers d’hiver dans une résidence familiale, la villa San Domenico, à Fiesole. Puis une idée folle lui traverse l’esprit. Elle prend le train pour Dresde. Un après-midi d’hiver, en tenue de voyage, elle se présente à la garde du palais royal. Conciliabule des gardes : l’entrée lui est interdite. Louise va dîner au buffet de la gare où les clients la reconnaissent. Puis elle loge à l’Hôtel Terminus, dans le plus bel appartement, un geste du directeur envers la princesse. La nouvelle se répand dans Dresde comme une traînée de poudre. Dès l’aube, sur la place de la gare, les badauds acclament Louise : « Vive la reine ! La reine au palais ! »
Des journalistes sont dans le hall de l’hôtel, dans l’attente d’une déclaration. Mais tandis que Louise se prépare à cette entrée en scène imprévue, la police disperse les curieux et fait sortir les reporters. Un commissaire fait ouvrir la porte de ses appartements. Il a la consigne de conduire, de gré ou de force, la comtesse de Montignoso, comme il la nomme, à la gare. Tout est fini. Cette folle tentative de renouer avec le passé a échoué. Louise accompagne le commissaire. Un train spécial va l’emmener à Leipzig, d’où elle regagnera Fiesole.
Le printemps de 1905 est très doux. Louise passe le temps de manière agréable notamment en prenant des leçons de piano. Agée désormais de 36 ans, elle se laisse séduire par un bel Italien de 24 ans, Enrico Toselli, son professeur de piano dont les sérénades éblouissent celles qui ne demandent certainement qu’à s’étourdir pour oublier. Le 25 septembre 1907, on apprend de Londres que Louise est devenue, par mariage civil, Madame Toselli. En octobre, la cour de Dresde dépêche à Londres un émissaire chargé de réclamer la jeune princesse Anne-Monique. Louise, après avoir longtemps craint l’enlèvement du dernier enfant encore avec elle, consent à la remettre aux envoyés de son père, le roi de Saxe. Il faut dire, que selon ses critères, elle n’a pas le choix, le versement de sa pension en dépend. Et une princesse sans rente, sans revenus, c’est juste impossible ! Si le désir d’être mère est toujours là, elle est rapidement satisfaite : le 7 mai 1908 elle met au monde un fils, son septième enfant, Carlo-Emmanuel Toselli.
Louise de Saxe, comme on continue à l’appeler, est rayée du Gotha. Par exemple, lorsque son père meurt à Salzbourg, la famille la prie de ne pas paraître aux obsèques. Dans la presse par contre, elle a souvent fait la Une des faits divers. Tant et si bien que Barnum, le grand cirque américain, offre à Toselli un contrat fabuleux pour une série de concerts à condition que la « reine » accepte d’assister à l’interprétation de la Serenata. Louise est d’accord : enfin sortie de toutes ces années pénibles, elle veut montrer au monde son bonheur. En revanche, son mari, susceptible, n’admet pas de voir son talent qu’il juge exceptionnel commercialisé de cette manière. Il préfère diriger son orchestre tzigane. Il se produit à Paris, à Berlin, à Rome, à New York, à Madrid et la « reine de Saxe », qui le suit, n’oublie jamais, à la veille de chaque concert, de mentionner à la presse qu’elle viendra l’applaudir. Le lendemain, elle se prête aux interviews, parlant à tort et à travers, pour exprimer tout ce que la bienséance l’a obligée à taire pendant plus de dix ans. Avec son mari, elle dépense des fortunes. Louise emprunte sur ses derniers bijoux, puis rédige le livret d’une opérette inspiré de sa vie La Princesse bizarre dont Toselli compose la musique. Cette œuvre ne marquera pas l’histoire de la musique : jouée une seule fois à Naples, où elle sera sifflée, compromettant définitivement la carrière de Toselli. Le couple se sépare et Toselli obtient le divorce et la garde de leur enfant. Le roman d’amour se referme une nouvelle fois pour Louise.
Le 19 août 1911, Louise s’installe sous le nom de comtesse de Montignoso à Bruxelles dans une suite de l’Hôtel Astoria, rue Royale. Que vient-elle chercher à Bruxelles cette princesse déchue de 41 ans ? Le souvenir de son amant disparu, André Giron, l’espoir de le croiser un beau jour par hasard au détour d’une rue ? Elle réside un an à l’Astoria, puis, en 1912, elle achète une belle maison face aux étangs d’Ixelles, au 19 de l’avenue des Klauwaerts. À la police des étrangers d’Ixelles, elle a rédigé la fiche suivante :
Nom : Louise von Toscana
Épouse divorcée de Henri Toselli
Née à Salzbourg (Autriche-Hongrie), le 2 septembre 1870
Sans profession
Domicile légal : via Santa Marla, 1, Fiesole (Italie)
Adresse précédente : Hôtel Astoria. Bruxelles
Vie et mœurs : rien de défavorable à signaler
Moyen d’existence : fortune personnelle
Pendant trente-cinq ans, les habitants de ce quartier côtoient celle qui se fait appeler « la comtesse de Montignoso », nom que les Bruxellois estropient de manière gentille en « comtesse Mignoso ». Ils peuvent la croiser chaque matin lorsqu’elle va faire ses courses dans le quartier, aimable et polie, mais le regard absent, marqué d’une infinie tristesse. En 1914, elle est seule. Son ex-mari, le roi de Saxe et ses trois fils, officiers dans l’armée allemande passent par Bruxelles mais aucun d’eux ne lui rendra visite.
Elle n’attend plus rien de la vie si ce n’est son lot de mauvaises nouvelles. Le 13 novembre 1918, avec l’abolition de la monarchie en Saxe, le versement de sa rente annuelle prend fin. En 1926, son ex-mari Toselli, décède à quarante-trois ans dans la misère. Il n’avait survécu jusque-là que des quelques droits d’auteur qu’il touchait de la Serenata.
En 1932, elle apprend la mort de l’ex-roi de Saxe par les journaux. Elle recevait encore de lui l’usufruit de sa dot. Elle vend donc les derniers objets précieux qui lui restent et donne quelques leçons particulières. Elle en profite pour écrire aussi ses mémoires qu’elle intitule Ma Vie. Ce sont ses vraies mémoires, contrairement aux fausses qu’un journaliste peu scrupuleux avait publiées quelques années auparavant. Le 23 mars 1947, elle meurt dans notre capitale, seule, oubliée de tous et sans jamais avoir revu son amant bruxellois.