Plus de boudin pour les Belges
30 avril 1863, 11 heures du matin. Après le premier assaut des Mexicains sur l’hacienda de Camerone, les légionnaires de la troisième compagnie font le serment à leur capitaine de se battre jusqu’à la dernière cartouche, jusqu’à leur dernier souffle de vie. Alors, perdus au milieu de nulle part, à des milliers de kilomètres de chez eux, brûlés par un soleil de plomb, des hommes se préparent à un combat, devenu depuis un combat légendaire. « Une lutte de géants », à 62 contre 2 000. À la fin de la journée, les six légionnaires encore en état de combattre, à court de munitions, chargent les troupes mexicaines à la baïonnette. Le « serment de Camerone » est là pour rappeler le courage, la détermination et le respect de la parole donnée des légionnaires, accomplie jusqu’au sacrifice suprême.
Un siècle et demi plus tard, le moment le plus attendu et impressionnant du défilé du 14 juillet est l’arrivée, sur l’avenue la plus célèbre du monde, des soldats considérés comme les plus fameux, les redoutables légionnaires arborant leurs képis blancs.
La Légion fut créée en 1831 pour permettre l’incorporation de soldats étrangers dans l’armée française. Depuis sa création plusieurs centaines de milliers d’hommes dont une majorité d’Allemands, suivie de trois fois et demi moins d’Italiens, puis de Belges, mais aussi de Français, d’Espagnols, de Suisses et de nombreuses autres nationalités ont servi dans ses rangs. Ce corps d’armée a toujours été un moyen d’immigration privilégié pour changer de vie, oublier son passé, se faire oublier, trouver une vie meilleure ou encore vivre l’aventure. Les légionnaires ont acquis leur prestige lors de combats menés sur les champs de bataille du monde entier. Leur code d’honneur dicte leur conduite au quotidien, cela en temps de guerre comme en temps de paix. Partout et toujours leur devise est Legio Patria Nostra (« Notre patrie, c’est la Légion ») et leur maxime « Légionnaire un jour, Légionnaire toujours ».
Outre leur képi et leur recrutement, leur manière de marcher lors d’un défilé est aussi différente. Le légionnaire utilise le « pas de la Légion », plus lent que le pas militaire normal, puisque ce sont 88 pas par minute au lieu des 120 prescrits par les règlements des autres armées. En marchant de ce pas atypique, il chante une chanson, leur chanson, elle aussi emblématique de ce corps. C’est le fameux Boudin dont le refrain choque plus d’un Belge quand il y est attentif.
Refrain :
Tiens, voilà du boudin, voilà du boudin, voilà du boudin
Pour les Alsaciens, les Suisses et les Lorrains,
Pour les Belges, y en a plus, pour les Belges, y en a plus,
Ce sont des tireurs au cul. (bis)
Qu’avons nous fait, nous qui avons eu tant d’hommes engagés et tués sous le drapeau de la légion pour être vilipendés de la sorte?
Un petit retour en arrière s’impose. Les origines du célèbre refrain, sont elles-mêmes assez mal connues. En 1850, le chef de musique Wilhem compose une première version, arrangée par un autre chef de musique, Dussenty, du 1er régiment étranger. Elle deviendra le chant officiel de la Légion, le tout sur une musique datant de 1840.
Le boudin, c’est simple, c’est la toile de tente et le paquetage du légionnaire dont la forme portée roulée fait penser au produit charcutier.
La première explication, situe l’origine de ces paroles avant l’embarquement de la Légion pour le Mexique. Apprenant que la Légion étrangère doit être engagée dans ce conflit, Léopold I, invoquant le besoin de neutralité, serait intervenu auprès de Napoléon III pour qu’aucun de ses sujets ne participe aux opérations projetées. L’Empereur aurait accepté et donné l’ordre de renvoyer en Algérie les ressortissants belges. Au rassemblement des unités, on aurait fait sortir des rangs les légionnaires belges. Ignorant les raisons diplomatiques de cette réintégration, les légionnaires marquèrent donc ainsi, avec ironie, leur réprobation du retrait de leurs camarades belges.
Version fausse, car Léopold est loin d’être neutre dans cette opération. Premièrement sa fille qu’il veut aider est Impératrice du Mexique et il nourrit aussi des espoirs d’expansion coloniale. Il envoie donc lui aussi une légion belge qui d’ailleurs accompagne les Français. Autre démenti beaucoup plus glorieux : à la fameuse bataille de Camerone, celle qui est devenue la référence mythique de la Légion, il y avait deux légionnaires belges. Voici ce qu’en dit le récit officiel qui, pour rappel, est lu chaque année à tous les légionnaires, depuis plus d’un siècle pour la commémoration de la bataille : « L’assaut final est donné. À six heures du soir, il ne reste plus autour de Maudet que cinq hommes : le caporal Maine, un Français, brillant combattant et vieux soldat ; Victor Catteau, un grand Belge d’un mètre quatre-vingts qui n’a pas encore six mois de service, mais se bat déjà comme un ancien ; Laurent Constantin, un autre Belge, l’œil anthracite, teigneux et cabochard, mais courageux comme un dogue ; le légionnaire Léonhard et puis le vieux Wensel qui trompa l’administration pour avoir la gloire de venir se faire trouer la peau dans cet enfer. Ils tiennent encore l’ennemi en respect, mais leur résistance touche à sa fin, car ils manqueront bientôt de cartouches. Quelques coups encore et il ne leur en reste qu’une chacun. « Armez vos fusils, dit le lieutenant, vous ferez feu à mon commandement ; puis, nous chargerons à la baïonnette, vous me suivrez. » Au signal de l’officier, ils déchargent leurs fusils et chargent à la baïonnette. Victor Catteau, légionnaire belge, meurt, criblé de balles en protégeant le sous-lieutenant de son corps ». Voilà qui prouve que les Belges étaient présents et bien présents au Mexique.
Une autre version, dite traditionnelle, est souvent retenue. C’est une resucée de l’autre mais pour un conflit différent. Les paroles auraient été adoptées vers 1870, avant la guerre franco-prussienne. Quand la France décide que la Légion étrangère, s’il y a une guerre, devra y participer, Léopold II demande formellement que les légionnaires belges n’y participent pas. Cela en raison de la neutralité de la Belgique, afin d’éviter un « casus belli» et de donner une raison aux Allemands de venir faire un tour chez nous, ce qu’ils ne manqueront pas de faire un demi siècle plus tard. Le gouvernement français accède à cette demande et les légionnaires en partance pour la métropole chantent à leurs malheureux camarades ces paroles quelque peu désobligeantes.
Mais, est-ce plausible ? On sait que si l’Allemagne et la France ont respecté la neutralité belge à l’époque, c’est surtout parce que notre armée était nombreuse, bien équipée et qu’elle aurait pu faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
Une autre version beaucoup plus simple pourrait être une volonté de la France de diminuer les effectifs de la Légion. Une décision ministérielle du 6 mars 1871, rappelée par une circulaire du 27 novembre 1873, suspend d’ailleurs d’une manière générale les engagements volontaires des étrangers et spécifie que les Alsaciens, les Lorrains et les Suisses peuvent seuls obtenir des autorisations.