Métiers d'antan
Les porteurs aux sacs à Huy
Sous l’Ancien Régime, aucun chef de famille ne pouvait pratiquer de fonction lucrative, ni disposer de droits civils et politiques, s’il n’était inscrit à un métier. Liège comptait 32 corporations, Huy 11. Autour du métier principal se rassemblaient toutes les professions ayant avec lui quelque analogie. On les appelait « membres » à Liège et « quarts » à Huy. C’est ainsi que la corporation des naiveurs (bateliers) regroupait les poissseurs, les marchands de foin, d’avoine, de bois coupé, de perches ou encore les porteurs aux sacs. Ces derniers avaient le monopole du transport des marchandises. Mais le règlement de 1654, appliqué à Huy et approuvé par le prince-évêque, tolérait que les « pauvres femmes, filles et garçons étrangers à la corporation portent des fromages, savons, petits paquets, valises, mannes… » En outre, il interdisait de se servir de véhicule pour transporter les grains et le sel, qu’ils pouvaient seulement « porter au col » ou « au havet » (crochets). Un système de roulement déterminait dans quel ordre les travailleurs étaient appelés à porter. Un jet de couteaux, près de l’Apleit des houilles (quai Dautrebande) préludait au tour de chacun. Le chef-d’oeuvre qu’il fallait réaliser pour accéder à la maîtrise était remplacé dans le cas de ce métier par une épreuve physique : porter trois setiers de froment ou une barrique de harengs depuis la « barque de Liège » jusqu’à celle de Namur, ou encore un aime de liquide de l’embarcadère de l’Apleit à la croix érigée au milieu du pont de Meuse.
Si le nombre des porteurs au sac était de 80 au début, en 1655, il tombe à 20 en 1749. Au XIXe siècle, jusque vers 1900, les héritiers de ces travailleurs étaient les « hommes du pont » qui attendaient, appuyés au parapet situé à l’angle du pont et du quai Dautrebande, un service rémunéré, tel que porter des lettres ou des paquets en tout genre.
Ça colle ? La bière est bonne !
À Liège, durant l’Ancien Régime, pour déterminer la densité de la bière et sa qualité, on pratiquait le système de « la bière sur le banc ». Lorsque les rewards ou jurés en avaient contrôlé la saveur, ils répandaient le reste du contenu de leur chope sur un banc de bois et s’asseyaient dessus une heure. Si leur culotte restait collée, c’est que la densité était bonne. Dans le cas contraire, c’est que la bière ne valait pas grand chose. C’était un bon moyen pour eux, par la même occasion, de fixer le prix du breuvage.
« Viande fraîche » chez les boulangers et les vignerons
À Liège, le métier des boulangers tenait ses réunions à la maison du Pourceau d’Or. C’est que ceux-ci entretenaient, dans leur boulangerie même, des porcs qu’ils nourrissaient avec leurs marchandises invendues. Le 9 juillet 1579, en pleine peste, le Magistrat urbain interdit cet usage, pour des raisons d’hygiène.
Les vignerons, eux, vendaient de la viande, ce qui suscita l’ire des mangons (bouchers) qui invoquèrent une concurrence illicite. Mais une réglementation existait :
« Toute bête destinée à la boucherie et que les vignerons voudront abattre en leur halle devra avoir été nourrie par eux pendant au moins quarante jours […] Il est défendu aux confrères d’acheter du bétail appartenant aux mangons ou bouchers pour l’abattre, à moins qu’ils ne continuent à les engraisser pendant au moins trois mois. »
Privilège anéanti
En récompense d’avoir bravement participé à la bataille de Steppes (1213) contre les Brabançons, les mangons de Liège reçurent le privilège de sonner les cloches de Saint-Lambert tous les 11 octobre. Ce jour-là « était une date d’angoisse pour le chapitre de la cathédrale et pour le métier lui-même : les premiers craignaient que les sonneurs 87 trop enthousiastes et manquant d’expérience ne brisent les cloches, les seconds voulaient éviter qu’on leur attribue la responsabilité d’un accident. » Aussi, en 1610, le chapitre décida de mettre un terme à ce privilège, au plus grand déplaisir des mangons.
Il est l’heure
« Les raccommodeurs d’horloges », peu nombreux, étaient de pauvres manuels, errants, juste capables de monter et démonter les pendules. Sur les épaules, ils portaient deux horloges, l’une par devant, l’autre par derrière, et signalaient leur passage au cri de « coucou, coucou » ou en agitant une clochette.
Placeurs de coq
Leur rôle consistait à aller placer le volatile-girouette au sommet des clochers d’églises. Avant cette opération importante, durant laquelle notre alpiniste devait faire preuve de grande habilité, sans souffrir de vertige, on faisait déambuler le coq dans les rues de la paroisse, enlacé de rubans multicolores, suivi de la fanfare locale. Il n’était hissé qu’au terme de la bénédiction du curé.
Experts « dégustateurs de fumée »
C’est ainsi que s’appelaient eux-mêmes les testeurs de fumée de cigarettes. Les fabriques de cigarettes, innombrables avant la Première Guerre mondiale, avant que les grandes marques ne les absorbent, disposaient chacune d’un goûteur. Ce dernier avait pour mission de mélanger 30 à 40 tabacs différents, à partir de 200 kg de matières premières, pour créer un arôme différent. Pour la « dégustation » et la « rectification », le testeur fumait quotidiennement jusqu’à 60 cigarettes.
Spécificités bruxelloises
Au XIXe siècle, et encore au début du XXe, Bruxelles comptait de petits métiers aux noms pittoresques, tels que : cajoubereirs (fouilleurs de poubelles), tchouk-tchouks (marchands de tapis de Tournai ambulants), scheire-sliepers (remouleurs), zoevelmannen (marchands de sable blanc qu’on répandait le soir sur les carrelages des cafés et des cuisines pour les balayer), vodden en bînen (chiffonniers), melkboeren (marchands de lait qui transportaient leurs cruches dans des charrettes tirées par un ou deux gros chiens), vaartkapoenen (« capons du rivage ») et bien d’autres.
L’un des plus originaux, parmi les métiers ambulants, était celui des stoumpeurs (de stoempen, pousser fort) qui louaient leurs bras aux conducteurs de chariots, charrettes, tombereaux… quand il fallait gravir des rues en pente. À la fin du XIXe siècle, chaque stoumpage coûtait, par exemple, 25 cennes (40 centimes) pour la forte côte de la Montagne-de-la-Cour et 20 pour la rue de Namur. Quand les petits stoumpeurs à bras disparurent, ruinés et rongés par l’alcoolisme, ils furent relayés par les stoumpeurs à cheval. Les progrès de la locomotion et du transport urbain les balayèrent à leur tour.