Les Namurois préfèrent la compagnie des chiens
Si un jour l’envie vous prend de vous rendre du côté de Namur, promenez-vous et découvrez tout ce que cette région a de superbe : la ville, ses agréables places et ruelles ou encore ses musées dédiés à Rops ou au Para Commando, l’éventail est large. Peut-être serez-vous aussi attirés par une visite dans la campagne environnante.
Là vous trouverez le site de Marche-les-Dames, place selon certains, de la chute de notre Roi Chevalier et, selon d’autres, théâtre d’une de nos plus grandes manipulations historiques. La célèbre grotte de Spy, où l’homme du même nom vécut il y a plusieurs milliers d’années est également sur le parcours du Struviau, au sud de Goyet, à l’endroit précis où ce ruisseau se jette dans le Samson, un affluent de la Meuse, ainsi que les non moins célèbres grottes de Goyet. Creusées dans la roche au fil des millénaires par le Struviaux, on estime qu’elles sont vieilles de quelque 300 millions d’années. Elles sont remarquables pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles est naturelle : les eaux d’infiltration ont créé des stalactites et des stalagmites aux formes absolument démentes ! Elles sont également un des hauts lieux de notre préhistoire.
Les premières fouilles sont réalisées en 1868, date où l’on découvre également dans les cavernes des vestiges de grands mammifères préhistoriques. Jusqu’en 1999, où un vaste réseau de galeries est mis au jour, on n’a jamais arrêté d’y trouver des témoignages remarquables du passé de l’Homme. L’occupation de nos lointains ancêtres de ces grottes débute lorsque des néandertaliens passent de temps en temps à Goyet, il y a de cela entre 120 000 à 40 000 ans avant le temps présent. Ils sont suivis par des Homo sapiens entre 20 000 et 12 000 ans avant le présent. Plus remarquable encore, on découvre la tombe d’un enfant en 1999 ! On y retrouve aussi ce qui semble être des flûtes, indiquant alors une possible occupation de l’endroit au néolithique il y a environ 7 000 ans.
La découverte la plus extraordinaire date cependant du milieu du XIXe siècle, il y a 150 ans ! C’est un certain Édouard Dupont, autrefois directeur du musée du lieu, qui fait, parmi des ossements d’animaux divers, une découverte absolument unique ! Il s’agit d’un crâne de canidé dont on ignore de quelle espèce il relève exactement. Était-ce un loup ? Un beau jour, il n’y a pas si longtemps, on se décide à reprendre les recherches : on compare les ossements à ceux de chiens préhistoriques retrouvés en Russie, ainsi qu’à une collection d’ossements de référence de loups et chiens récents. On sait que les premiers chiens, ceux de l’ère préhistorique, ont des gueules plus larges et plus courtes, et des crânes plus larges que les loups fossiles et modernes. La domestication, en effet, avait eu comme effet de raccourcir le museau et de rétrécir les mâchoires. Et là, surprise, le crâne, la forme du museau, les dents lèvent tous les doutes possibles : le crâne de Goyet est bien celui d’un chien préhistorique et non celui d’un loup !
Pourtant, un élément ne concorde pas : ces os, si ce sont bien ceux d’un chien, bouleversent toute la chronologie de l’évolution et de la domestication du meilleur ami de l’homme. Il faut en avoir le cœur net. Des chercheurs d’un institut américain situé dans l’Arizona vont prendre les ossements de Goyet et leur faire passer toute une batterie de tests dont celui du carbone 14. Cette méthode se base sur la recherche de présence dans tout organisme d’une quantité de radiocarbone, que l’on peut ensuite évaluer. À partir de l’instant où un organisme meurt, la quantité de radiocarbone qu’il contient décroît au cours du temps de manière connue. Quand on mesure ce qui reste de carbone, que l’on sait à quelle vitesse l’organisme le perd à partir de sa mort et combien il y en avait au départ, on sait depuis combien de temps il est mort. Et là, cette méthode apporte la confirmation de ce que l’on supposait déjà : ces os sont beaucoup plus vieux qu’on ne le pense puisque les analyses les font remonter à 33 000 ans.
Cette découverte avance l’âge du plus ancien chien domestiqué de quelques 18 000 années : le plus ancien spécimen connu auparavant avait vécu il y a 15 000 ans en Russie. Cette découverte est confirmée par d’autres vestiges archéologiques, comme des traces de pas d’enfant retrouvées dans la grotte Chauvet et datées à 28 000 ans avant notre temps. Les archéologues supposent que cet enfant tenait un flambeau et était accompagné par un chien.
Mais avec cette découverte datant de 33 000 ans, les « ancêtres des Namurois » ont donc été parmi les premiers dans l’histoire du monde à avoir domestiqué un animal, en l’occurrence un chien dont l’apparence doit être proche de ce qu’est aujourd’hui un Husky de Sibérie. Cette découverte humanise aussi un peu plus ces lointains ancêtres : il est plaisant, intellectuellement, de s’apercevoir que le premier animal domestiqué ne l’a pas été pour servir de nourriture, comme les vaches ou les moutons, mais était bien un animal qui accompagne l’homme à la chasse ou surveille la caverne, vient se coucher au pied du chasseur, jouer avec ses enfants, tenir compagnie aux plus vieux ; en résumé, il faisait des cavernes des habitats moins vides.
Cette place que le chien occupe auprès de l’homme en fait un cas particulier parmi les espèces domestiquées. La relation entre humains et canidés sauvages est très ancienne. Des restes de loup ont été retrouvés en compagnie de ceux d’hominidés datant de 400 000 ans avant notre temps. Il est presque obligatoire que les premiers hommes, des chasseurs-cueilleurs et le loup se rencontrent et s’adoptent. Ils ont de nombreux points communs : ils appartiennent à des espèces sociables, partagent le même habitat et se nourrissent des mêmes proies. La domestication du chien a certainement commencé quand des chasseurs de la préhistoire qui avait tué une louve ont ramené des louveteaux dans leur habitat. Selon une étude récente, dix générations suffiraient pour obtenir des modifications morphologiques. D’autres ont montré que les louveteaux capturés tout jeunes et élevés par des hommes s’apprivoisent et se socialisent facilement, d’autant plus qu’ils dépendent de leurs maîtres pour leur alimentation.
Cette apparition beaucoup plus ancienne du chien peut expliquer aussi l’évolution et l’énorme différence des races. Depuis ces temps reculés, plusieurs centaines de races présentant des variations et des différences très importantes ont eu le temps de se développer : entre un caniche et un dogue allemand les rapports de taille sont de près de 1 à 10 et ceux de masse de 1 à 50.
Le chien de Goyet est donc très symbolique : son apparition montre que très tôt l’homme a préféré la compagnie avant même la nourriture.