Le fort belge D’Eben-Emael

Le fort belge D’Eben-Emael

Maquette du fort d'Eben-Emael

Des tonnes de béton et de… ratés

Après 45 ans et une guerre perdue, on avait enfin écouté Brialmont et construit en 1932 le fort qui avait tant manqué lors de la défense de Liège en 1914.

C’est le plus beau, le plus puissant d’Europe, imprenable disaiton. Ils pouvaient venir les barbares de l’Est, ils s’étaient cassé les dents une fois sur Liège, cette fois-ci ce serait bien pire.

Le fort est défendu à l’Est par la gigantesque tranchée de Caster creusée dans la Montagne Saint-Pierre qui présente des contreforts infranchissables. À ces obstacles viennent s’ajouter des fossés et un réseau souterrain qui s’étend sur plus de trois kilomètres et descend à 60 mètres de profondeur. Ce fort lui, en fonction des enseignements de la Première Guerre mondiale en matière de gaz, est équipé de filtres spéciaux.

On a donc tout prévu, enfin presque. La faiblesse de la position, c’est son toit. Cette vaste étendue plane n’est pas défendue ou presque : pas de mine, pas d’obstacle, rien. Il faut dire qu’à un officier suisse qui le fait remarquer lors d’une visite, on répond que nos braves soldats ont lancé une pétition pour empêcher que le toit soit miné ou obstrué par des obstacles, car ce vaste espace leur sert de terrain de football lors des poses…

De plus, il n’y a presque pas de DCA, vous avez déjà vu ça, vous, des avions détruire quelque chose en bombardant ? Guernica, c’était pas un fort, mon bon Monsieur !

Et puis, on a mis des canons pas trop puissants. Les premiers qu’on avait voulu installer ont été changés, ils auraient pu atteindre Aix-la-Chapelle, la ville la plus proche de nos ennemis potentiels. On ne pouvait quand même pas les menacer de représailles directement en cas d’attaque. Ce n’aurait pas été beau joueur d’agir de la sorte… Alors on a réduit le calibre, histoire de ne quand même pas risquer de faire de mal à nos belliqueux voisins.

De plus, selon certains témoignages, être caserné dans le Fort équivalait à être incarcéré dans la prison du régiment. Selon ceux-ci, on nommait d’habitude là-bas les officiers sortis derniers des promotions et cela par mesure disciplinaire !

Du côté des sous-officiers, il suffisait d’avoir de mauvais rapports et le sort était le même : direction Eben-Emael. Le commandant lui-même, pensait que son Fort avait en réalité un rôle de pénitencier, que ses défenseurs étaient médiocres et manquaient de professionnalisme.

Pour lui, s’y retrouvaient tous les soldats et les miliciens les plus indisciplinés, qui, le moral en berne, n’attendaient que la fin de leur temps.

Vrai ? Pas vrai, ce ne sont que des témoignages et là comme ailleurs il dut y avoir de bons, de très bons et de mauvais ou très mauvais soldats.

Entrée principale du fort

Par contre ce qui est plus certain, c’est que leur instruction était très loin d’être des plus performante. Les défenseurs de la position n’avaient, entre autres, jamais tiré d’obus réels ni lancé de vraies grenades !

Mais en allait-il autrement pour les autres de nos unités composées de miliciens ? Encore aujourd’hui, combien de personnes ayant fait leur service vous raconteront-elles qu’elles n’ont jamais, au cours de celui-ci, lancé la moindre grenade ? Le matériel lui aussi laisse à désirer. Deux points parmi d’autres : la lunette de visée de la coupole 120 n’était pas sur la pièce (on a peine à y croire, au plus fort de la tension internationale, dans « le » fort qui doit barrer la route à l’armée la plus puissante du monde, un des principaux canons n’a pas son instrument de visée) … En regard, les problèmes importants de fonctionnement des canons de 75 passeraient presque pour des broutilles. Militairement et techniquement, le Fort n’était donc qu’un colosse aux pieds d’argile.

Un ennemi tombé du ciel et nous… des nues

À 0 h 30, l’alerte est donnée. Les servants de certains postes, de repos au village et donc normalement exempts d’alerte, avant de se précipiter, envoient l’un d’eux pour demander s’il est vraiment nécessaire pour eux de revenir au fort !

Les postes d’observation et de tir sont occupés. Vers 2 h 30 du matin le commandant se souvient tout à coup qu’il a oublié de donner le signal d’alerte pour avertir et faire évacuer la population civile des villages environnants.

Il faut le faire en tirant un certain nombre de coups de canon. Il charge la coupole Nord de le faire, mais elle est inoccupée… L’ordre est alors donné à la coupole Sud qui elle répond qu’elle a des ennuis de percussion et qu’il faut attendre.

D’autres postes, après avoir été occupés, sont immédiatement évacués sur ordre du Commandement car il faut, comme à chaque alerte, déménager le contenu des bâtiments extérieurs tels que les bureaux, ou encore… le mess.

À 3 h 25, la coupole Sud tire enfin les vingt coups d’alerte… mais irrégulièrement.

Vers 4 h 15, le Major Jottrand, voyant les planeurs, ordonne aux hommes de rejoindre leurs postes et demande pourquoi la DCA ne tire pas. Un officier, par téléphone, demande qu’on identifie les avions avant de tirer ! On doit lui répondre fermement qu’en tout cas, ce ne sont pas des Belges et qu’il faut tirer… Un officier, normalement constitué, était-il capable de penser que, au petit matin, dans le contexte précis du temps, des avions qui atterrissent sur le toit de son fort peuvent faire partie d’un exercice ? Il faut croire que oui. En tout cas, nous l’avons fait. On peut ajouter que quand, à la coupole 120, l’arme la plus puissante du fort avec ses deux canons de 6 mètres de long, les occupants voient les planeurs et les signalent à leurs supérieurs, on leur demande s’ils sont certains qu’il ne s’agit pas de corbeaux !

La coupole Nord est occupée depuis 3 h 30 du matin par un brigadier et une dizaine d’hommes qui attendent au pied du puits, mais personne ne se trouve aux canons.

Tourelle rétractable du fort

Le chef de pièce, le maréchal de logis, arrive au moment où un planeur atterrit sur la superstructure. Avec quelques hommes, ils occupent le poste de tir, ils soulèvent la coupole et par la lunette de visée voient plusieurs planeurs et des hommes courir. Sans tirer (de peur de blesser un Allemand ?), il redescend et signale devinez quoi ? Eh bien qu’ils sont attaqués, et par le toit.

Le commandement réagit et ordonne aux pièces d’arroser la superstructure d’obus à balles, une sorte de Shrapnels.

Un ordre intelligent et adapté. Seul problème : il n’y a pas ce type de munitions dans les chambres de tir…

Qu’à cela ne tienne, ordre est donné de courir en chercher à l’armurerie. Une armurerie fermée à clef et dont on ne trouve pas… les clefs ! On défonce donc la porte, on se précipite sur les caisses des munitions tant recherchées, on les enfourne dans le monte-charge qui lui… cale.

C’est donc à dos d’homme qu’on approvisionne les pièces situées bien plus haut. Une pièce peut enfin faire son office et sans arrêt envoyer des obus à balles sur le massif envahi, elle le fera jusqu’à ce que le fort se rende. L’autre qui aurait dû l’épauler est défectueuse.

À un autre ouvrage de défense, à peine l’ordre de tirer reçu, les hommes s’aperçoivent que l’élévateur chargé de monter les obus est bloqué, que des pièces nécessaires à la batterie ainsi que celles de réserve ont disparu et qu’une autre pièce de l’armement est, elle aussi, bloquée. Conclusion : une des coupoles du fort le plus puissant du monde se défend à coups de carabines ! L’histoire de cette pièce n’est pas finie. Au matin, un artilleur parvient à la remettre en ordre de marche, il la fait charger et demande un objectif, car il hésite à tirer n’importe où ! La réponse ne viendra jamais. Il fait alors, par précaution, décharger la pièce. Une explosion dans le tube fera fuir les servants et c’en sera fini de cet engin, sans qu’il ait tiré le moindre coup.

À certains endroits, nos soldats, totalement inexpérimentés et mal entraînés, qui arrivent pour occuper leur position, entendant des explosions, s’en retournent bien vite dans les galeries.

Pendant tous ces ratages, les spécialistes allemands surentraînés, réduisent un à un les ouvrages de défense du fort.

Les Belges feront quand même plusieurs tentatives pour essayer de reprendre le massif.

Un lieutenant avec son peloton de grenadiers, essaie de lancer une contre-attaque, il demande qu’on l’aide en faisant une diversion pour qu’il puisse s’élancer et progresser, mais rien ne vient et il reste cloué au sol avec ses hommes.

Entre-temps, 230 hommes de repos à Wonck arrivent au fort, épuisés par… 5 kilomètres de marche. Après avoir soufflé et mangé un bout (c’est la guerre, mais il ne faut tout de même pas exagérer), un sous-lieutenant veut, avec ces renforts, lui aussi partir à la contre-attaque sur le massif. Il rassemble une centaine d’hommes mais quand il faut se lancer à l’assaut de l’ennemi, il se retourne pour constater que moins d’une dizaine d’hommes ont pris le risque de le suivre. Le petit groupe, accueilli par le feu nourri (lui) des Allemands, doit se retirer.

Il y a plusieurs centaines de soldats dans le fort, la combativité et le courage que certains mettent à se défendre seront exemplaires, dignes d’éloges et rehaussent l’idée que l’on peut se faire de ce premier engagement. Ceux-là soit mourront à leur poste soit n’abandonneront leurs positions qu’après avoir saboté leurs armes, et seulement quand le fort se rendra.

À 11 h 27, tout est fini. Les Belges qui pourtant étaient dans une forteresse déplorent cinquante-neuf blessés et vingt-trois tués alors que les Allemands, à découvert, « seulement » vingt blessés et six tués.

Planeur allemand DFS 23

Quand c’est pas par-dessus, c’est par-derrière…

Un peu plus au nord du fort, des planeurs atterrissent également près de trois ponts du Canal Albert. Deux ponts importants sont pris. Il faut dire que les blockhaus qui les défendent sont faits pour répondre à une attaque venant face à eux, là non plus, on n’a pas imaginé voir arriver l’ennemi par le ciel sur ses arrières…. Il suffit donc aux troupes du Reich de s’approcher dans le dos des défenseurs, d’ouvrir la porte en fer à l’aide de pinces, de lancer des explosifs dans le blockhaus et c’en est fini des hommes qui s’y trouvent.

Encore une fois presque risible si des hommes n’étaient pas morts.

Encore une fois, des anciens, toujours aujourd’hui, se demandent si quelqu’un a dû s’expliquer de tous ces manquements.

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