L'armée belge ne fait pas dans la dentelle
Nous sommes en 1945. L’Allemagne vaincue est occupée par les troupes alliées. Parmi elles, notre armée. Une de nos compagnies de fusiliers est casernée à Lauenau, à environ dix kilomètres à l’ouest de Minden, une ville de Prusse, sur le Wezer. Elle est sous le commandement du sous-lieutenant de réserve J. V., né en 1913 et engagé volontaire depuis le 10 octobre 1944.
Une des principales missions de nos hommes, en cette fin de Deuxième Guerre mondiale, est de rechercher et d’arrêter les collaborateurs belges réfugiés en Allemagne.
Le 7 mai, dans la matinée, un certain Van B. est arrêté par des soldats de la 2e compagnie. Lors de la fouille de l’intéressé, on trouve une liste sur laquelle figurent les noms de rexistes, de S.S. et d’inciviques belges résidant dans les villages alentour de Lauenau.
Après avoir obtenu ces renseignements, le sous-lieutenant J. V. veut continuer l’enquête. Pour ce faire, il charge son premier sergent de poursuivre les investigations. Celui-ci, à son tour, désigne une dizaine de volontaires qui feront partie de la patrouille de recherche qui dans l’après-midi du 7 part avec une camionnette et arrête cinq personnes.
Une fois les hommes recherchés arrêtés, nos militaires se divisent alors en deux groupes, comme si certains d’entre eux avaient pressenti le malheur et la honte qui allaient s’abattre sur leur conscience.
Un groupe décide d’attendre leurs camarades sur place, l’autre oblige les cinq inciviques arrêtés à monter dans la camionnette qui prend l’autoroute en direction de la caserne qui se situe à environ dix kilomètres. Mais le chauffeur s’arrête au bois de Wiersen qui se trouve à six kilomètres, fait descendre les inciviques du véhicule avec ses camarades et… ces soldats belges abattent les cinq personnes.
L’acte accompli, les assassins n’enterrent pas les corps. Ils enlèvent les papiers personnels, l’argent et les portefeuilles des victimes avant de les cacher sous des feuilles et des branches. Ils remontent dans leur camionnette et tous se retrouvent au cantonnement.
Là, la patrouille remet les objets saisis sur les victimes au premier sergent qui confie les cinq portefeuilles et environ 2 000 marks au sous-lieutenant J. V. tout en lui expliquant que les inciviques ont été arrêtés et exécutés, car ils auraient tenté de s’évader.
Le sous-lieutenant fait appeler ses patrouilleurs, les entend et n’établit aucun rapport, estimant que l’évasion des inciviques est établie. Le sous-lieutenant dépose alors les papiers, l’argent et les portefeuilles des victimes dans sa chambre pour, ensuite, les détruire. Il ne fera aucun rapport à sa hiérarchie : affaire classée !
Mais les soldats de l’autre groupe, eux, savent ce qui s’est réellement passé, ce 7 mai 1945, dans le bois de Wiersen.
En 1947, deux ans plus tard, les corps des cinq victimes sont retrouvés dans le bois et sont identifiés. Une des veuves porte plainte contre l’État belge, le ministère de la Défense nationale et les membres du premier groupe qui sont mis sur la sellette.
C’est la gendarmerie de Bruxelles qui se charge de l’enquête, des auditions et de la rédaction du procès-verbal. Les investigations sont terminées le 31 mai 1949 et le 14 juillet 1949, l’auditorat militaire rend son jugement : il n’y a pas lieu de poursuivre. L’affaire est donc classée.
De 1952 à 1953, la veuve qui a déposé plainte continue son combat et une nouvelle instruction est ouverte par l’auditorat militaire. L’appareil judiciaire constate alors que certains témoins des faits, entendus lors de la première instruction, ne sont autres que les acteurs de ce crime. Il constate aussi que les auditions ne correspondent pas et surtout, que la thèse de l’évasion s’effondre après les déclarations des militaires du deuxième groupe.
En effet l’un d’eux déclare : « Nous n’étions pas d’accord d’accomplir ce qu’ils avaient décidé de faire, c’est-à-dire d’exécuter les inciviques à l’issue des interrogatoires. »
Un autre ajoute : « Je savais, de même que mes compagnons, que le groupe chargé de l’escorte des inciviques était parti pour procéder aux exécutions. »
Quant au sous-lieutenant J. V le responsable hiérarchique de la patrouille, il déclare : « Je n’ai pas dénoncé ces faits au commandant de la compagnie, et je n’ai pas non plus constitué de commission d’enquête ou fait de rapport écrit ou verbal à mes chefs hiérarchiques. J’étais épouvanté des suites que cette affaire aurait pu avoir pour la réputation des volontaires et des résistants en général et pour l’honneur des familles des militaires qui avaient participé à ces faits. »
La défense de l’État belge est simple : si le Tribunal retenait à charge des défendeurs une faute quelconque, l’ État belge ne pourrait être tenu pour responsable des conséquences de leurs actes, ceux-ci ayant outrepassé leur pouvoir.
Le 31 janvier 1953, l’auditorat militaire déclare, en dixième chambre à Bruxelles, que la tentative d’évasion des inciviques arrêtés n’est pas fondée, d’autant plus qu’il y avait parmi eux une personne handicapée du pied. Les faits sont qualifiés d’assassinats vu leur préméditation et en conséquence, le tribunal condamne les auteurs des faits et l’État belge à payer 1 019 022 francs belges à la veuve, ainsi que 150 000 francs belges pour préjudice moral.
Lauenau ne serait pas un cas unique pour l’armée belge. Il y aurait eu d’autres faits semblables, comme ceux de Densborn sur la Kyle.