Le tout à la rue, qui faisait de celle-ci un égout à ciel ouvert, était de règle. Au Moyen Âge, le commun se soulageait le plus souvent sur les tas de fumier et dans la rue, sinon dans des trous creusés au fond des jardins et dans des pots à pisser. Il n’était pas si rare d’en recevoir le contenu sur la tête… À Charleroi ou à Namur, en 1699, le crieur public fit savoir la décision de Charles II d’Espagne, pour obvier aux infections, de frapper d’une amende de 3 florins tous ceux qui seraient surpris en train de vider par les fenêtres de leurs maisons, tant de jour que de nuit, urines, excréments et autres eaux.
En 1766, à l’intérieur de l’enceinte namuroise, le curé de Saint-Nicolas se plaint que la ruelle Ponty est devenue impraticable par les monts d’ordures qui s’y trouvent… ; que d’ailleurs plusieurs manants et habitants de ce quartier tiennent quantité de poules avec leurs poussins qui remuent continuellement les dittes ordures, causant une puanteur insupportable au point que les prêtres et les médecins dédaignent rendre leurs devoirs en cas de besoin à ceux de ces cantons… Les éboueurs déversent dans la Sambre le contenu de leurs tinettes à l’aide de cuvelles. L’odeur en est infecte et, quand ils en ont l’occasion, les bourgeois et leur famille vont respirer hors des remparts un air plus sain.
Les activités des métiers participaient aussi à l’insalubrité publique. Les rues ou quartiers des tanneurs étaient généralement situés à l’écart des centres urbains, en raison de la puanteur exhalée par la préparation des cuirs et l’urine qu’elle exigeait. Et tant pis pour les gants neufs ! Les odeurs qui se dégageaient des étals des harengères et autres poissardes, et du sol où elles jetaient leurs déchets de poissons, étaient particulièrement nauséabondes par temps chaud. Le 5 avril 1714, des habitants de Huy se plaignent auprès des autorités communales que le Marché est tellement négligé…, rempli de toutes sortes d’ordures…, qu’il est fort scandaleux que le Seigneur doit estre porté en procession dans les boues et ordures… En conséquence, ils les prient d’y apporter remèdes, regrettant que les ordonnances de leurs devanciers n’aient sorti aucun effet. Dans cette même ville, les bouchers laissent couler le sang des bestes qu’ils tuent dans les rues, y abandonnent boyaux et entrailles. Ces déchets constituent une nourriture de fortune pour les chiens ou porcs qu’on laisse errer librement dans les rues. Cette habitude, qui n’avait pas encore disparu au XIXe siècle, pourrait paraître hygiénique, puisque ces animaux débarrassaient le sol d’une partie de ces déchets répugnants, mais elle ne l’était pas. En 1342, la Ville de Bruxelles édicta une ordonnance interdisant de laisser courir les cochons dans les rues du matin au soir parce qu’ils se nourrissaient de déchets de boucherie, dont des boyaux, sources de graves maladies de la peau. Aussi, en 1348, il fut interdit aux chirurgiens-barbiers et aux malades d’entretenir des cochons chez eux. Imaginez les chirurgiens engraissant ces bêtes avec le produit de leurs saignées et des morceaux de viande humaine… En outre, leurs déjections s’ajoutaient à celles des chevaux, des moutons, des volatiles et des humains.
En septembre 1635, Gilles Damoiseaux, curé de Saint-Mengold à Huy, faisait remarquer qu’il se commettait, tous les jours, de grandes et vilaines ordures à la porte de l’église et alentour, dues à certaines personnes pauvres qui n’ont, en leur maison, aucune commodité pour faire leurs nécessités, de sorte que la puanteur se répandait dans toute l’église, principalement pendant le service divin.
Dans les demeures, pour les besoins urinaires, les éviers faisaient bien souvent l’affaire. Au XVIe siècle, les puissants commencèrent à adopter la chaise percée, personnelle et richement parée. Au XVIIe siècle, l’usage des cabinets d’aisance tend à se répandre. À Anvers, les arrêtés qui les concernent, ainsi que les fosses privées et l’évacuation des eaux souillées, étaient rigoureux, mais il est impossible de préciser s’ils étaient bien respectés. Le cabinet d’aisance consistait en un abri isolé qui n’était généralement pas intégré au logis. Lors de leur vidange, le contenu était réutilisé comme fumier. Il était donc interdit d’évacuer les excréments avec les eaux ménagères pour éviter le gaspillage du fumier ainsi qu’une pollution accrue des eaux d’égouts et des nappes phréatiques.
Pour tenter d’enrayer une maladie contagieuse ou de la prévenir, à l’approche des chaleurs estivales, les magistrats communaux ordonnaient de nettoyer les rues et de les débarrasser des ordures, jetées bien souvent dans les fossés des remparts. À Anvers, dans le quatrième quart du XVIe siècle, les rues et places étaient si sales, en raison de l’état de guerre, que le nettoyage fut financé par une taxe. Une ordonnance du 3 janvier 1585 y soumet tous les particuliers à proportion de la largeur de leur façade à front de rue, censée être une indication de l’état de fortune des occupants. Au XVIIe siècle, la métropole possédait un système d’égouts. Une ordonnance du 10 avril 1690 stipule que si l’égout principal d’une rue est bouché, pollué ou effondré, les propriétaires des maisons qu’il dessert sont obligés de le déboucher ou de le réparer à leurs frais.
La puanteur des cimetières amplifiait celle des rues et des places publiques. À Huy, aux XVIIe-XVIIIe siècles, on dénombre au moins 32 cimetières pour 5 000 à 7 000 habitants, vivant près des treize églises paroissiales, de la collégiale Notre-Dame et de dix-huit couvents, où se concentraient les cimetières. Des animaux y fouissaient sans difficulté en quête d’une macabre nourriture, car les barères, mal payés ou surchargés, creusaient à peine. Il fallut attendre 1733 pour que les fossoyeurs de Bruxelles soient obligés d’enterrer les corps à une profondeur suffisante, c’est-à-dire de manière à ce que le couvercle du cercueil soit au moins à trois pieds sous terre. Les pauvres, eux, ne pouvaient s’offrir une sépulture convenable. Régulièrement, leurs dépouilles arrivaient en catimini au cimetière, où on les entassait, au mieux emballées dans un drap. Elles attendaient parfois fort longtemps avant d’être jetées dans la fosse commune des indigents, dégageant des exhalaisons méphitiques dangereuses pour la santé. Aussi, en 1754, fut-il ordonné aux chefs de famille de la capitale de déclarer au curé de leur paroisse, endéans les dix heures, tout décès d’un de leurs membres.
Inhumer dans les églises les corps des riches n’était pas plus salubre. Cette coutume fit dire qu’en allant chercher dans les sanctuaires le salut de son âme, on risquait d’y perdre la santé du corps. Joseph II, puis Napoléon, interdirent cet usage, ainsi que les cimetières dans les villes.
À ces sources d’épidémies et de pollution de l’air, ajoutons les fumées des hauts-fourneaux, affineries et faudes.