Henri Herd : Constant-le-Marin, quatre fois décoré par le Tsar
Au pays de Liège et sans doute plus loin, Henri Herd a connu son heure de gloire, il y a bien des années. Peut-être quelques aînés ont-ils encore entendu parler de lui par un de leurs parents ? Si c’est le cas, certainement sous un autre nom que Herd, mais sous celui de Constant-le-Marin son nom de vedette.
Henri naît à Liège en 1884, son père Guillaume peintre en bâtiment est d’origine prussienne comme sa mère Helena Treffer. Mais bien qu’entre eux ils préfèrent parler l’allemand, ils veillent à ce que leurs onze enfants parlent le français et le… wallon.
Le jeune Herd entame sa formation à la lutte dans une petite salle de la rue Pierreuse à Liège en 1901. Il a dix-sept ans. Deux ans plus tard, il est déjà en finale des championnats amateurs de la Cité Ardente. L’année suivante, il prend part, avec des centaines d’autres, à un tournoi qui dure du 24 février au 3 mars et il en sort vainqueur dans la catégorie des poids lourds.
Son premier tournoi en tant que professionnel se déroule lors de l’Exposition mondiale de Liège, en 1905. Il utilise le pseudonyme de Constant-le-Marin, en honneur de son idole Constant-le-Boucher.
La réputation et le succès de Constant-le-Marin vont en grandissant, et il est invité à des tournois à travers toute l’Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Il remporte les Championnats du monde de 1907 à Paris et de Buenos Aires en 1910. Dans la capitale argentine, il s’empare de la ceinture d’or d’un kilo devant un public de 35 000 spectateurs, après y avoir vaincu le Français Paul Pons, surnommé « le Colosse », le premier Champion du Monde professionnel en 1898, et malgré l’opposition des autres champions que sont le Turc Kara Ahmed dit « le Monstre de l’Orient », le Bulgare Nikola Petrov « le Lion des Balkans » ou le Russe Ivan Poddoubni « le Champion des Champions ». Excusez du peu !
Quand l’Allemagne envahit la Belgique en août 1914, Constant se présente à l’armée comme volontaire. Il est rapidement promu au grade de sergent. Lorsque le Corps des Autos-Canons Mitrailleuses est créé, il y est transféré. Après la chute d’Anvers en octobre 1914 et la retraite sur l’Yser, la ligne de front se stabilise et une offensive allemande n’est pas imminente. Des véhicules blindés hautement mobiles n’y sont d’aucune utilité. L’armée russe qui, comme les Belges, combat l’Allemagne, suggère que les Autos-Canons seraient bien utiles sur le front de l’Est. Le tsar Nicolas introduit une demande officielle auprès du roi Albert.
On décide alors d’envoyer une force de plusieurs centaines de Belges combattre en Russie. La Belgique et la Russie étant cobelligérantes, mais pas officiellement alliées, pour des raisons juridiques, les soldats belges doivent être considérés comme volontaires dans l’armée russe. Le grand poète wallon Marcel Thiry et le futur leader communiste liégeois Julien Lahaut font, eux aussi, partie de l’équipée.
Les autos blindées partent de Brest en Bretagne le 22 septembre 1915 et atteignent Arkhangelsk, au nord de la Russie, le 13 octobre 1915. Elles passent par Petrograd l’actuelle Saint-Pétersbourg. Elles sont envoyées ensuite en Galice où elles vont principalement affronter les forces autrichiennes. Les véhicules blindés belges brillent et sont reconnus comme d’efficaces destructeurs de mitrailleuses.
Survient la révolution russe et l’arrivée de Lénine au pouvoir, les Belges continuent à combattre jusqu’à ce que le traité de Brest-Litovsk soit signé en mars 1918 entre la Russie devenue soviétique et les Austro-Allemands.
Les Autos-Canons belges sont donc rappelées, mais le retour s’annonce difficile. Impossible de partir d’Arkhangelsk. Les Belges, prennent donc le chemin de fer transsibérien, et après mille péripéties traversent toute l’immense Russie, le nord de la Chine pour, finalement, arriver au port de Vladivostok. Le 18 avril 1918, ils embarquent à bord d’un navire américain, le Sheridan et naviguent jusqu’à San Francisco.
De là, ils traversent les États-Unis, toujours avec leurs AutoCanons. Premiers soldats que les Américains peuvent voir, ils sont acclamés et fêtés en héros un peu partout. Ils finissent par atteindre New York le 15 juin 1918 et là, ils embarquent pour la France. Deux semaines plus tard, ils atteignent Paris. Le Corps expéditionnaire est dissous peu après. Mais la plupart de ses membres retrouveront le front pour y finir la guerre.
Quand ils sont partis, le Corps des Autos-Canons-Mitrailleuses comptait 333 Belges, tous volontaires. En Russie, 33 Russes ont rejoint leurs rangs. En comptant les renforts et les remplacements, 444 Belges ont participé à la campagne. Il y avait 58 véhicules, dont 12 véhicules blindés ainsi que 23 cyclomoteurs et 120 vélos. 16 Belges ont été tués au combat en Russie. Un seul véhicule blindé a été perdu. Il a été capturé par les forces allemandes et l’on dit qu’il a été utilisé à Berlin pendant les insurrections, en 1919.
L’épopée de ce petit groupe de soldats belges, envoyés se battre de l’autre côté du continent européen, est exceptionnelle parce qu’ils durent effectuer un tour du monde pour rentrer au pays, mais aussi parce qu’ils combattirent successivement pour trois États différents. Ils furent soldats du Roi Albert, du Tsar Nicolas II puis terminèrent dans l’Armée rouge de Lénine.
Henri Herd a été régulièrement cité dans les bulletins quotidiens militaires, et il a été décoré par le Roi Albert. Lors de la bataille de Svitselniki, en Galice, le 16 septembre 1916, son véhicule blindé a été détruit par des tirs autrichiens et allemands. Le Tsar de Russie lui a immédiatement donné un nouveau véhicule blindé russe qui a ensuite été détruit dans un combat à Koniouki, en juillet 1917. Là, Herd a reçu deux balles dans la cuisse et une autre dans un bras. Toutes ces actions et ces blessures lui vaudront quatre fois la Croix de Saint-Georges, la principale décoration militaire russe de la part du Tsar Nicolas II.
Malgré ses blessures, Henri Herd a repris, après la guerre, son entraînement et sa carrière de lutteur. En 1921, il est encore champion du monde à Paris. Auréolé de ses exploits, il parcourt ensuite le monde en décrochant les « price-money » de l’époque.
En 1940, il est à Paris où il s’occupe d’un centre pour réfugiés. Il passe ensuite par Bordeaux puis gagne l’Argentine.
De retour à Liège en 1946, il y vit paisiblement jusqu’à sa mort, en 1965. Il avait ouvert, en Outremeuse, un établissement nommé « le Café des Lutteurs » dont le sous-sol était aménagé en salle de gymnastique et où plusieurs générations de jeunes Liégeois sont venus s’initier à la lutte gréco-romaine, puis au sport-spectacle qu’est le « catch ».
Un passage voûté d’Outremeuse porte une plaque en souvenir de Constant-le-Marin.