La plus ancienne représentation du lion de Flandre remonte à l’année 1162. Elle constitue l’une des toutes premières manifestations de l’art héraldique. Dix ans à peine après le comte d’Anjou, Geoffoy Plantagenêt parsema son écu de lions d’or à cause, semble-t-il, de la ménagerie exotique qu’il entretenait dans son château.
En 1162 donc, le lion de Flandre figurait pour la première fois sur l’écu et la bannière de Philippe d’Alsace, dans un sceau appendu à une charte cistercienne des Dunes conservée à Bruges. Thierry d’Alsace, comte de Flandre, était alors en Palestine et son fils Philippe, qui le remplaçait pour le gouvernement du pays, semble avoir usé des armoiries paternelles.
Avant Thierry d’Alsace, comme on le voit à Saint-Omer sur la pierre tombale de son rival Guillaume Cliton ou dans plusieurs miniatures du British Museum, les comtes de Flandre et leurs successeurs usaient d’une sorte de gironné. Ses rayons figuraient les antiques routes rectilignes partant en étoile de Cassel, la capitale des Ménapiens, pour couvrir toute l’étendue de la Flandre, tant gallicane que thioise. La figure se retrouve dans le parti de l’actuel blason de la Flandre Occidentale.
Le lion de Flandre est donc français. Victorieux de Guillaume Cliton, Thierry d’Alsace ne pouvait ni relever les armoiries de son adversaire ni employer celles d’Alsace, marquées d’une bande. Il dut donc s’en composer de nouvelles, à la manière du comte d’Anjou. Le héraut d’armes chargé plus tard de les expliquer révéla qu’au cours d’une croisade, le comte avait arraché l’emblème du lion d’un certain roi d’Abilène en Syrie, appelé Noblion.
Roman de Renart
L’histoire est trop belle et le roi Noblion parfaitement inconnu des historiens. Noblion, par contre, contraction de « noble » et de « lion », est le nom que porte précisément le lion dans le célèbre Roman de Renart. Comme par hasard, l’apparition de cette œuvre littéraire se situe à la cour même du comte de Flandre, quelques années plus tôt, vers 1150. Plusieurs de ses enluminures montrent d’ailleurs le lion Noble armé et lampassé tel qu’en sa version héraldique. Né en Flandre, et quoi qu’on ait prétendu, le Roman de Renart n’en est pas thiois pour autant.
Le texte, rédigé en latin et intitulé Ysemgrimus, est l’œuvre d’un certain Nivard qui laissa percer ses origines quand il dota les bons de noms romans et réserva aux mauvais les noms germaniques.
Cet Ysemgrimus franco-latin d’où la Flandre a tiré ses armoiries est en tout cas bien curieux. L’auteur voulut jouer dans son œuvre le rôle du lecteur des aventures du loup. Il s’y présenta sous les traits d’un sanglier auquel les éditions ultérieures donnèrent le nom de Beaucent. Ce nom signifie blanc et noir ou encore, dans le langage héraldique, échiqueté d’argent et de sable.
Beaucent est aussi l’étendard noir et blanc du Temple. L’auteur du Roman de Renart pourrait donc n’être autre qu’un templier et, plus spécialement, ce Nivard de Montdidier. À Cassel en 1128, ce dernier fut placé comme conseiller de Thierry d’Alsace par le grand maître Hugues de Payens en personne.
La puissance des templiers en Flandre date de cette entrevue de Cassel. Il est important de noter que l’un des dignitaires flamands de l’Ordre s’appelait Radulphe Renart et qu’il devint maître du Temple en Flandre.
Le Roman de Renart, né avec le Temple, ne fit plus l’objet de nouvelles éditions après 1307, date de l’arrestation de ces mêmes Templiers.
La dernière version, intitulée Renart le Nouvel, avait été publiée à Lille par le flamand Jacquemart Gelée, peu avant l’arrestation. Le récit s’arrête au moment où Renart ne sait s’il se fera Hospitalier ou Templier et décide finalement de porter un manteau rouge et blanc, mi-parti de l’Hôpital et du Temple. Renart junior entre pour sa part dans les ordres, se fait dominicain et finit dans l’Inquisition. Coïncidence ou prémonition ? Quant au lion de Flandre, il fut repris plus tard par les autres provinces et avec d’autres couleurs, lorsqu’une coalition voulut porter le comte Ferrand de Portugal sur le trône de France et se fit battre à Bouvines.