Charleroi - 1886 : Van der Smissen intervient
Le soir du vingt-six mars 1886, le général Alfred van der Smissen arrive à Charleroi. Il est chargé de rétablir rapidement le calme. Fidèle roquet de la famille royale, il a été l’ami de Léopold Ier et est l’ordonnance de notre bon Léopold II. Van der Smissen, psychopathe sanguinaire dont nous avons pu apprécier le caractère et la formation lors de l’aventure mexicaine, a été choisi pour sa fermeté et parce que, comme l’a démontré son parcours, verser le sang le laisse totalement indifférent. Dès lors qui mieux que lui pour réprimer les troubles et rassurer le pouvoir ? De ce côté-là, il ne décevra d’ailleurs personne. Il faut dire qu’à cette époque, c’était de vrais militaires, pas des « Casques bleus » qu’embêtaient des futilités liées à l’une ou l’autre convention, qu’elles soient de Genève, de La Haye ou encore des droits de l’Homme.
À peine sur place, le général prend les choses en main de manière énergique. C’est toujours énergique un militaire, rappelons-le !
Première déclaration, à un des édiles du coin, en arrivant : « La garde civique est tenue de faire feu sans sommation sur les émeutiers et il faut donner des ordres en conséquence. Je sais que c’est illégal, mais je me moque de la légalité. On m’a envoyé ici pour rétablir l’ordre et je le rétablirai par n’importe quel moyen. »
Et puis un dernier petit conseil « pour la route » de notre bel officier : « Pas de sommation. Il faut tirer à balles si un groupe marche résolument vers vous. » Ouf, il y avait quand même une condition : il fallait que le « groupe marche résolument vers vous » … En lisant cela, j’ai eu peur de penser que notre gouvernement ait pu confier une mission comme celle-là à quelqu’un d’excessif ou pour qui la vie des citoyens du pays qu’il était censé défendre était sans importance…
À peine van der Smissen arrivé, à 22h30, la fusillade éclate. Les soldats font usage de leurs armes. La journée se termine avec un bilan de cinq tués et dix blessés graves.
Le lendemain, le 27, la région est littéralement en état de guerre. Aux troupes déjà présentes viennent s’ajouter vingt mille soldats rappelés sous les armes pour la circonstance. Ce qui n’empêche pas les troubles et les saccages de continuer. On casse, on pille, que ce soit des entreprises, des maisons mais aussi des églises et même l’abbaye de Soleilmont.
À Roux, la troupe (certainement sans sommation comme l’a recommandé notre brave général) ouvre le feu sur les fauteurs de trouble et fait dix morts et huit blessés, dont quatre graves qui décéderont dans les heures qui suivent.
Les responsables politiques décident de profiter de l’enterrement des révoltés tombés sous les balles de la troupe, pour impressionner les grévistes. La mise en scène est sordide à souhait. La chapelle où reposent les corps est encerclée par les militaires, les cercueils sont fabriqués au fur et à mesure qu’on y place les corps. L’air résonne du bruit des marteaux et des scies, la fosse commune elle-même n’est pas terminée et on y travaille encore. À chaque fois qu’un cercueil est terminé et que le trou creusé est assez large, on enterre une victime. Le tout sans aucun respect, sans recueillement, comme on le ferait (et encore) pour des ennemis que l’on doit ensevelir à la hâte, au soir d’une bataille, pour prévenir une épidémie. Seuls les compagnons de lutte sont présents, dignes et recueillis.
Les révoltés sont matés, le ministre Beernaert (qui paradoxalement obtiendra le prix Nobel de la paix en 1909, on croit rêver !) et le gouvernement ont tout lieu d’être satisfaits. Ils peuvent féliciter van der Smissen et ses troupes pour leur reprise en main énergique de la situation.
Une reprise en main qui fit au moins vingt-quatre morts et des centaines de blessés. Mais comme on dit « force est restée à la loi » …
Dernier petit détail, le pays est aux mains des militaires. Ou du moins la Wallonie car, en plus de Liège et de Charleroi, d’autres régions du pays se sont soulevées notamment le Borinage, Tournai, Verviers, Huy, Dinant, Andenne, Namur. Le 1er avril 1886, il y avait de 100 000 à 150 000 grévistes alors que 50 000 soldats leur faisaient face.