Affaire Agusta-Cools
Après un ministre au tribunal, un ministre à la morgue
Le 18 juillet 1991, André Cools et sa compagne se trouvent sur le parking jouxtant leur appartement situé avenue de l’Observatoire à Cointe, sur les hauteurs de Liège, lorsqu’à 7 h 25 ils essuient les tirs de deux tueurs à gages à moto. Si sa compagne est grièvement blessée, Cools, lui, est touché mortellement. Ce qui n’aurait dû être qu’un fait divers va se transformer en véritable affaire d’État, car la victime n’est pas n’importe qui. André Cools a été président du parti socialiste, vice-Premier ministre, ministre du Budget et ministre d’État. Il était surtout l’homme fort du PS et de sa branche liégeoise.
À affaire hors norme, enquête hors norme. C’est la juge Véronique Ancia qui est chargée du dossier. Très rapidement le constat est établi : Cools était un homme de réseaux et d’influence. Il avait tissé autour de lui une véritable toile d’araignée politico-économique en plaçant des hommes de son entourage partout, notamment dans les principaux conseils d’administration des collectivités d’intérêt public, des CA pour la plupart liés les uns aux autres. Par exemple, il a créé le holding Neos qui a pour mission de faire venir dans la région des investisseurs pour y financer la reconversion et le développement du bassin mosan. Neos est financée en partie par la Smap, dont André Cools devient le président en 1990. À son tour Neos participe au capital de Meusinvest qui fait entre autres partie de la direction de l’aéroport de Bierset… L’enquête, au fur et à mesure de son développement, va commencer a détricoter une nébuleuse d’affaires frauduleuses mettant en lumière des malversations financières dans lesquelles sont impliquées des personnalités du parti socialiste.
La piste Agusta
La mort de Cools fait rapidement remonter à la surface des rumeurs autour d’un contrat d’achat de quarante-six hélicoptères A-109 à la firme italienne Agusta, contrat conclu en décembre 1988 par l’armée belge. Les A-109 italiens avaient remporté le marché au détriment des Écureuils AS 350 de la société française Aerospatiale et ce, malgré le fait que le chef d’état-major avait dans une note expliqué que l’Écureuil était « le seul candidat qu’il est possible de faire fonctionner normalement dans l’enveloppe budgétaire ». Ces rumeurs faisaient état de l’existence de pots-de-vin qui auraient été négociés entre des fidèles de Cools et la société italienne, pour garantir l’obtention du contrat qui s’élevait tout de même à la coquette somme de 12 milliards de francs belges. L’enquête démontra que si ces rumeurs étaient fondées, il n’y avait pas de lien avec le meurtre d’André Cools. Par contre les pots-de-vin avaient existé et le marché trafiqué.
Trois noms, et pas des moindres, vont se voir quand même impliqués dans cette affaire de pots-de-vin. Ministres tous les trois : Guy Spitaels (président de la Région wallonne), Guy Coëme (vice-Premier ministre et ministre des Communications) et Guy Mathot (ministre des Affaires intérieures de la Région wallonne). La juge Ancia réussit l’exploit d’obtenir la levée de l’immunité parlementaire de ceux qu’on désigna comme étant les « trois Guy ».
Si tous les trois démissionnèrent, seuls Spitaels et Coëme firent face aux juges, le rôle de Guy Mathot semblant avoir été surestimé dans l’affaire. Il fut en tout cas établi qu’Agusta avait promis un « dédommagement » de 51 millions de francs belges en faveur du parti socialiste contre son soutien pour l’obtention du contrat. Spitaels et Coëme écopèrent de peines de prison avec sursis.
L’affaire de la Smap
La boîte de Pandore ouverte, il va être difficile de la refermer… C’est une lettre anonyme qui lance l’affaire de la Smap. On y accuse le directeur général de la compagnie d’assurance, aujourd’hui rebaptisée Ethias, d’avoir fait disparaître en Suisse une partie des bénéfices. Là encore l’enquête confirmera que les faits sont avérés. Le directeur est arrêté et traduit en correctionnelle où, durant le procès, on apprendra que les sommes détournées se chiffraient en milliards. On s’apercevra aussi que la société arrosait pas mal de collectivités et de politiques pour obtenir des contrats d’assurance.
La piste des titres volés
Cette piste éclate à Neufchâteau fin 1991, suite à l’arrestation d’un homme d’affaires de la région, alors qu’il tentait, dans une banque du Liechtenstein, de négocier des titres qu’il avait reçus en paiement.
Le problème était que ces titres avaient été signalés comme ayant été volés à l’aéroport de Bruxelles. Lors de l’enquête, il apparaît que, durant la tentative de transaction à la banque du Liechtenstein, une Citroën BX avait été repérée aux alentours de celle-ci et que cette voiture appartenait rien moins qu’au cabinet du ministre Alain Van der Biest.
À son volant se trouve Pino Di Mauro, chauffeur du cabinet, accompagné de Carlo Todarello, truand notoire. Ce dernier, qui s’avère être l’oncle par alliance de Richard Taxquet, est arrêté et implique Di Mauro et Taxquet dans un réel réseau mafieux belgo-italo-albanais agissant dans l’ombre du cabinet Van der Biest.
C’est à ce même Van der Biest que, le 1er mai 1990, André Cools avait remis son portefeuille de ministre. Toutefois la confiance que semblait avoir Cools en Van der Biest est toute relative, il sait l’homme vulnérable à l’alcool. Il le rappellera souvent à l’ordre, lui reprochant de s’entourer d’hommes douteux voire mafieux, visant notamment son secrétaire particulier : Richard Taxquet. L’enquête autour de l’affaire Cools montrera que celui-ci avait raison, pointant du doigt la mauvaise gestion de Van der Biest de son cabinet. Elle révèlera l’existence de détournements de fonds et de contrats douteux. L’affaire rebondit en juin 1992. Todarello avoue être impliqué dans l’assassinat d’André Cools. Il désigne comme commanditaire Taxquet, tandis que Van der Biest et Di Mauro auraient organisé concrètement les choses. Il prétend aussi que le meurtre est lié avec l’affaire des titres volés. Todarello finira par retirer ses aveux début 1993.
La piste des « titres volés », instruite à Neufchâteau par le juge Connerotte, voit une partie de l’enquête échapper à la cellule d’enquête de la juge Ancia. Deux thèses vont alors se développer séparément et finir par s’opposer dans une vraie « guerre des juges ».
D’un côté on va avoir la thèse Agusta soutenue par Ancia, et de l’autre la thèse de la « mouvance Van der Biest » soutenue par Connerotte.
Face à cette situation de plus en plus conflictuelle, on va trancher. Mais comme on est en Belgique, c’est vers une sorte de compromis qu’on va aller : d’une part on laisse la saisine du dossier de l’assassinat d’André Cools à Ancia et d’autre part, on saisit Connerotte en parallèle d’explorer la piste « Van der Biest ». On décide alors de regrouper à Liège tous les dossiers liés à l’assassinat de Cools.
Mais petit à petit des éléments continuent à aller dans le sens de la thèse de la « mouvance Van der Biest » : on aurait vu Taxquet sabrer le champagne au cabinet le jour de l’assassinat, on retrouve dans les carnets intimes de Van der Biest des phrases comme « Je vais le tuer » ou encore « Qu’il crève ! » Pour beaucoup, le « le » et le « il » sont à remplacer par Cools. Il faudra attendre 1996 et l’apparition dans le dossier d’un témoin anonyme, pour confirmer que la piste suivie par Connerotte était la bonne et qu’on avait donc dessaisi le mauvais juge. Ce témoignage confirme les propos de Todarello et apporte de nouveaux éléments en échange de huit millions de francs belges. Puis à l’automne de la même année on identifie les tueurs, deux Tunisiens qui ne savaient pas qui ils avaient tué, pensant à un règlement de comptes mafieux. La filière belgo-italienne qui organisa la venue, le transport, l’hébergement des Tunisiens fut reconstituée sur base de photos présentées aux tueurs.
Réentendu, Todarello confirma ses accusations de 1992 débouchant sur l’arrestation de Taxquet et de Van der Biest. Un procès aura lieu en 2003, mais sans Van der Biest, celui-ci s’étant suicidé le 17 mars 2002, après avoir clamé son innocence dans un mot laissé à sa femme. Avec sa mort, il laisse la partie « commanditaire(s) » et « motivations » à jamais sans réponse, laissant une énorme zone d’ombre planer sur la mort d’André Cools.