La première guerre aérienne de l’histoire eut pour cadre le Hainaut
Plusieurs communes belges possèdent une place nommée « Jeu de Balle », en référence à la balle pelote pratiquée naguère en de nombreux endroits. Si elle est tombée quelque peu en désuétude, elle est toutefois encore pratiquée de nos jours.
À Jumet, dans la banlieue de Charleroi, elle est pourtant appelée « Place du Ballon ». Pourquoi « Ballon » ? Il ne s’agit pas du souvenir glorieux d’une compétition de football à laquelle cette commune aurait brillamment participé, mais bel et bien d’un aérostat. Pour avoir l’explication de cette étrange appellation, il est nécessaire de revenir plus de deux cents ans en arrière.
Le premier ballon « habité » est une invention des frères Montgolfier, issus d’une famille de papetiers français à la fin du XIXe siècle. Le premier vol « habité » se déroule le 19 octobre 1783, après de multiples essais, dont l’envoi dans les airs d’un mouton, d’un canard et d’un coq, qui parcourent ainsi une distance de 3,5 km à une altitude de 500 mètres pendant huit minutes pour finalement atterrir… sains et saufs !
C’est à Jean-François Pilâtre de Rozier que revient l’honneur d’être le premier homme à « s’envoyer en l’air » à partir de la rue de Montreuil, dans le faubourg Saint-Antoine, à Paris. Le premier vol atteint 81 mètres et le second 105 mètres. Ces premières tentatives ont lieu en « captifs », c’est-à-dire que le ballon reste relié au sol par une grosse corde fixée elle-même à un poids suffisamment lourd pour ne pas laisser s’échapper le ballon…
La technique s’améliorant, on décide le « lâcher-tout » le 21 novembre 1783. À bord, le même Pilâtre, accompagné du marquis d’Arlandes, relève le défi. Le départ se fait près du château de la Muette à Paris, à la lisière du bois de Boulogne. Ballon et passagers – 850 kilos en tout – s’élèvent puis filent sur la capitale, atteignent 1 000 mètres d’altitude au-dessus des Tuileries, commencent à descendre au niveau de la porte d’Italie et atterrissent, sans encombre, sur la Butte aux Cailles, aujourd’hui place Paul Verlaine, dans le 13e arrondissement. Le vol a duré vingt-cinq minutes pour une distance de neuf kilomètres.
Une nouvelle ère vient de s’ouvrir, celle où l’homme devient capable de se mouvoir dans l’espace aérien. Les fameux ballons, sous de multiples formes, traversent l’Histoire et sont, évidemment, utilisés à des fins civiles et de loisirs. De nos jours, on en voit d’ailleurs régulièrement passer au-dessus de nos têtes. Ils sont également utilisés à des fins militaires tels, par exemple, les ballons d’observation durant la Première Guerre mondiale, les Zeppelins ou encore les ballons servant à faire barrage aux avions durant la Seconde Guerre.
Alors, pourquoi le Ballon de Jumet ?
Il faut se reporter à la bataille de Fleurus qui se déroule principalement le 8 messidor an II (26 juin 1794). Cette bataille met aux prises les Coalisés (Autrichiens et Hollandais qui n’avaient pas digéré la chute de la monarchie française) et la France, dans un cercle couvrant Nivelles, Fontaine l’Évêque et Fleurus. L’armée française, commandée par Jourdan, n’en mène pas large. On ne sait qui a l’idée de faire appel à cette nouvelle arme, le ballon, inconnu jusqu’alors sur les champs de bataille et formidable engin d’espionnage qui permet de voir de haut tout ce qui se passe aux alentours.
Gonflé à Maubeuge, il chemine toute une journée attaché aux pommeaux de chevaux qui l’entraînent au grand trot et arrive enfin vers 19 heures au moulin de Jumet. On le lâche le lendemain. De ce magnifique observatoire, le capitaine Coutelle et un officier peuvent transmettre, depuis leur nacelle, tout ce qu’ils voient à l’aide de messages contenus dans de petits sacs qu’ils font descendre. Même de Nivelles, on peut apercevoir cet engin insolite et il paraît que le moral des troupes coalisées en prend un coup. C’est vrai qu’il est impressionnant, ce ballon baptisé « l’Entreprenant ». Parfaitement sphérique, d’un diamètre de 9 mètres, il peut atteindre, avec deux hommes à bord, une altitude de 500 mètres, mais il suffit de 200 à 400 mètres pour qu’il soit opérationnel. L’Entreprenant est d’ailleurs resté deux longs mois à l’armée d’Entre-Sambre-et-Meuse.
La bataille, elle, dure toute la journée sous un soleil de plomb, et, par endroits, au milieu de véritables fournaises, les moissons prennent feu. Le soir, les Coalisés abandonnent le champ de bataille sur lequel ils laissent 5 000 morts et blessés. Le lendemain, ils abandonnent la Belgique et battent en retraite en Allemagne. Les Autrichiens perdent définitivement le contrôle de nos provinces. Les Français prennent Bruxelles le 10 juillet et Anvers le 27 alors que le corps expéditionnaire anglais repart sur son île. On imagine aisément l’étonnement, la curiosité, voire même la stupéfaction des Jumettois de l’époque, tant et si bien qu’ils donnent à l’endroit d’où s’était élevé l’engin le nom de « Place du Ballon », place qui existe toujours actuellement.
Pour la petite histoire, le quartier général de Jourdan, établi « sur le plateau du moulin de Jumet » d’où l’Entreprenant observait le champ de bataille, est situé à l’extrême ouest de la piste du Brussels South Charleroi Airport d’où, bien des années plus tard, de nombreux engins volants décolleront.