1695, Bruxelles réduite en cendres par le Roi Soleil
En 1695, des navires de guerre anglais et hollandais bombardèrent les villes et les ports côtiers français. En représailles, et surtout parce que la campagne du maréchal de Villeroy dans notre pays cette annéelà manquait encore d’un coup d’éclat, les Français bombardèrent Bruxelles, qui ne présentait pourtant aucun intérêt stratégique. Le désastre s’éternisa du 13 août à sept heures du soir au 15 août dans l’après-midi. L’armée française disposait de 12 canons de 24 livres et de 25 mortiers, de 4 000 boulets, 5 000 bombes et 6 000 fusées, de la poudre à canon en abondance, de 20 000 balles en plomb, 4 200 mèches et 2 000 grenades. Dans les faits, 2 000 à 3 800 bombes et autant de boulets furent utilisés. 4 000 maisons du centre furent détruites, dont celles de la Grand-Place ; de l’Hôtel de Ville, seule la tour resta intacte ; 16 églises et couvents disparurent dans les flammes ; pratiquement tous les monuments civils et religieux furent au moins endommagés. Les dégâts sont estimés, selon les sources, à une somme variant de 20 et 50 millions de florins. Des trésors artistiques, d’une valeur inestimable, comme des tableaux de Roger de la Pasture et de Rubens, des tapisseries splendides, et autres joyaux, ainsi que la plupart des archives de la Ville et de quantité de particuliers, furent irrémédiablement perdus. Le haut de la ville fut épargné, parce qu’une princesse polonaise vivait dans le Palais ducal ! Comme les Bruxellois avaient pressenti le malheur et qu’ils avaient eu le temps de se mettre à l’abri dans les environs du Coudenberg, il y eut beaucoup moins de victimes parmi les civils que chez les militaires.
Sans attendre, le Magistrat urbain décide d’entreprendre la reconstruction. Les habitants doivent d’abord prendre les mesures utiles pour éviter l’effondrement de leur habitation. Beaucoup de gens d’autres villes viennent à leur aide. C’est ainsi que les boulangers de Malines, d’Anvers et de Louvain reçoivent l’ordre de cuire du pain la nuit et de le transporter dès l’aube dans la capitale. Des paveurs de ces mêmes villes et de Nivelles affluent pour aider à la réfection des artères. Le gouvernement des Pays-Bas espagnols autorise la ville à couper du bois dans la forêt de Soignes et les Provinces-Unies livrent du bois de charpente. Les commerçants d’Anvers financent les travaux. Le prince-électeur Maximilien-Emmanuel, gouverneur général des Pays- Bas, oblige les États de son bien héréditaire de Bavière à y apporter leur contribution. Le gouvernement des Pays-Bas accorde un crédit de 20 000 florins Brabant pour les expropriations indispensables à l’élargissement des rues. Le Conseil du Brabant bloque les loyers, réquisitionne un maximum de serviteurs et de chevaux. Il promulgue un règlement révolutionnaire, le 24 octobre 1695 : pour éviter un nouvel incendie, les rues seront reconstruites plus larges, les maisons seront en dur, sans saillie et raccordées aux égouts. Le Magistrat bruxellois prend des mesures complémentaires le 24 avril 1697, pour éviter un manque d’harmonie architecturale sur la Grand-Place : tous les plans doivent lui être soumis, sous peine de lourdes amendes ; les maisons construites illégalement seront détruites aux frais de leurs propriétaires. Dès 1698, les arbalétriers organisent une fête sur la place partiellement reconstruite. Vingt ans après le drame, le chantier est achevé et la ville présente un tout nouveau visage.
À titre de comparaison, prenons le cas de la place forte martyre de Huy. L’incendie bouté par les Français en 1689 laisse la ville gravement sinistrée. Nombre de chancres et « places vacques » persistent pendant tout le prétendu Siècle des lumières. En effet, les moyens manquent car, financièrement et économiquement, la ville n’arrive pas à se relever de 40 années de guerre continue, sans compter toutes celles qui les ont précédées depuis la fin du XVIe siècle. Le règlement du prince-évêque de Liège du 3 septembre 1689 – donc de six ans antérieur à celui du Conseil de Brabant et qui ordonnait des mesures semblables de reconstruction – n’a guère eu d’effets aussi rapides qu’à Bruxelles.