La lettre incendiaire de la reine Élisabeth à Paul Reynaud

Monsieur le Président du Conseil,

Vous avez accusé le roi Léopold d’avoir commis un acte de trahison et de félonie. Pareille injure m’a profondément indignée et je ne puis faire taire les ressentiments que cette blessante injustice provoque en moi.

Vous l’ignorez sans doute, l’armée belge s’est héroïquement battue aux côtés des admirables soldats français et britanniques.

Subissant un sort dont elle n’était pas responsable, encerclée, acculée à la mer, épuisée, elle était arrivée aux dernières limites quand le Roi, son chef, donna l’ordre de cesser une résistance affreusement meurtrière qui n’avait plus d’utilité pour personne.

Vous avez affirmé que mon fils traitait avec les Allemands. Cette affirmation est fausse : le Roi Léopold, qui entend partager le sort de ses officiers et de ses soldats, est leur prisonnier.

Il subit leur loi.

Aucune négociation n’est en cours.

Voilà la vérité.

Voilà la vérité que vous connaissez maintenant et que vous aurez à cœur de faire connaître aux Français, si vous êtes un honnête homme !

En opposant le Roi Albert au Roi Léopold, on porte atteinte à la mémoire de l’un et à la mémoire de l’autre. Comme son père, mon fils a été courageux dans la bataille. Il est digne et loyal dans la défaite. Votre attitude si profondément inique m’est d’autant plus pénible qu’elle vient d’un Français parlant au nom de la France à laquelle m’unissent tant de liens de sympathie et d’admiration.

Recevez, Monsieur le Président du Conseil, l’expression de mes sentiments douloureux.

Élisabeth

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